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Epargne salariale et actionnariat : quelques repères

Implication des salariés au capital des entreprises : renforcer l’épargne salariale par un renforcement des incitations fiscales pour les entreprises (1/2)

 

Résumé:

– L’épargne salariale est un enjeu central aussi bien dans le fonctionnement interne de l’entreprise que dans le fait d’être une vraie richesse pour l’économie dans sa globalité ;

– Elle est une innovation entrepreneuriale datant des années 1960 et qui a connu un développement lent et par étapes ;

– De plus, ce dispositif connaît une fiscalité tout à fait particulière et s’avère avantageuse pour toutes les parties prenantes;

– Pourtant, il apparaît que les tenants et les aboutissants de ce dispositif sont relativement peu connus des salariés.

           

L’épargne salariale fait l’objet, depuis la fin de l’année 2014, d’un regain d’intérêt dans les médias puisqu’elle est « au programme » de la loi Macron. Dans ce contexte, il apparait intéressant de revenir sur les fondamentaux de ce dispositif, avantageux mais méconnu. Nous traiterons dans un second article l’impulsion nouvelle et les discussions dont elle fait l’objet.

 

L’épargne salariale est un ensemble de mécanismes d’épargne collective, souvent peu connu, qui permet d’associer les salariés aux résultats de l’entreprise. Elle renvoie aussi bien à des dispositifs de partage de la valeur ajoutée de l’entreprise (participation, intéressement) qu’à des dispositifs d’épargne et de capitalisation financière en entreprise. Elle prend la forme de plans sur lesquels de l’argent est épargné et bloqué pendant une durée déterminée (5 ans, ou à plus long terme jusqu’à la retraite) selon l’objectif de cette thésaurisation (dégager une épargne sous la forme d’un portefeuille de valeurs mobilières, préparer sa retraite, investir dans des stock-options …).

 

L’apparition mais surtout la démocratisation de l’épargne salariale se présente comme une révolution culturelle avec des enjeux économiques forts. En effet, elle révèle à la fois une problématique d’accroissement de la compétitivité pour les entreprises, d’une diversification de l’actionnariat, d’un regain de motivation (donc un système gagnant-gagnant entre managers et salariés), d’une réorientation favorable à la croissance pour mieux financer l’économie …  L’intéressement, d’abord facultatif, nait en 1959 alors qu’il faut attendre 1967 pour qu’apparaisse la participation[1].Tandis que le premier dispositif renvoie simplement à une récompense censée motiver le salarié[2], la participation est une réelle prise de conscience de la réalisation des objectifs de profits de l’entreprise de la part des salariés. L’épargne salariale se constitue également par des abondements, c’est-à-dire de versements décidés par l’entreprise. Comme l’indique le graphique ci-dessous l’épargne salariale a atteinten 2012 15.5 milliards d’euros en France, la participation en représentant 6.6 millions, l’intéressement 7.03 et l’abondement sur les plans (PEE et PERCO) 1.8 millions d’euros.

 

Figure 1 :

 

Ces dispositifs ont cependant été longtemps boudés par les entreprises car l’intéressement nécessitait une homologation par le CERC[3]et impliqu   ait divers coûts de mise en place. Depuis, différentes tentatives ont permis son développement par étapes :

– 1970 : apparition des stock-options ;

– 1973 : apparition des plans d’actionnariat ;

– 1980 : loi Giscard sur la distribution exceptionnelle d’actions ;

– 1986 : renouvellement et renforcement de la stabilité de l’épargne salariale avec la défiscalisation sur le PEE une fois l’épargne versée ;

– 1990 : participation via le PEE rendue obligatoire par la loi Soisson pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés.

 

Notons qu’entre 1986[4]et 2001 l’intéressement s’est fortement développé. Cela peut notamment trouver son explication dans les difficultés croissantes du financement des retraites. L’épargne salariale[5]peut alors apparaitre comme un outil intéressant à la discrétion des salariés souhaitant se couvrir contre d’éventuelles difficultés financières.[6]C’est un complément de retraite qui apparait nécessaire  avec le temps : on prépare sa retraite, avec une « rente » supplémentaire financée dans et par l’entreprise. L’actionnariat connaît une vraie impulsion en France entre 1995 et 1998 passantde 26 % à 38% du total de l’épargne salariale. Depuis le début de la décennie 2000 et le rapport Balligaud-Foucaud, une réelle volonté d’ouvrir l’épargne salariale à l’ensemble des salariés s’est manifestée, et non plus uniquement à ceux des grandes entreprises[7]. Pour autant, en 2009, la part détenue par les salariés ne représente qu’environ 2 % du capital social des entreprises du CAC 40.

