Le gaz de schiste peut-il modifier la donne énergétique de la Pologne?

Résumé:

- Le mix énergétique polonais est dominé par le recours aux énergies fossiles, le charbon représentant près de 50% de la demande d’énergie primaire, le pétrole 25% et le gaz 12

- Les engagements européens, en termes de réduction des émissions de CO2, associés à une volonté d’indépendance vis à vis du voisin russe rendent nécessaire une diversification du mix énergétique. 

- Une étude américaine a estimé en 2011 les réserves en gaz de schiste de la Pologne à 5300 milliards de mètres cubes, premier bassin en Europe, alimentant le rêve de la classe politique polonaise d’une énergie domestique bon marché et poussant le gouvernement polonais à être un ardent précurseur en Europe de l’exploration de ces gisements.

- Les premiers forages s’avèrent pour l’instant décevants, les principales entreprises (Talisman, Exxon, Total) ayant décidé de suspendre leurs opérations et de se retirer. Les volumes exploitables ont en outre été revus à la baisse par l’Institut Géologique Polonais en 2012, estimant les réserves entre  350 et 770 milliards de mètres cube.

Alors que de nombreux pays européens à l’instar de la France, de la République Tchèque ou encore des Pays-bas interdisaient l’exploration principalement pour des raisons environnementales, la Pologne s’est affirmée, à contre-courant de cette tendance, comme une fervente supportrice en Europe d’un développement commercial du gaz de schiste. 

Soutenue par une évaluation très prometteuse des réserves exploitables faite en 2011 par l’agence américaine EIA (Energy Information Administration), la classe politique polonaise a cru tenir une solution à sa dépendance énergétique vis à vis de son voisin russe et à la nécessaire sortie du «tout charbon» exigée par la Commission Européenne.

Cependant, les premiers forages n’ont pas eu les résultats escomptés, relançant les spéculations sur la reproductibilité du modèle américain et sur l’orientation de la politique énergétique polonaise avec en filigrane des questions sur la compétitivité de l’industrie nationale.

Une politique énergétique polonaise sous fortes contraintes

Outre l’enjeu d’une énergie à moindre coût, l’engouement polonais pour les gaz dits non conventionnels s’explique par la nécessité pour la Pologne de faire évoluer son mix énergétique pour des raisons d’ordre géopolitique,règlementaire (objectif 20-20-20 de l’UE)et économique. Celui-ci est en effet largement dominé par le recours au charbon, dont le pays est abondamment doté. Selon des données du Ministère de l’Economie polonais pour 2011, le charbon représentait plus de 50% de la demande d’énergie primaire, suivi par le pétrole (25%), le gaz naturel (13%) et la biomasse (6%).

Or s’agissant d’hydrocarbures, la Pologne demeure particulièrement dépendante de son voisin russe. Selon les données de l’Agence Internationale pour l’Energie, le pays importe plus de 90% de son pétrole auprès de la Russie et 60% de son gaz. Ceci s’avère problématique compte tenu des tensions géopolitiques latentes entre les deux pays et de l’instabilité liéeentre autres à un acheminement délicat et parfois imprévisible (crise avec l’Ukraine en 2009 notamment). Plusieurs projets sont en cours pour désenclaver la Pologne et diversifier l’approvisionnement, dont la construction d’un terminal de gaz liquéfié (GNL) dans le nord du pays à Świnoujście, l’augmentation des capacités de stockage et le développement des connections avec des réseaux voisins (Allemagne, République Tchèque, Danemark, Slovaquie). 

La prépondérance du charbon s’affirme encore davantage dans le mix électrique, où il représente près de 90% de la production d’électricité du pays. Cette configuration s’avère problématique au  regard des objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) (-40% par rapport au niveau enregistré en 1990 à l’horizon 2030 dans la dernière proposition de la Commission). La Pologne refuse cependant une sortie précipitée du «tout charbon» pour des questions politiques évoquées précédemment mais aussi économiques et sociales, occultant largement l’enjeu environnemental.

La compétitivité de son industrie, très gourmande en énergie, repose en partie sur la faiblesse actuelle du prix du charbon, d’où son opposition massive à un abandon de ce dernier et son manque de coopération dans les négociations européennes pour fixer des objectifs ambitieux. L’impact environnemental apparaît ainsi encore largement relégué au second plan dans le débat énergétique, intéressant relativement peu la population et restant perçu comme une entrave extérieure au développement économique de la Pologne comportant un fort coût social (la filière employant plus de 125 000 personnes). 

