Union des Marchés de Capitaux: profitable mais pas sans risque

Résumé :

- Le financement de la croissance en Europe reste difficile aujourd’hui.

- Portée par la Commission, l’Union des Marchés de Capitaux cherche à développer les marchés financiers pour diversifier les sources de financement.

- Peu de gardes fous et de réglementation sont pour le moment prévus pour stabiliser des marchés somme toute volatils.

Proposée par Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne, et portée par Jonathan Hill (Commissaire aux services financiers), la mise en place d’une Union des Marchés de Capitaux (UMC) cherche à renforcer la croissance et la stabilité financière en améliorant l’allocation du capital et le partage des risques au sein de l’Union européenne (UE).

L’objectif annoncé, lors de la présentation du projet en Févier 2015, est une mise en place dès 2019. L’heure était à une phase de consultation, entre février et avril 2015, dans le but de présenter une proposition de loi, fin 2015. Ce projet s’attaquant à la structure de financement de l’Union européenne, s’inscrit dans le long terme. Si l’UMC est encore à l’état de projet, de nombreuses questions se posent déjà sur la forme qu’il prendra dans le futur.

1 - La fragmentation et le poids majeur des banques au sein de l’UE

L’intégration financière en Union européenne, et tout autant dans la Zone euro, est en panne. Les institutions financières ont tendance à diminuer leurs positions extérieures au sein et hors de l’UE, et à se replier sur leur marché national (Bouvatier et Delatte, 2015), en raison principalement de leur fragilité et de leur tendance à acheter de la dette souveraine nationale[1] . Or un tel repli rend les économies européennes plus vulnérables face à des chocs asymétriques, ce qui, dans le cadre de la Zone euro, fragilise l’union monétaire (cf. les théories des zones monétaires optimales).

En outre, la structure de financement de l’Union européenne est très largement dominée par le secteur bancaire, puisque 74% des financements de l’économie sont des crédits bancaires (Goldstein et Véron, 2011). Or les crises récentes ont détérioré les bilans des banques européennes, provoquant une contraction des prêts qu’elles octroyaient et réduisant leur capacité à financer la reprise économique. Aux États-Unis, l’une des raisons évoquée pour expliquer une reprise plus forte, est la moins grande dépendance au crédit bancaire (24% en 2011, voir Goldstein et Véron, 2011) et la plus grande résilience des marchés financiers comme source de financement.

Le marché du crédit est en conséquence très largement fragmenté au sein de l’UE. Les taux auxquels les petites et moyennes entreprises (PME) peuvent emprunter varient très fortement d’un pays à l’autre (Graphique 1).

Graphique 1 : Spread avec l’Allemagne des taux de crédits accordés aux PME

Source : Al-Eyd.A et Berkmen.P, 2015

Une tel divergence des conditions de crédit, renforce la probabilité de chocs asymétriques et est un handicap au retour de la croissance dans les pays les plus fragiles (Grèce, Portugal, Espagne, Italie,…).

Un financement de la croissance par les banques en berne et une intégration en panne sont les deux constats de départs ayant présidés au lancement du projet de l’Union des Marchés de Capitaux (UMC). Ce dernier poursuit deux objectifs : améliorer le fonctionnement des marchés financiers et mettre en place un meilleur partage des risques pour en renforcer la résilience.

2 - Améliorer le fonctionnement des marchés financiers en renforçant l’offre et la demande

L’UMC cherche à élargir  l’accès aux marchés de capitaux à de nouveaux acteurs, comme les PME ou les projets d’infrastructure, afin d’en diversifier les sources de financement. Pour créer un marché unique attractif, une convergence des législations est nécessaire (cadre légal de faillite des entreprises, convergence des taux d’imposition, réduction de l’avantage fiscal de la dette sur le capital,…), mais ne peut se faire que sur long terme et fera l’objet d’âpres négociations (Hache, 2015). Pour qu’un plus grand nombre d’acteurs aient accès au marché de la dette, un abaissement des barrières d’entrée est nécessaire, en diminuant les exigences des rapports financiers ou de la notation pour les PME. Mais seul un petit nombre de PME pourra émettre de la dette sur le marché des capitaux, les autres restent dépendantes des banques, et c’est le marché de la titrisation qui est visé pour faciliter leur financement. Les marchés de capitaux sont très peu utilisés en Europe, surtout si l’on compare aux États-Unis (Graphique 2).

Graphique 2 : Encours des instruments titrisés aux États-Unis et en Europe

L’UMC cherche donc à relancer la « bonne » titrisation, à travers un allègement des exigences en capital pour les banques, dans le cadre de Bâle III (en discussion). Mais relancer ce marché est loin d’être évident. Aux États-Unis, près de 50% du marché de la titrisation est le fait des agences gouvernementales Fannie Mae et Freddie Mac[2] (Graphique 2, « Agency MBS »). En outre le programme de rachats d’ABS mené par la BCE depuis le début du programme d’assouplissement quantitatif dans le but de relancer ce marché, n’a pas produit les effets escomptés, puisque l’émission d’ABS a reculé en mai 2015 et la BCE a réduit la quantité achetée dans le cadre de l’assouplissement quantitatif à 6 milliards d’euros (contre 10 milliards d’euros les mois précédents). Sans soutien public ces marchés ne sont donc pas viables à court terme (Hache, 2015).

Un autre défi consiste à renforcer l’offre de financement en attirant de nouveaux acteurs sur les marchés financiers. Si l’on compare encore une fois avec les États-Unis (Graphique 3), les ménages de l’UE ne participent que très peu aux marchés financiers et la majeure partie de leurs avoirs sont sous la forme de dépôts auprès des banques.

