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Comment une crise systémique se déclenche-t-elle ?

Résumé :

– Une crise systémique peut émerger de deux sources : un choc économique simultané sur un grand nombre d’établissements financiers ou par le biais d’une contagion.

– Les contagions à l’œuvre lors d’une crise systémique peuvent être directes, dans le cas d’un effet domino ou indirectes au travers de l’Asset Fire Sales (ventes en catastrophe), du deleveraging (réduction du levier), ou de la similitude entre les établissements.

Le risque systémique n’est pas un concept nouveau, mais signe un retour fracassant depuis la crise de 2007. C’est un concept qui n’est pas uniquement économique et qui fait référence à une menace pouvant perturber, voire faire s’effondrer, tout système. Ici il est question du système financier et, par extension de l’économie en raison de leur forte relation. Il existe plus d’une trentaine de définition du risque systémique [1], mais leur point de rencontre est bien souligné par celle proposée par la BCE : « [c’est le risque d’une] instabilité financière tellement profonde, qu’elle menace le bon fonctionnement du système financier au point où la croissance en souffre ». Une crise systémique se caractérise avant tout par le fait qu’elle concerne un grand nombre d’acteurs financiers et économiques. C’est ce que Furfine (2003) met en avant dans sa définition en décrivant deux mécanismes distincts par lesquels la crise se propage :

  1. 1 – un choc simultané sur un grand nombre d’acteurs financiers, qui met ces derniers en difficulté, peut engendrer une crise systémique en perturbant le bon fonctionnement des marchés.
  2. 2 – un phénomène de contagion entre les acteurs financiers qui peut avoir un effet tout aussi dévastateur pour le bon fonctionnement des marchés.

 

Tout d’abord, un choc économique suffisamment puissant pour engendrer une crise systémique doit affecter simultanément un grand nombre d’acteurs financiers.

C’est le cas par exemple lors de l’explosion d’une bulle, et en particulier immobilière. Les agents économiques, et principalement les ménages, diminuent leur besoin de crédit, voire font défaut. Le portefeuille de crédits des établissements bancaires se dégrade très rapidement poussant les banques à une recapitalisation rapide et simultanée, ce qui fait exploser le coût de cette dernière. C’est ce qui s’est passé en 2008 et 2009.

Les crises de liquidité sont un autre cas de choc simultané pouvant déstabiliser le système. Les établissements financiers sont devenus de plus en plus dépendant de la liquidité de marché. Or dans le cas d’une crise de confiance  par exemple, comme ce qui a pu se passer en 2008, le marché interbancaire ou le marché du repo [2] peuvent être complètement gelés, privant les banques de leurs sources de liquidité. A court de refinancement, de nombreux établissements financiers peuvent alors être très rapidement en difficulté.

 

Le phénomène de contagion peut quant à lui être classé en deux catégories selon que la diffusion est directe ou indirecte.

 

Dans le cas de la contagion directe, il est question deffet domino : la faillite d’un établissement financier peut déclencher une véritable réaction en chaîne de faillites. Cet effet est dû à des liens financiers directs entre établissements tels que les crédits interbancaires (les banques ont des créances les unes sur les autres) ou le financement en monnaie étrangère (une banque européenne souhaitant faire un crédit en dollars pourra en emprunter auprès d’une banque américaine). Ces liens financiers créent des liens de dépendance entre les établissements. Ainsi, une perte à l’origine localisée dans une banque peut avoir des effets sur la totalité du réseau interbancaire. De même en cas de crise de confiance, un établissement bancaire ayant un doute sur la solidité de ses partenaires va geler ses liens financiers. Refusant par exemple le renouvellement d’une ligne de crédit, cet établissement va mettre alors en difficulté une autre banque.

 

La contagion peut aussi se produire indirectement. Deux mécanismes entrent alors en jeu : la vente en catastrophe ou « Asset Fire Sale » (AFS) et le deleveraging, c’est-à-dire la réduction du levier d’actifs (ratio actifs sur fonds propres). Afin de comprendre comment cette contagion indirecte se produit, il faut prendre en compte le fait que les titres détenus par les établissements financiers sont le plus souvent valorisés à leur valeur de marché (fair value), selon une logique de « mark to market » [3]. Cela rend l’actif des banques très dépendant des variations des prix du marché comme l’expliquent Adrian et Shin (2010).

Un choc initial sur une banque dégrade sa position et la force à vendre une part plus ou moins importante de ses actifs les plus liquides pour absorber ses pertes et diminuer son levier d’endettement devenu trop fort [4]. Ce comportement a un impact limité s’il concerne de faibles volumes ou un nombre restreint d’établissements.En revanche en période de crise financière ou de confiance,les volumes concernés par l’AFS ont un impact significatif sur le marché. Cela amplifie la baisse initiale liée à la crisedu prix des actifs du marché et peut ainsi occasionner des pertes pour d’autres banques puisque la baisse de la valeur des actifs se répercute sur leur bilan. Ceci les force à leur tour à se séparer d’actifs, amplifiant davantage la baisse les prix des titres sur le marché, et ainsi de suite. En outre, ces pertes sont d’autant plus dommageables pour la banque qu’elles concernent ses actifs les plus liquides, qui sont la plupart du temps ses actifs de meilleure qualité. Certes, cette spirale n’a pas lieu à chaque variation à la baisse du marché, elle n’entre en action que sur une échelle de plusieurs mois. Néanmoins, cette spirale procyclique négative sur le marché peut causer la faillite de plusieurs établissements et engendrer une crise systémique.

Un dernier type de contagion indirecte est la contagion par similitude. Si un établissement particulièrement engagé sur un certain segment de marché est en difficulté, le marché va soupçonner les établissements travaillant sur ce même segment d’être aux aussi plus risqués  et s’en détourner, les mettant à leur tour en difficulté. Ce comportement a été observé en 2010, au début de la crise des dettes européennes, lorsque les institutions non financières américaines ont quasiment coupé tout financement en dollars aux banques européennes.

 

Notes:

[1] Voir VanHoose 2011 pour en avoir un recensement.

[2] Marché du repurchase agreement, où une institution financière peut déposer un actif en pension pour un temps déterminé contre de la liquidité, et s’engage à le racheter au terme de l’opération.

[3]Le mark to market prôné par les nouvelles normes comptables IFRS, consiste en une valorisation des titres financiers à leur valeuraffichée sur le marché de ces titres. Il s’oppose à la valorisation historique ou par modèle.

[4] Car lorsqu’une banque enregistre une perte, elle l’éponge en puisant dans ses fonds propres ; faisant mécaniquement augmenter le ratio actif sur fonds propre du levier d’actif.

 

Références :

Adrian T. Shin H.S., (2010) « Liquidity and leverage, Journal of Financial Intermediation », Volume 19, Issue 3, July 2010, Pages 418-437, ISSN 1042-9573

Bisias D., Flood M., Lo A.W., Valavanis S. (2012) « A Survey of Systemic Risk Analytics », OFR working papers, n°01

Ötker-Robe I., Narain A., Ilynia A., Surti J. (2011) « The Too Important to Fail Conundrum Impossible to Ignore Difficult to Solve », IMF staff discussions note, SDN/11/12

VanHoose D. (2011), « Systemic Risks and Macroprudential Bank Regulation A Critical Appraisal », Networks Financial Institute Policy Brief No. 2011-PB-04

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