La réforme du marché du travail allemand : un modèle réellement séduisant pour le reste de l’Europe ?

Résumé :

- Au début des années 2000, l’économie allemande semble à l’arrêt et le chômage stagne à un niveau élevé, dès lors son marché du travail nécessitait de se voir réformé pour sortir de l’impasse.

- Les Lois Hartz ont été mises en place afin de fournir un cadre général favorable à la baisse du chômage, à la fois en améliorant les conditions de l’offre et de la demande d’emploi.

- Les résultats ont été très positifs et ces réformes ont permis une reprise de l’emploi et de baisse du chômage.

- Pour autant ces réformes ont fortement contribué à l’augmentation du risque de pauvreté en Allemagne, laissant planer des doutes sur le modèle allemand.

Le taux de chômage en France vient de battre un triste record ces derniers jours et toucherait près de 11% de la population active. La situation globale en Zone Euro n’est guère plus encourageante,  avec un taux de chômage moyen de 12,1% en avril 2013. Quelques pays échappent à cette tendance inquiétante, notamment les Pays-Bas et l’Autriche mais aussi l’Allemagne.

Moribond au début des années 2000 « l’homme malade » de la Zone Euro, comme il avait été surnommé, s’est repris et fait figure actuellement d’élève modèle (encore !) en termes d’emploi, avec un taux de chômage à 5,4% en mai 2013. La solidité du marché du travail allemand est en grande partie due aux importantes réformes qui ont été entreprises à partir de 2002. Malgré des résultats impressionnants, qui plus est en temps de crise, « le modèle allemand » ne présente pas un bilan exclusivement favorable, notamment en termes de risque social.

Début des années 2000 : un contexte économique et social morose appelant à des réformes

Au début des années 2000, l’économie allemande semble essoufflée et au ralenti : le coût de la réunification n’est pas encore totalement absorbé, la productivité est en berne suite à l’intégration difficile des Ossies (ancien citoyen de la République Démocratique Allemande, avant la réunification) sur le marché du travail, le chômage augmente et la croissance est très faible relativement aux autres pays de la Zone Euro (0% de croissance en 2002). Dans le même temps, l’Allemagne fait face une situation démographique délicate, avec un faible taux de fécondité et une population vieillissante.

Son taux d’activité, représentant la part des actifs sur la totalité des personnes en âge de travailler,  a fortement stagné entre 1992 et 2002, perdant ainsi son avance sur l’ensemble des autres membres de la Zone Euro qui peu à peu rattrapent l’Allemagne, voire la dépasse. Entre 1999 et 2002, le taux de chômage gravite autour de 8,25% pendant qu’il ne cesse de baisser en moyenne dans la Zone Euro. Ce sont particulièrement les femmes et les seniors qui sont touchés par ce phénomène. Le chômage de longue durée (part des chômeurs, depuis au moins un an, dans la population active) se trouve également au dessus de la moyenne de la Zone Euro (4,05% contre 3,75%) au début des années 2000, soit parmi les moins bons résultats avec des pays comme la Grèce ou l’Espagne. Le contexte social de l’époque se dégrade, le modèle social allemand étant fortement remis en question notamment par la frange de la population moins aisée considérant que l’ascendeur social ne fonctionne plus.

Pour lutter contre la hausse du chômage, le gouvernement de G. Schröder, Chancelier à l’époque des faits, décide de mener une ambitieuse politique de réformes du marché du travail à partir de mars 2002. L’objectif principal était de fournir des incitations aux populations les plus affectées par le chômage pour retourner sur le marché du travail. Ces réformes rentrent dans le cadre de « l’Agenda 2010 », visant donc à la fois à flexibiliser le marché du travail tout en ciblant un taux de chômage proche du plein emploi (4-5%, selon les définitions et les estimations). Ces réformes sont plus connues sous le nom des Lois Hartz.

