Italie : Retour vers le futur

 Résumé :

- Le PIB de l’Italie est inférieur en 2014 à son niveau de l’an 2000. Depuis 2011, l’Italie a connu treize trimestres en récession et son PIB en volume en2014 a été inférieur de 9 % à celui de son pic de 2007.

- Depuis 2000, le PIB par habitant en Italie a décroché par rapport à celui des principales économies de l’OCDE. Légèrement supérieur au PIB par habitant de la moyenne de l’OCDE en 2000, le PIB par habitant en Italie se situait en dessous en 2013.

- La faiblesse du PIB par habitant en Italie résulte de la baisse de la part de la population en âge de travailler, d’un taux d’emploi particulièrement bas et de faibles gains de productivité.

- Afin de relever son PIB par habitant, l’Italie doit avant tout résorber son déficit de taux d’emploi, par une politique active d’augmentation du taux d’activité, en particulier des femmes. Les autres réformes doivent porter sur la hausse des gains de productivité et la baisse du taux de chômage structurel.

- L’Italie a déjà commencé à prendre « le bon tournant » : l’OCDE estime que les réformes prises actuellement en Italie, si elles sont pleinement mises en œuvre, se traduiraient par une croissance du PIB de 6 % supplémentaires dans dix ans.

Dans le film de science-fiction Retour vers le futur, Marty Mc Fly, un adolescent américain vivant en 1985, réalise un voyage dans le passé. Grâce à une machine à voyager dans le temps, imaginée sous la forme de la mythique DeLorean DMC-12, Marty est propulsé 30 ans en arrière, en 1955. Pour les Italiens, cette idée de retour dans le passé n’a pourtant rien d’une fiction : non seulement le PIB de l’Italie en volume 2014 est revenu en-dessous de son niveau de 2000, mais son niveau de PIB par habitant est désormais inférieur à ce qu’il était en 1997.

Le PIB actuel de l’Italie est inférieur à celui de l’an 2000

« Le monde ne peut pas se permettre une décennie perdue en Europe ». Par ces mots, prononcés le 12 novembre 2014, le secrétaire américain au Trésor Jacob Lew exhortait les dirigeants européens à prendre des « actions déterminées » pour enrayer le déclin de l’activité. Pourtant, en Italie, c’est déjà plus d’une décennie qui a été perdue, comme l’attestent les statistiques, particulièrement inquiétantes. Depuis 2011, l’Italie a connu treize trimestres sur seize en récession et son PIB en volume en 2014 a été inférieur de 9 % à celui de son pic de 2007. Sur la période, la croissance du PIB italien a également été la plus faible de la zone euro, à l’exception de la Grèce. La conjonction de ces facteurs fait que le PIB en volume de l’Italie est désormais inférieur à son niveau de l’année 2000. Ainsi, ce ne sont pas 10, mais déjà 14 années qui ont été perdues en Italie (graphique 1).

Graphique 1 : Évolution du PIB de l’Italie en volume, base 100 = 2000

Sources : Istat, Macrobond, BSI Economics

 

Depuis 2000, le PIB par habitant en Italie a décroché depuis la crise

Le PIB par habitant en Italie a progressé entre 2000 et 2007, même s’il a crû moins vite qu’en Espagne, en Allemagne ou en France[1] (graphique 2). C’est à partir de 2006 qu’un décrochage de croissance du PIB par habitant apparaît en Italie vis-à-vis de ses principaux partenaires. La crise économique débutée en 2008 n’a fait qu’aggraver ce dérochage avec la France et l’Allemagne, alors qu’une correction marquée s’est opérée en Espagne. Alors que le PIB par habitant en Italie était nettement supérieur à celui de l’Espagne en 2000, il ne lui était que très légèrement supérieur en 2013. Aussi, entre 2000 et 2013, le PIB par habitant en Italie, calculé à prix et pouvoir d’achats constants[2] , a baissé, passant de 28 822$ à 26 920$. Légèrement supérieur au PIB par habitant de la moyenne de l’OCDE en 2000 (28 210$), le PIB par habitant en Italie se situait en dessous en 2013[3] (31 944$).

