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« Les entreprises africaines c’est maintenant »

Résumé :

– Les entreprises africaines représentent aujourd’hui le symbole du dynamisme africain. Actrices primordiales du développement économique, elles attirent de plus en plus de capitaux étrangers.

– Le secteur des télécoms, de la construction et de l’industrie financière concentrent en grande partie de ce regain d’intérêt de la part des investisseurs mondiaux et proposent ainsi des possibilités de développement alternatives au traditionnel secteur des ressources naturelles.

– Quels sont les points forts des entreprises africaines ? Dans quelles mesures ces secteurs peuvent-ils permettre aux continents d’émerger sur la scène économique internationale ? Quels sont les challenges auxquels le secteur privé africain doit faire face ? Ce sont à ces questions, que le panel d’analystes invités par la Coface au colloque risque pays, a tenté de répondre.

 

 

Le Mardi 21 Janvier 2014 se tenait au CNIT de Paris le colloque annuel risque pays de Coface au sein duquel était dédiée une table ronde portant sur le dynamisme des entreprises africaines et sur le rôle joué par le secteur privé dans l’émergence du continent. En préambule de cette table ronde, M. Stanislas ZEZE, PDG du groupe Bloomfield Investment Corporate, a exposé les raisons de l’engouement rencontré ces dernières années pour les entreprises africaines.

D’un point de vue macroéconomique, M. ZEZE a tout d’abord indiqué que la résilience du continent face à la crise financière de 2008, les excellentes performances de l’Afrique sub-saharienne en termes de croissance depuis ce retournement mondial et l’ampleur de ses ressources naturelles ont contribué à faire aujourd’hui de cette région, l’une des zones les plus attractives du monde aux yeux des investisseurs, et ce devant la Chine et les autres grands émergents. D’un point de vue plus microéconomique, M. ZEZE a ensuite souligné que les résultats enregistrés par les entreprises africaines depuis 2007 ont également participé à la réorientation des investisseurs étrangers vers les économies sub-sahariennes.

Bien que ces entreprises rencontrent encore d’importantes contraintes financières, la faiblesse de leurs valorisations d’entrée permet à ces derniers d’espérer des rendements bien plus importants que dans les autres pays du globe (notamment ceux développés). Cette capacité impressionnante à générer des revenus significatifs, couplée à une diversification du risque grâce une régionalisation croissante des activités permet, selon M. ZEZE, d’avoir aujourd’hui des entreprises compétitives et surtout attractives pour tout type d’investisseurs, aussi bien domestiques qu’étrangers. De plus, même si le risque politique reste non-négligeable dans bon nombre de pays africains, le climat des affaires tend à s’améliorer et l’ouverture du capital des entreprises africaines aux investisseurs étrangers permet de renforcer la transparence et donc la gouvernance de ces institutions privées.

Enfin, M.ZEZE a mis en évidence comme point substantiel de la réussite actuelle des entreprises africaines, le phénomène de « brain gain » induit par les retours croissants de la diaspora africaine (et donc de leurs compétences) initialement émigrée dans les pays occidentaux. De même M.ZEZE a insisté sur l’enthousiasme et la volonté de cette nouvelle génération d’élites, locale comme émigrée, de participer à l’émergence de leur continent sur la scène internationale.

 

Quels sont les secteurs les plus attractifs ?

  • Les ressources naturelles, vainqueur, mais non plus par K.O…

Sans surprise, le secteur le plus attrayant pour les investisseurs internationaux reste celui des ressources naturelles. Néanmoins, Nana OWUSU-AFARI, président de l’association des industries du Ghana, a exposé que si le secteur des minerais et l’industrie du pétrole représentaient une source potentielle de croissance remarquable pour les pays qui en possédaient, ceux ayant récemment fait la découverte de nouveaux gisements (comme le Ghana) devaient palier leur manque d’expérience dans le management de ces ressources en faisant appel à différents intervenants spécialisés dans ce domaine, aussi bien continentaux, qu’internationaux. De plus, M. OWUSU-AFARI a également insisté sur l’importance de favoriser l’intégration des PME locales dans le développement de ces sites, mettant ainsi en évidence la nécessité de repenser la gestion des matières premières au sein du continent à l’aide d’une coopération plus accrue.