 

Désormais, une déclinaison de plans d’épargne salariale existe, symbole d’une véritable volonté de partenariat entreprise/salarié. Cette déclinaison regroupe de nombreux systèmes de rémunérations appliquées immédiatement ou en différé, stimulés et encadrés par la loi[8]. Ainsi, sous le terme générique d’épargne salariale, on trouve divers plans : PEE, PERCO, PPESVR, PEI et PPESVRI[9]accessibles aux petites entreprises. Leur développement s’est de plus accompagné d’un certain nombre d’avantages. En effet, l’optimisation financière bat son plein depuis la fin des années 1980. Cela s’explique notamment par les modifications des modes de gestion (axés sur les compétences, la valeur partenariale et l’accroissement des supports financiers dans la gestion des entreprises)et par une réorientation du partage de la valeur ajoutée en défaveur des salariés. Dès lors, le PEE est apparu comme le seul moyen juridique permettant de défiscaliser l’intéressement par un accord collectif.

 

Aujourd’hui, cette épargne salariale représente en France plus de 110 milliards d’euros et apparait en nette progression (+12% sur un an) tout en étant de plus en plus étroitement liée à l’actionnariat d’entreprise. Ainsi, plus de 88% des salariés (tout type d’entreprises confondues) ont au moins accès à un mode d’épargne salariale : 94% des salariés sont couverts par au moins un dispositif dans les entreprises de plus de 50 salariés : 74%  pour les entreprises de 50 à 499 salariés et 17% pour celles de moins 50 salariés. L’épargne salariale concerne donc environ 8.8 millions de salariés français, avec un montant moyen de 1482€ pour la participation et 1505€ pour l’intéressement.

 

Par ailleurs, on constate que l’on retrouve plus fréquemment ce genre de dispositif[10]dans les grandes entreprises (90 % chez France Télécom, 72% chez Air France) mais les petites entreprises, dynamiques, connaissent pour autant une forte croissance de l’actionnariat salarié en fonction de la politique de l’entreprise.

 

Cependant, malgré son essor remarquable, l’épargne salariale se développe encore lentement. Le frein majeur est de nature psychologique car les salariés restent réticents à investir en bourse, son fonctionnement et les fluctuations du cours étant trop peu transparents. Le second frein est l’inflation législative dont fait l’objet l’épargne salariale. Depuis une dizaine d’années, les modifications législatives concernant les dispositifs d’épargne salariale se sont multipliées. Pourtant, ses enjeuxsont multiples. Tout d’abord, elle permet d’associer le salarié aux bénéfices de l’entreprise et partager avec eux la performance, en l’utilisant comme outil de communication. Deuxièmement, elle est un moyen de responsabiliser et de fidéliser le salarié ainsi que de l’initier à la gestion de la richesse, sa distribution et les rouages des marchés financiers qui y sont liés. Comme l’indique la figure 2, elle apparait plus intéressante qu’une augmentation de salaires.

 

Figure 2 : Coût employeur (source : Debory Eres)

 

En effet, on constate bien tout l’intérêt d’avoir recours à des dispositifs d’épargne salariale. Ainsi, pour un coût identique pour l’employeur, le gain net salarié est 1,45 fois plus élevé en cas de recours à l’intéressement et à la participation en cash par rapport à un versement de salaire. Et il est même près de deux fois plus élevé pour ces mêmes dispositifs mais versés sous forme d’épargne. Par ailleurs, on constate que les charges salariales disparaissent au profit d’un forfait social presque deux fois moins élevé, tout comme les charges salariales. Par forfait social on entend « une contribution à la charge de l’employeur qui concerne, sauf exceptions, les éléments de rémunération ou gains qui sont exonérés de cotisations de sécurité sociale tout en étant assujettis à la CSG ou ceux qui ne remplissent pas ces conditions mais qui sont assujettis de par la loi. »(URSSAF). En revanche la CSG et la CRDS salarié persistent et augmentent de près de 22%.