Les 4 Lois Hartz

La commission Hartz a été mandatée pour fournir des solutions permettant de faciliter l’insertion des demandeurs d’emploi sur le marché du travail. Dans le même temps, elle se devait de trouver des incitations pour ces mêmes demandeurs d’emplois, pour accélérer leur retour. Elle visait donc un double objectif, afin de stimuler à la fois l’offre et la demande de travail. Il en a découlé 4 lois, qui ont été successivement mises en place, malgré leur impopularité chronique ainsi qu’à  à l’égard de la coalition SPD-Grüne [1] .

Les réformes Hartz reposent donc sur les 4 piliers suivants :

Hartz I : introduite en janvier 2003, elle devait:

- Créer des agences d’intérim, les Personal Service Agenturen offrant des formations aux demandeurs d’emploi, pour éviter leur déclassement.

- Alléger les conditions du recours au travail temporaire (en ne délimitant plus la durée maximale des missions pour ce type de travail et en alignant les conditions salariales sur celles des salariés permanents).

- Laisser à la charge des demandeurs d’emploi de fournir des preuves, en cas de refus d'une offre d’emploi, pour valider leurs droits au régime d’assistance chômage.

Hartz II : à partir d’avril 2003, l’auto-entreprenariat pour les chômeurs est facilité, ainsi que la création d’entreprises (ou encore les mini jobs, sur lesquels nous reviendrons ultérieurement), via la mise en place d’un système d’aides et de soutiens financiers publics.

Hartz III : dès janvier 2004, les pouvoirs du service public de l’emploi sont en partie transférés aux autorités locales, qui bénéficient donc d’une plus grande autonomie pour encadrer les demandeurs d’emplois, les conditions différant d’un Land à l’autre selon la situation du marché du travail. Les exigences pour l’accès aux indemnisations du régime d’assurance chômage sont renforcées avec :

- une période d’affiliation minimale plus longue (1 an sur les 2 ans précédent l’inscription au chômage contre 1 an sur 3 ans auparavant) pour y avoir accès.

- la baisse de la durée maximale pour les contrats bénéficiant d’aides publiques.

Hartz IV : le dernier pan et le plus controversé de la réforme fait son apparition en janvier 2005. Il supprime l’assistance chômage (allocation pour les chômeurs en fin de droits) et a conditionné l’accès aux dispositifs d’aides pour lutter contre la pauvreté (afin de disposer d’un revenu minimum [2] décent) à la signature d’un contrat avec les agences pour l’emploi.

Les Mini-Jobs et les Midi-Jobs

Comme nous venons de le voir, dans le cadre de Hartz II, les mini-jobs se sont amplement développés sur le marché du travail germanique au milieu des années 2000 (ils existaient déjà avant mais leur nombre s’est accru depuis la loi Hartz). Ce sont des contrats singuliers, portant sur un faible nombre d’heures travaillées et un salaire très modeste, mais qui a vu les montants maximaux augmentés sous Hartz 2 passant de 325€ mensuel à 450€. Les midi-jobs répondent quant à eux à d’autres conditions et peuvent aller jusqu’à une rémunération de 850€ mensuel brut.

Les mini-jobs présentent l’avantage d’être soumis à un régime de cotisations sociales salariales minimes voire nulles. Ils ne cotisent donc pas nécessairement pour leur retraite mais ont la possibilité de souscrire à une cotisation réduite de 4,9%, permettant de bénéficier des mêmes droits que les contrats de travail plus standards. En revanche une personne sous contrat mini-jobs ne peut prétendre aux allocations chômage ni à l’assurance maladie [3] , étant donné que les cotisations patronales de mini-jobs ne prennent pas en compte la couverture maladie. Même si l’employeur ne verse donc rien à l’assurance maladie, son taux de cotisation pour un mini-jobs est de 28% contre 20% pour un salarié avec un contrat standard, ce qui peut paraitre un peu surprenant au vu du nombre croissant de contrats mini-jobs après 2005, comme nous aurons l’occasion de le voir dans un second temps.