Graphique 3 : Composition du portefeuille financier des ménages

Mais favoriser la participation des ménages aux marchés financiers n’est pas sans risque et ne se fera pas sans un système approprié de garanties (Véron, 2015), et un tel changement des pratiques ne pourra se faire que sur le long terme. En outre, priver les banques d’une fraction des dépôts ne fera que renforcer leur dépendance au marché de la dette et risque de les fragiliser.

D’autres acteurs comme les fonds de pension ou les assureurs peuvent être mobilisés à long terme, mais les premiers n’ont pas encore la taille nécessaire dans un continent où le système de retraite par capitalisation n’est pas encore dominant. Les seconds, sont eux très limités par Solvency II, dans leur possibilité d’achats de titres financiers et si des réformes sont évoquées pour faire tomber ces barrières, à court terme les assurances ont peu de marge de manœuvre. Sur le court terme, l’UMC devra donc faire appel aux banques d’investissement pour faire vivre ces marchés des capitaux, et donc renforcer le poids des banques dans le financement de l’économie, à l’inverse de la problématique initiale d’une trop grande dépendance aux financement bancaires (Hache, 2015). On assiste déjà à une concurrence renouvelée entre banques d’investissement dans la gestion croissante des émissions d’obligations qu’entreprennent les sociétés non-financières pour se financer.

3 - Un meilleur partage des risques pour une stabilité financière accrue

En facilitant et en diversifiant l’accès au financement pour les entreprises de l’UE, l’UMC cherche à améliorer l’allocation des capitaux et à renforcer la résilience de l’économie et sa fragilité face à des crises bancaires. En outre, en élargissant la gamme d’acteurs de ce marché de capitaux, l’allocation des risques devrait s’en trouver optimisée et leur dispersion, diminuer l’impact d’un choc majeur. Le corollaire d’un partage des risques généralisé et de la participation des ménages aux marchés de capitaux, est que ces derniers en subissant plus de pertes, ajustent plus fortement leur consommation. En outre, les fonds de pensions pourraient eux aussi subir des pertes importantes (comme le cas d’ENRON en 2001), avec des conséquences désastreuses pour les retraités. Comme l’a démontré la titrisation, une meilleure diffusion du risque n’entraine pas pour autant sa disparition. Pour que l’UMC soit crédible pour ces nouveaux acteurs, des garanties et des gardes fous doivent être mis en place.

En cherchant à réduire le poids des banques dans le financement de l’économie, c’est le shadow banking[3] (qui désigne toute activité bancaire, non réalisée par une banque, comme la transformation d’échéance ou la gestion de la liquidité) qui est favorisé par ce projet d’UMC, à travers la titrisation ou la liquidité sur le marché des repo[4] (Gabor et Vestergaard, 2015). Or actuellement aucun détail n’a été donné concernant la réglementation à mettre en place pour accompagner le renforcement de ces marchés qui sont, pour la plupart, sans garde-fous (Andersonetal., 2015).

Conclusion

L’Union des Marché de Capitaux repose sur un diagnostic avéré d’une intégration financière européenne en berne et d’un financement de la croissance toujours fragile et d’un marché des capitaux sous développé en Europe, laissant une certaine marge de progrès.

Mais, bien que l’UMC ne soit encore aujourd’hui qu’un projet en phase de consultation, très peu de détails ont été fournis concernant les gardes fous et les réglementations nécessaires pour assurer la stabilité de ces marchés.

Notes:

[1]  La raison de cet achat de dette est à la fois en contrepartie des plans de renflouements ou garantie apportées par les gouvernements, ou par volonté de ne pas s’exposer à d’autres dettes souveraines mal notées. Il faut aussi prendre en compte le fait que les gouvernements ont émis beaucoup de dette, donc mécaniquement les banques en détiennent plus.

[2]  Ces deux agences en regroupant des prêts hypothécaires et crédits immobiliers et en les titrisant, permettent l’existence d’un marché secondaire. Ces agences ont été très durement touchées par la crise des subprimes et ont été renflouées à hauteur de 155 milliards de dollar. Elles ont été depuis nationalisées, mais continuent de proposer les mêmes services.

[3]  Composé des véhicules de titrisation, des fonds monétaires, des brokers-dealers,…

[4]  Les repo ou « repurchase agreement », sont des transactions financières où sont échangés des titres contre de la liquidité (avec une décote), pour un temps limité prédéterminé. Cet outil financier est principalement utilisé comme source de liquidités de court-terme.

Références:

Anderson.N and al., 2015, “A European Capital Markets Union: implications for growth and stability”, Financial Stability Paper No. 33 – February 2015,

Bouvatier.V et Delatte.A-L, 2014, “Eurozonebankintegration: EU versus non-EU banks”, Vox

Gabor.DetVestergaard.J, 2015, “The systemic issues buried deep in the market infrastructure plans”, FEPS Policy Brief

Goldstein M. and Véron N., 2011, “Too Big to Fail: The Transatlantic Debate”, Working Paper Series Peterson Institute, WP 11-2, January 2011, No. 11-2. Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=1746982 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1746982

Hache.F, 2015, “Capital Markets Union in 5 questions”, Finance Watch

Al-Eyd.AetBerkmen.P, 2015, “Fragmentation and Monetary Policy in the Euro Area”, WP/13/208

Véron.N, 2015, “Capital Market Union A vision for the long term”, Bruegel policy contribution

Apres une thèse en économie à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne et un passage à la Banque Centrale Européenne, Guillaume travaille actuellement à la Banque d'Angleterre en temps qu'économiste chercheur. Ses domaines d'intérêts portent principalement sur la liquidité bancaire.

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