 

Par ailleurs, pour poursuivre sur leurs effets bénéfiques, ces dispositifs permettent de constituer une épargne de précaution ou d’acheter à terme un bien immobilier pour l’individu. Or dans cette période difficile pour le financement des retraites, cela devient une préoccupation commune avec l’entreprise qui cherche à mettre en place des PERCO. D’autant que l’avantage est réciproque car cela permet la constitution d’une épargne longue pour l’investissement corporatif. L’épargne longue finance l’entreprise tout en stabilisant l’économie. De plus, lors d’une augmentation du capital de l’entreprise, une décote (un prix préférentiel) pour les salariés est applicable dans le cadre des dispositifs d’épargne salariale. Mais c’est surtout une question d’optimisation fiscale de la trésorerie de l’entreprise et de la rémunération des salariés. Cette incitation fiscale est d’ailleurs présentée comme permettant de lutter contre les inégalités en orientant l’épargne dans du long terme, proportionnant le forfait fiscal selon le nombre de salariés.

 

Ainsi, l’épargne salariale, en tant qu’instrumentde « restructuration du lien social dans l’entreprise » apparait vertueuse et intégratrice en renforçant la motivation et le sentiment d’appartenance à la firme. Nécessairement, les résultats de l’entreprise, ses finances et sa gouvernance doivent s’en ressentir. Cet outil de motivation et de dialogue social constructif oriente véritablement le financement des entreprises vers un investissement socialement responsable.

 

Conclusion

L’épargne salariale est une vraie innovation des Trente Glorieuses, période durant laquelle les français ont épargné une part importante de leur revenu disponible. Le développement de ces dispositifs est un élément central des métamorphoses de l’épargne dans le contexte du rapport salarial fordiste.

Aujourd’hui ce mécanisme a pris une place importante mais pas suffisante. Les salariés en sont globalement mal informés et le système ne joue pas sur la simplicité, notamment de par des aspects fiscaux techniques. Pourtant l’épargne salariale est présentée comme un vecteur de croissance. Mais qu’en est-il vraiment de son utilisation actuelle ? Quelles lois régissent son usage ? Par quels projets d’amendement est-elle concernée ?

 

Références :

« Comment associer les salariés aux performances de l’entreprise ? », rapport CroissancePlus Grandir ensemble, janvier 2011.

Epargne salariale, mode d’emploi, guide France info, Patrick Lelong, Ed. Jacob-Duvernet, 2004

Comprendre et conseiller l’épargne salariale, Gilles Briens, Les essentiels, Ed. L’Argus de l’assurance, 2014

« Accroitre la performance économie de l’entreprise en améliorant sa gouvernance et la participation des salariés », note de veille Centre d’analyse stratégique, juin 2010.

« Participation des salariés et performance sociale : de nouveaux enjeux pour les entreprises françaises dans un contexte de sortie de crise », note d’analyse Centre d’analyse stratégique, janvier 2011

 

Notes:

[1]Ces deux avantages financiers doivent cependant être différenciés.L’intéressement est une prime versée comme complément de salaire en fonction des résultats de l’entreprise. Des objectifs sont fixés entre le salarié et l’entreprise sur les résultats annuels à obtenir. L’intéressement apparait alors comme une récompense « facultative » versée uniquement si ces objectifs ont été atteints. Pour avoir plus, il faut performer davantage. La participation, elle, renvoie  à un dispositif obligatoire pour toute entreprise de plus de 50 salariés. C’est une redistribution d’une part du bénéfice net de l’entreprise auprès de ses salariés. C’est une garantie du partage de la valeur ajoutée qui peut être cumulée avec l’intéressement.

[2]L’entreprise dispose d’une enveloppe dont elle décide la répartition sous forme de primes, au plus performant, la prime la plus intéressante. Elle peut d’ailleurs être collective (proportionnellement à la durée de travail) ou individuelle (avec des objectifs précis). L’objectif est de développer un esprit d’entreprise dans lequel les salariés se sentent concernés par les résultats économiques et financiers de l’entreprise.

[3]Centre d’étude des Revenus et des Coûts

[5]Via le Plan d’Epargne Entreprise et/ou le Plan d’Epargne Retraite Collective.

[6]Cependant, nous verrons que le coût pour les budgets publics du développement de l’épargne salariale est important et cela peut également avoir un revers sur le financement des retraites.

[7]Incluant donc professions libérales et commerçants.

[8]Code du travail, du commerce et le Code général des impôts

[9]Respectivement : Plan d’Epargne Entreprise, Plan d’épargne pour la retraite collectif, Plan Partenarial d’Epargne Salariale Volontaire Retraite, Plan d’Epargne Interentreprises.

[10]D’ailleurs, on peut également reprocher à ce système de faire place à un problème de distorsion de concurrence quand l’entreprise a recours à l’intéressement, à la participation, à l’achat d’actions par les salariés voire à leur attribution gratuite ou encore aux plans d’épargne salariale.

 

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