Les midi-jobs, les droits à l’assurance maladie et à la retraite, qui sont les mêmes que pour un salarié normal et versent un montant de cotisations proportionnel à leur taux de rémunération, compris entre 450 et 850€. Un dernier type de contrat existe également et a fait son apparition sous Hartz IV pour le secteur des activités non marchand: les ein euro Jobs. Avec ce type de contrat, une personne peut continuer à recevoir son assurance chômage et bénéficie également d’un complément compris entre 1 et 2,5€ de l’heure pour un travail d’utilité publique.

Retour massif sur le marché du travail et baisse du chômage : la victoire des réformes Hartz

Les réformes Hartz ont eu un assez large succès : entre 2002 et 2012 la population active a augmenté de 6,7% malgré une démographie déclinante, le chômage avoisine les 5,4%, enfin le taux d’emploi est passé de 64,3% en 2004 à 72,8% en 2012 (proportion de la population en âge de travailler – 15 à 64 ans). Selon les estimations du Fonds Monétaire Internationale (FMI) ce sont les seniors et les femmes qui ont le plus bénéficié de cette remontée fulgurante.

   

Cette hausse de l’activité a été permise grâce à la création de nombreux emplois, près de 2,5 millions depuis l’introduction du dernier volet des lois Hartz. Ce sont majoritairement des emplois à temps partiel(le fameux Kurzarbeit) des contrats CDD et également des mini/midi-jobs qui ont été créés.

Globalement les mini/midi-jobs n’ont participé que secondairement à la reprise de l’emploi :

- Certes 2,5 millions de personnes disposaient d’un mini-jobs, dans le cadre d’un second emploi en 2011 contre 1,7 millions en 2004 ;

- Les midi-jobs ont peu augmenté (+15% soit 180 000 personnes supplémentaires entre 2007 et 2011 seulement, plus que majoritairement des femmes) ;

- Entre 2004 et 2012, l’emploi à temps plein a malgré tout augmenté mais dans des proportions moindres (+2,4%) que le temps partiel (+33%).

Plusieurs études ont cherché à évaluer l’impact direct des réformes Hartz sur la réduction du chômage en Allemagne, pour observer si le chômage structurel a réellement baissé et si cette baisse n’est pas uniquement un phénomène passager. Un article du Trésor de mars 2013 a établie une bibliographie et résumé les principaux résultats sur le sujet :

 - Les incitations à retourner sur le marché du travail ont été effectives.

- Les subventions à l’emploi auraient permis un retour plus rapide des chômeurs de longue durée.

- La durée moyenne du chômage de longue durée a diminué.

- Les aides favorisant l’auto-entreprenariat ont contribué positivement à la baisse des demandes d’allocation chômage.

- Il y a eu moins de pertes d’emploi que par le passé.

- Seul ombre au tableau, les agences d’intérim ont été supprimées en 2006, pour manque d’efficacité.

Globalement, les réformes ont eu une influence positive sur le marché du travail et ont significativement contribué à la baisse du chômage structurel. Ceci étant d’autant plus manifeste que les Lois Hartz I,II et III ont continué avoir des effets positifs avec un certains décalage dans le temps : pendant la récession qui a suivie la crise financière (une contraction de 5,1% de l’activité allemande en 2009) le chômage a faiblement augmenté (+0,9%)  entre septembre 2008 et juillet 2009, avant de baisser à nouveau et assez rapidement (-2,5%) jusqu’ mai 2013.

Hausse de la précarité et du risque social : l’échec du modèle allemand

Premièrement, les inégalités en Allemagne n’ont cessé d’augmenter au cours des années 2000 et les réformes du marché du travail n’ont pas enrayé cette tendance haussière. Le coefficient de Gini, qui est un indicateur permettant de mesurer les inégalités de redistribution des revenus, permet de constater de manière synthétique leurs évolutions ces dernières années. Plus il est proche de 1, plus une petite proportion de la population s’accapare la majorité des revenus, plus les inégalités sont fortes et plus il est proche de 0, plus la société est égalitaire, au niveau de la distribution des revenus. Dans le cas de l’Allemagne le coefficient de Gini, après impôts et transferts sociaux, était de 0,26 au début des années 2000 avant de passer à 0,28 au milieu des années 2000 puis 0,29 à la fin de ces années.