Alain MALONG, DG de la compagnie camerounaise d’aluminium (ALUCAM) et président du syndicat des industries du Cameroun, a complété l’intervention de M. OWUSU-AFARI en rappelant que l’exploitation de ces ressources naturelles favorisait la diffusion des innovations technologiques (comme celles relatives à l’extraction des matières premières) et pouvait ainsi jouer un rôle prépondérant dans le processus de développement à travers la diffusion de capital humain. Enfin, M. MALONG a également souligné l’importance que les ressources naturelles pouvaient avoir dans l’apaisement des conflits sociaux grâce notamment aux redistributions des recettes pétrolières ou gazières sous forme de subventions alimentaires comme lors de la crise alimentaire de 2008.

  • L’essor des télécommunications et de l’industrie financière

Cependant, si le secteur des matières premières attire massivement les investisseurs étrangers, M. OWUSU-AFARI a également fait remarquer que les télécommunications et l’industrie financière étaient eux aussi des secteurs de plus en plus attractifs pour les capitaux étrangers. M. ZEZE a souligné le fait que le secteur des télécommunications pouvait avoir d’importants effets de ruissellement sur le tissu économique local et que la prolifération des entreprises se consacrant à la production des dérivés de la télécommunication en était un des exemples les plus explicites. Philippe LABONNE, DG de Bolloré Africa Logistic, a rejoint les deux intervenants sur ce point en insistant sur le besoin d’innovation au sein du continent. M. LABONNE a par ailleurs exposé que les télécommunications pouvaient clairement encourager ce saut technologique et que certaines innovations, comme le paiement par téléphone portable, permettant de diminuer les coûts de transactions, de favoriser le développement commercial en zone rurale, et donc d’améliorer les conditions de vie d’une frange significative de la population, en était une belle illustration.

M. Gabriel FAL, président du conseil d’administration de la bourse régionale des valeurs mobilières d’Abidjan, a par la suite apporté son expertise sur l’évolution du secteur financier en Afrique sub-saharienne en rappelant tout d’abord que si le développement des marchés financiers était de plus en plus dynamique et permettait aux grosses entreprises africaines d’accéder à davantage de financements, des efforts évidents de transparence et de régulation restaient nécessaires pour que ces marchés atteignent une taille suffisante [1 tout en continuant de servir l’économie réelle. M. FAL a ainsi mis en lumière les projets de régionalisation (comme par exemple entre le Ghana et le Nigéria) visant à construire une plateforme financière commune dans le but de donner plus de profondeur aux marchés financiers. En parallèle, M.ZEZE a ajouté que la création d’agences de  notation régionales permettait d’affiner l’information disponible sur les marchés financiers et que même si les notations des entreprises entrantes sur les bourses locales n’étaient généralement pas des plus avantageuses, ce processus d’évaluation devait à terme favoriser la transparence et la bonne gestion des entités notées.

Par la suite, M. FAL a déplacé son analyse sur les entreprises de plus petites tailles opérant hors du circuit des marchés financiers et faisant principalement appel au financement bancaire. Il a alors exposé la nécessité pour ces structures d’évoluer vers un système de gouvernance de plus en plus hiérarchisé et d’abandonner les structures dites « traditionnelles » au sein desquelles l’omnipotence du chef d’entreprise représente, dans la plupart des cas, un frein réel au bon développement des activités. M. FAL a aussi pointé du doigt la nécessité de rester prudent dans le financement des PME africaines ainsi que celle d’avoir des institutions de financement à proximité de ces entreprises pour fournir un accompagnement spécialisé, assurer un monitoring efficace, répondre à leurs besoins financiers et réduire ainsi le phénomène de surliquidité du marché bancaire qui aujourd’hui bloque encore fortement le financement direct de l’économie réelle.

 

Secteur privé, un développement sous conditions.

  • Un besoin massif d’infrastructures

Tout au long de cette table ronde, l’ensemble des intervenants a cependant insisté sur le fait que si l’essor des secteurs précédemment exposés représentait une opportunité de développement incontestable, ce dernier restait contraint par le manque d’infrastructures auquel faisait face le continent. M. LABONNE a ainsi souligné le rôle primordial que devaient jouer les infrastructures au sein du continent, les qualifiant même de socle du développement. En effet, l’insuffisance de routes, de ports et d’installations énergétiques, scolaires ou encore sanitaires freinent aujourd’hui aussi bien le processus d’accumulation de capital physique qu’humain, réduisant in fine les opportunités de développement du tissu entrepreneurial africain et donc du continent. L’Afrique a néanmoins pris conscience des limites que lui posait ce déficit d’infrastructures et a entamé depuis quelques années une redéfinition des politiques d’investissements de grande ampleur en faisant massivement appel aux entreprises locales via le développement de partenariats dits « public-privés » (PPPs). Ainsi, aux secteurs précédemment mentionnés, il convient donc d’y ajouter celui de la construction qui d’après l’ensemble des intervenants et au regard des besoins en infrastructures et de la promotion des PPPs, participe de plus en plus à l’expansion des entreprises africaines.

