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La Suisse emprunte à taux négatif

 Mercredi 8 avril, la Suisse a innové en lançant un emprunt obligataire à 10 ans avec un taux négatif de -0,055 %. C’est une grande première pour une maturité aussi longue.

 

 

Ces dernières années, plusieurs pays comme la France et l’Allemagne, ou encore le Portugal en ce début de mois d’avril 2015, ont eu recours à ce type d’emprunts à taux négatif, mais ils ne concernaient jusqu’à maintenant que des maturités courtes, allant jusqu’à deux ans. Ce nouvel emprunt suisse était d’un montant peu élevé (232,5 millions de francs suisses) mais le nombre de souscripteurs a été assez important, étant donné que les demandes ont atteint un montant de 410,5 millions de Franc suisse, traduisant ainsi un engouement marqué des investisseurs pour les titres proposés. Comment expliquer une telle réussite ?

Généralement un prêt s’accompagne d’un taux d’intérêt positif, garantissant au prêteur de récupérer la somme qui lui est due et une part supplémentaire proportionnelle au taux appliqué au montant du prêt. Il peut donc paraitre surprenant que des investisseurs soient intéressés par une telle opération, qui consiste à payer en prêtant. Pourtant plusieurs éléments justifient ce type de transaction.

 

1 – La qualité de la signature

Plus un Etat est réputé pour sa solvabilité, par sa rigueur budgétaire (niveau de dette publique peu élevé, solde budgétaire maitrisé, capacité à récolter des recettes fiscales) et par sa capacité à honorer dans les délais sa dette, plus la probabilité qu’il fasse défaut sur sa dette sera faible. Ainsi en achetant des titres qu’émet un Etat jugé « robuste », les investisseurs s’assurent de se faire rembourser. De plus, les banques et les assurances doivent détenir dans leur bilan ce type d’obligations avec une qualité de signature élevée (considérées comme des actifs dits sans risques, sures et liquides) pour répondre aux normes de la réglementation financière, que cela soit dans le cadre de Bâle III pour les banques ou de Solvency 2 pour les assurances. Dans le cas de la Suisse, notée AAA par les agences de notation, elle bénéficie de la meilleure qualité de signature possible, ce qui rend très attractives les obligations souveraines qu’elle émet, faisant ainsi quasi-office de valeur refuge. Pour bénéficier d’une telle sécurité, en arbitrant avec les autres opportunités d’investissement (des obligations souveraines d’autres pays par exemple) les investisseurs sont donc prêts à payer. Les pays bénéficiant d’une telle qualité de signature étant peu nombreux, la Suisse peut se permettre d’émettre à taux négatif à des maturités plus longues tout en attirant des investisseurs, soucieux de sécurité et / ou de répondre aux exigences réglementaires.

 

 

2 – La stratégie des investisseurs

La volonté de diversifier les placements, pour diluer le risque, peut mener des investisseurs à vouloir acquérir certains titres dans certaines conditions. Les principaux investisseurs en dette souveraine (des compagnies d’assurance, des banques et des fonds d’investissement) réalisent en permanence des arbitrages afin d’équilibrer leurs portefeuilles de titres selon l’émetteur (d’où l’importance de la qualité de signature), selon la maturité, selon le couple risque / rendement associé ou encore la monnaie dans laquelle sont émis les titres. Les obligations d’Etat étant souvent utilisées en tant que collatéral lors de transactions financières, un investisseur peut être amené à acquérir des titres souverains qui lui permettront par la suite de se lancer dans des opérations financières, dont le rendement généré sera supérieur au rendement du placement de ces mêmes liquidités sur un compte.

Dans le cas de la Suisse, un investisseur peut être amené à effectuer plusieurs types d’arbitrage et chercher à acquérir de la dette suisse contre un taux d’intérêt négatif soit pour réduire le risque de son portefeuille (en disposant d’obligations, moins risquées que des actions, d’une part et avec une grande qualité de signature d’autre part) soit pour s’en servir comme collatéral dans le cadre de transactions financières. L’émission du 8 avril étant émise en Francs suisses, elle présente également la possibilité de diversifier un portefeuille par rapport à d’autres titres libellés en euro, en dollar ou en yen par exemple.

 

3 – La possibilité de réaliser une plus-value

La valeur d’une obligation varie dans le sens inverse des taux d’intérêt. Un investisseur ayant acheté de la dette avec un taux d’intérêt négatif, réalisera une perte financière (liée au paiement d’un taux d’intérêt) s’il détient toujours cette dette quand elle arrive à échéance. Ainsi, si avant l’échéance les taux d’intérêt  baissent, les investisseurs possédant des obligations souveraines auront la possibilité de les revendre et ainsi réaliser une plus-value.

Dans le cas de la Suisse, certains investisseurs ont peut être fait le pari de supporter un taux négatif (de surcroit très faible) mais dans l’espoir de revendre cette dette avant l’échéance, dans 10 ans, dès qu’une baisse des taux significative se manifestera. Etant donné que la Banque centrale suisse a récemment décidé de suspendre son taux plancher pour l’évolution du franc suisse (ce qui a généré une forte appréciation du taux de change, pénalisant ainsi l’économie réelle), l’hypothèse d’une prochaine baisse des taux d’intérêt pour compenser les effets négatifs de cette mesure n’est pas à écarter. Cette situation pourra alors s’avérer bénéfique aux investisseurs ayant acheté des obligations souveraines suisses à taux négatif.

 

4 – Jouer sur le rendement et le taux d’intérêt réel avec la variation des prix 

A partir d’un taux d’intérêt nominal (le taux d’intérêt défini et convenu par les différentes parties au moment de l’emprunt) négatif, un investisseur peut faire le pari que l’inflation peut passer en territoire négatif. Ainsi, en misant sur la baisse de l’indice des prix et un processus déflationniste, un investisseur peut espérer récupérer un taux d’intérêt réel (le taux nominal moins la variation des prix) positif, surtout dans le cas où le taux nominal négatif est peu élevé. Or pour investisseur, c’est le rendement réel qui est recherché.Dans le cas de la Suisse, l’inflation est passée en territoire négatif depuis septembre 2014, avec une inflation à -0,87 % en mars 2015 et les prévisions annuelles tablent sur une déflation sur l’ensemble de l’année, à un taux supérieur à -0,055 %, qui est le taux d’intérêt nominal payé par un investisseur sur l’emprunt suisse à 10 ans du 8 avril 2015. Ceci assure donc un rendement réel positif à un investisseur.

 

 

Ce sont donc la qualité de signature d’un Etat relativement aux autres et les différentes opportunités d’arbitrage qui justifient l’émission et l’achat de dette à taux négatifs. Plus ces deux facteurs seront importants et significatifs, plus des investisseurs seront enclin à vouloir acquérir des titres de dette, même en payant un taux d’intérêt. Le cas de la Suisse permet d’illustrer au mieux ce genre de situation, à un point tel que son opération d’émettre à 10 ans, une maturité encore inédite avec un taux négatif, a attiré un nombre important d’investisseurs.

 

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