Secondement, le risque de pauvreté s’est également accru pendant les années 2000. Ce risque est atteint par un individu lorsque le revenu de ce dernier est inférieur ou égal à 60% du revenu courant médian de la population du pays dans lequel il vie. Deux types de population ont été touchées par ce risque en Allemagne au cours des années 2000 : les chômeurs assez fortement touchés et dans une moindre mesure les personnes bénéficiant d’emploi à temps partiel. Le taux de pauvreté pour la population totale en Allemagne est équivalent à celui de la Zone Euro, mai le cas des chômeurs semble très préoccupant même s’il n’affecte qu’une petite partie de la population active.

  

Les réformes Hartz ont été en partie responsables de cette hausse de la précarité. Comme nous l’avons vu précédemment Hartz III et IV avaient durci les conditions d’accès, ainsi que raccourci la durée des droits aux allocations chômages et supprimer certains aides. Les principales conséquences de ces réformes ont été les suivantes :

- Les chômeurs de longue durée qui n’ont pas réussi à réintégrer le marché du travail ont fait face à une baisse importante de leurs revenus et le nouveau système joue en leur défaveur.

- Par ailleurs, une part des actifs ayant retrouvé un emploi tombe généralement sous le seuil de pauvreté, car leur faible nombre d’heure travaillée ne leur permet pas d’avoir des revenus suffisants. La multiplication des contrats, type CDD ou mini/midi-jobs, n’a pas non plus contribué à augmenter le revenu réel des ménages, qui a fortement stagné au cours des années 2000, contrairement aux autres pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE).

- La diminution du nombre d’heures travaillées associée aux nouvelles normes limitant les départs anticipés en retraites (ces nouvelles normes ont été mises en place indépendamment des Lois Hartz) ont :

> Désincité les départs anticipés à la retraite sous contrainte du vieillissement de la population, ce qui a certes permis de limiter le chômage chez les 50-64 ans, mais n’a pas empêcher la baisse des revenus de cette population.

> Limité les opportunités de contrats à durée indéterminée ou de contrats à temps plein pour les jeunes actifs et donc augmenté leur vulnérabilité face au risque de pauvreté.

    

Conclusion

Il est indéniable que les réformes du marché du travail ont rempli les objectifs « d’Agenda 2010 » de réduire drastiquement les chiffres du chômage, qui n’ont jamais été aussi bas depuis 1992. De nombreux emplois ont été créés et la plus grande flexibilité introduite par les Lois Hartz ont contribué à diminuer la part d’actifs sans emploi. Pour autant le risque de pauvreté étant en forte hausse relativement à certains voisins européens, laisse penser que la baisse du taux de chômage a été rendue possible par une hausse du nombre d’emplois précaires.

Notes:

[1] Le SPD, ou Sozialdemokratische Partei Deutchsland, le parti du Chancelier Schröder et les Grüne, le parti des verts qui joue un rôle important dans la vie politique allemande.

[2] Rappelons ici que contrairement à la France, il n’y a pas de salaire minimum en Allemagne.

[3] Cette personne n’a pas accès à l’assurance maladie via sa contrat mini-jobs, mais il est quand même possible d’en bénéficier si elle exerce une autre activité par ailleurs, à partir du moment où cela n’est pas un autre contrat du type mini-jobs.

Références :

F. Kramarz, A. Spitz-Oener, C. Senftleben et H. Zwiener “Les mutations du marché du travail allemand », Rapport du CAE n°102, 2012.

T. Krebs and M. Scheffel “Macroeconomic evaluation of labor market reform in Germany”, IMF Working Paper, 2013.

F. Bouvard, L. Rambert, L. Romanello et N. Studer “Réformes Hartz: quells effets sur le marché du travail allemand?“, Trésor-Eco n°110 Mars 2013

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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