Graphique 2 : Évolution du PIB par habitant depuis 2000, base 100 = 2000

Sources : Istat, Macrobond, BSI Economics

La faiblesse du PIB par habitant en Italie : Une baisse de la part de la population en âge de travailler, un taux d’emploi particulièrement bas et de faibles gains de productivité

Alors que le PIB correspond à la valeur de l'ensemble des biens et services produits dans un pays donné au cours d'une période donnée, le PIB par habitant[4] reflète le niveau de vie des habitants. C’est donc l’étude de l’évolution de la population en âge de travailler, du taux d’emploi et de la productivité du travail qui permettent de comprendre les facteurs à l’origine de la faiblesse du PIB par habitant en Italie.

L’évolution de la part de la population en âge de travailler[5] est défavorable dans l’ensemble des pays des quatre grandes économies de la zone euro. Elle ne permet donc pas d’expliquer le décrochage du PIB par habitant de l’Italie par rapport à celui de ses partenaires, même si elle joue à la baisse (graphique 3).

Graphique 3 : Part de la population en âge de travailler en Italie

Sources : Eurostat, Macrobond, BSI Economics

 

Le taux d’emploi[6] correspond au nombre d’individus ayant un emploi au sein de la population en âge de travailler. Bien qu’il ait légèrement progressé entre 2000 et 2013 en Italie, grâce à la hausse du taux d’activité, il reste très inférieur à celui de la France ou de l’Allemagne. L’écart avec la France et l’Allemagne se creuse à partir de 2008, du fait de la plus forte progression du chômage en Italie qu’en France et en Espagne. Le cas espagnol est un peu particulier : la forte baisse du taux d’emploi depuis 2007 est la conséquence directe de l’envolée du chômage, qui est passé de moins de 8,2 % en 2007 à 24,4 % en 2014. La faiblesse du taux d’emploi est donc bien un facteur majeur dans la compréhension du faible niveau du PIB par habitant en l’Italie (graphiques4).

Graphique 4 : Taux d’emploi de la population active (15-64 ans)

Sources : Eurostat, Macrobond, BSI Economics

En 2013, le nombre d’heures travaillées par an par habitant en Italie était de 701 heures, autant qu’en Allemagne, mais plus qu’en Espagne (654 heures) et en France (622 heures). La comparaison des PIB par habitant ainsi calculée montre qu’en nombre d’heures travaillées, le PIB par habitant de l’Italie est inférieur à celui de l’Allemagne (autant que le PIB par habitant), très inférieur à celui de la France (beaucoup plus qu’en écart non corrigé par le nombre d’heures travaillés), et même inférieur à celui de l’Espagne. Le nombre d’heures travaillées ne permet donc pas d’expliquer la baisse du PIB par habitant en Italie.

Sur la période 1995-2011, le taux de croissance annuel de la productivité du travail a été inférieur en Italie à celui de l’Espagne, de la France et de l’Allemagne, principalement du fait d’une baisse de la productivité multifactorielle. La faiblesse des gains de productivité contribue ainsi nettement au décrochage du PIB par habitant de l’Italie par rapport à celui de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne (graphique 5).

Graphique 5 : Croissance de la productivité du travail et ses composantes (1995-2011)

Sources : OCDE, Macrobond, BSI Economics

Deux levier pour relever le PIB par habitant en Italie

Afin de relever son PIB par habitant, l’Italie doit avant tout résorber son déficit de taux d’emploi, par une politique active d’augmentation du taux d’activité et la réduction du taux de chômage structurel. En particulier, les mesures en faveur du relèvement du taux d’emploi doivent concerner en priorité les femmes : le taux d’emploi des femmes n’était que de 46,5 % en 2013en Italie (64,8 % pour les hommes), par rapport à 60,4 % en France (67,8 % pour les hommes) et 69,0 % en Allemagne (78,0 % pour les hommes).

Par ailleurs, l’Italie doit également poursuivre les réformes visant à soutenir la productivité horaire, ce qui peut passer par des politiques de promotion de l’innovation et de renforcement de la concurrence.