  • Une amélioration nécessaire de la gouvernance

Cependant, le problème du manque d’infrastructures ne date pas d’hier. En effet, depuis les années postindépendances, l’investissement a toujours été considéré comme l’un des principaux facteurs du développement africain. La faiblesse de la gouvernance, latente depuis près de 40 ans, représente une des raisons pour lesquelles, le niveau d’investissements suffisants et nécessaires au décollage économique et  au développement du secteur privé sub-saharien n’a été atteint que très tardivement. Aujourd’hui, selon M. ZEZE et M. OWUSU-AFARI, le principal obstacle auquel font face les entreprises est celui de la gouvernance. Les négociations frauduleuses de marchés publics, les accès limités aux marchés locaux, bref la corruption,  limitent la concurrence au sein du tissu local et freine donc massivement l’essor des entreprises.

Néanmoins, M. ZEZE a rappelé, à très juste titre, que la mauvaise gouvernance n’était pas un mal  100 %  africain et qu’elle restait très largement encouragée par bon nombre d’investisseurs occidentaux qui, attirés par cet environnement peu contrôlé, décidaient de s’implanter en Afrique dans l’espoir de profiter financièrement de cette faiblesse de l’application législative. Ainsi, M. ZEZE a souligné qu’il était nécessaire que des efforts soient réalisés aussi bien au sein du continent qu’en dehors pour combattre la mauvaise gouvernance, principale entrave au développement des entreprises africaines, et dans une plus grande mesure, du continent tout entier.

Enfin, bien que très peu discuté par les intervenants, il apparaît nécessaire d’assurer un contrôle efficace et sérieux de l’intervention des acteurs privés étrangers dans les grands investissements africains pour que ces projets bénéficient pleinement au réseau d’entreprises locales. En effet, les émergents, Chine en tête, interviennent de façon croissante au sein du continent dans le but de participer au développement de diverses activités (d’infrastructures notamment). Si ces apports de capitaux représentent une aubaine pour le continent, certaines modalités opérationnelles de construction (emploi de travailleurs chinois en lieu et place de travailleurs locaux) et de paiement (prêts remboursés par des licences d’exploitation pétrolière ou minière) peuvent parfois être néfastes et largement desservir les pays bénéficiaires.

 

Conclusion

 

Cette table ronde a donc permis de montrer à quel point les entreprises africaines pouvaient être attrayantes pour les capitaux étrangers. Néanmoins, bien que financièrement profitable, il est essentiel de rappeler le rôle primordial joué par ce tissu entrepreneurial dans le processus de développement africain. D’ici quelques années, le secteur privé aura pour principale mission d’absorber une main d’œuvre toujours plus abondante avec comme contrainte majeure de proposer aux nouvelles générations des emplois de plus en plus qualifiés dans le but de générer un processus de croissance solide, diversifié, et autonome. Les entreprises africaines, qu’elles soient petites ou grandes, ont entamé un mouvement de valorisation des richesses du continent qui, s’il continue, permettra non seulement d’atteindre les objectifs du millénaire pour le développement, mais conduira également l’Afrique toute entière à rejoindre la cours des grands.

                                                                                                                                                                            Marin Ferry

 

Notes

[1] La taille de l’ensemble des marchés financiers du continent (une vingtaine) représente à peine celle du marché financier suisse.

 

Références

M. Dahman-Saïdi (2013) “Chinese investment in Africa (Part 1& Part 2)”, BSI Economics.

M. Ferry (2013), « Efficacité de l’Aide publique au développement », BSI Economics.

A. Fofana (2013), « Les politiques de développement du travail des femmes, sources de développement », BSI Economics.

E. Koussoubé (2013), « Rapport sur les Perspectives Economiques en Afrique (PEA) », BSI Economics.

E. Koussoubé (2013), “Land purchases by elites: the other face of land grab in Africa?”, BSI Economics.

Y. Lucotte (2013), «  La surliquidité bancaire : le mal oublié de l’Afrique subsaharienne », BSI Economics.

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