L’Italie a déjà commencé à prendre « le bon tournant[7]  », avec l’annonce de nombreuses réformes depuis l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi. Dans sa dernière étude[8] économique consacrée à l’Italie, l’OCDE estime que les réformes en Italie, si elles sont pleinement mises en œuvre, se traduiraient par une croissance du PIB de 6,0 % supplémentaires dans dix ans (graphique 6).

Graphique 6 : Croissance de la productivité du travail et ses composantes (1995-2011)

Sources : OCDE, Macrobond, BSI Economics

Dans son étude, l’OCDE insiste sur l’importance du « Jobs Act », la nouvelle loi sur l’emploi de décembre 2014, qui vise à rationaliser la protection de l’emploi, à développer les politiques actives du marché du travail et à accroître l’efficacité de la protection sociale ainsi que le taux d’activité des femmes, tout en réduisant le coût du travail. L’étude préconise également un renforcement de la concurrence dans le domaine des services publics locaux et poursuivre la suppression des barrières à l’entrée dans les professions réglementées et le commerce de détail. L’OCDE précise néanmoins dans son étude que, pour atteindre cette croissance supplémentaire de 6,0 % en 10 ans, une mise en œuvre pleine et effective de ces réformes est nécessaire.

L’Italie et les Italiens ont déjà perdus 10 ans, marqués par la diminution de la richesse totale du pays et de la richesse par habitant. Désormais, la question n’est donc pas de savoir si les Italiens peuvent éviter de perdre une nouvelle décennie, mais plutôt comment ils peuvent éviter une nouvelle décennie perdue, synonyme de diminution de leur richesse par habitant. Avec un acquis de croissance[9] négatif (-0,1 %) au quatrième trimestre 2014 pour l’année 2015, la voie des réformes est la seule qui puisse permettre à l’Italie de retrouver le chemin de la croissance et de se projeter dans le futur. Non pas en 1990 ou en 2000, mais bien en 2025.

Notes:

[1]  Dans le cas de la France, Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat expliquent que depuis le milieu des années 1990, la stabilité de la situation française par rapport à l'ensemble de la zone euro résulte d'une baisse relative du PIB par habitant de l'Italie qui compense une hausse relative de celui de l'Allemagne. Cf. Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat. Le produit intérieur brut par habitant sur longue période en France et dans les pays avancés : le rôle de la productivité et de l’emploi, Economie et Statistique, février 2015 - n°474

[2]  L’utilisation des prix relatifs constants permet de mesurer les évolutions relatives dans le temps des PIB par habitant et calculer les taux de croissance.

[3]  Ce constat vaut également pour la France, qui a vu son PIB par habitant progresser moins vite que la moyenne des pays de l'OCDE.

[4]  Le PIB par habitant est calculé de la façon suivante : PIB par habitant = Part de la population en âge de travailler × Taux d'emploi × Productivité du travail par travailleur.

[5]  La part de la population en âge de travailler est calculée comme le ratio de la population âgée de 15 à 64 ans rapportée à l’ensemble de la population.

[6]  Le taux d’emploi est calculé de la façon suivante : (1 – taux de chômage) * taux d’activité

[7]  En référence auprogramme « La svoltabuona », présenté par Matteo Renzi en mars 2014

[8]  OECD EconomicSurveys : Italy 2015, février 2015

[9]  L'acquis de croissance du PIB pour 2015 correspond au taux de croissance de la variable entre l'année 2014 et l'année 2015 que l'on obtiendrait si le PIB demeurait jusqu'à la fin de l'année 2015 au niveau du dernier trimestre connu (T4 2014).

Hadrien Camatte est économiste dans une structure institutionnelle et a précédemment travaillé comme économiste-prévisionniste à la Direction Générale du Trésor, au sein du Bureau Diagnostic et Prévisions France. Il enseigne la conjoncture et la prévision à l'Ecole d'Economie de Toulouse. Il est diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce de Reims (Neoma Business School) et de l'Université Paris X-Nanterre.

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