En outre, une «remise au norme» des centrales au charbon nécessiterait des investissements conséquents à court/moyen terme, pesant sur le prix et donc sur la compétitivité de l’énergie domestique.  La mise en place de technologies de capture et stockage de carbone (CCS) demeure d’autant plus coûteuse, que le parc énergétique polonais est ancien (près de 60% des centrales ont plus de 25 ans et 44% plus de 30 ans) et que le charbon représente près de 70% des émissions de gaz à effet de serre émis par le pays. 

Enfin, ce recours massif au charbon pose également un problème de soutenabilité du modèle.  En effet, les réserves exploitables s’amenuisent et l’ouverture de nouvelles mines apparaît hautement improbable, étant donnée la réticence de l’opinion publique, la difficulté d’obtenir de nouveaux permis de forer et la faible rentabilité de ces nouvelles mines selon le principe des rendements décroissants, qui veut que dans le cadre de ressources limitées (ici le charbon), une augmentation des moyens de production entraîne un rendement supplémentaire moindre (car les mines les plus faciles d’accès sont exploitées au début). On estime qu’à production constante, les réserves actuelles dureraient environ 30 ans, avec une apparition des premières pénuries d’ici 10 ans. Or la demande en électricité, soutenue par les bonnes performances économiques du pays, ne faiblit pas (+1,5% en moyenne entre 2000 et 2009), contre une production en relative stagnation (+0,6% par an sur la même période). Pour faire face à cette demande, le pays est d’ailleurs devenu importateur net de charbon depuis 2009, soulevant donc à nouveau la question de l’indépendance énergique. 

L’enjeu de la diversification du mix énergétique est donc réel pour la Pologne, afin de conserver son indépendance si chèrement acquise auprès de la Russie, mais aussi afin de garder une énergie compétitive et durable pour soutenir le développement économique du pays.  Dans ce contexte, le gaz de schiste apparaît comme une source d’énergie de transition attrayante car moins couteuse que les énergies renouvelables et contrairement au gaz conventionnel possédant l’avantage de pouvoir être produit sur le sol polonais.

Le gaz de schiste est-il une alternative crédible ?

En 2011, l’agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA) estimait les réserves recouvrables de la Pologne en gaz non conventionnels à 5300 milliards de mètre cube, soit le bassin le plus large d’Europe représentant près de 300 années de réserves (à consommation constante de 2010). L’euphorie a cependant été de courte durée. Dès mars 2012, l’institut géologique polonais communiquait une fourchette comprise entre 350 et 770 milliards de mètre cube, soit 7 à 15 fois moins que l’estimation américaine. 

Décidé à devenir le fer de lance du gaz de schiste en Europe, le gouvernement polonais a cependant attribué plus d’une centaine de concessions d’explorations pour des durées de 3 à 50 ans. Elles ont principalement été accordées à des groupes polonais (PGiNG, PKN Orlen, Lotos et Petrolinvest), bien que des grands groupes étrangers soient également présents (Total, Exxon, Chevron entre autres).

Au 15 mai 2014, on recensait 80 concessions actives (contre 113 début 2013), réparties entre 30 bénéficiaires pour seulement 63 forages réalisés. Plusieurs groupes étrangers, dont Talisman, Marathon Oil et  Exxon, ont déjà annoncé la suspension de leurs opérations en Pologne, citant l’insuffisance des volumes de gaz exploitables, des conditions de forage délicates et une incertitude réglementaire. Cette faiblesse du nombre de forages est dommageable car elle ralentit l’estimation précise des réserves disponibles et pénalise le développement futur de la filière. 

Face au retrait de plusieurs investisseurs, le gouvernement a amendé deux textes législatifs régissant le secteur afin de créer un environnement économique plus favorable. Le premier (loi géologique) vise à simplifier la procédure d’obtention des concessions, en rendant notamment possible l’obtention simultanée d’une licence de prospection/ d’exploration et d’exploitation pour 10 à 30 ans à travers un appel d’offre transparent et l’absence sous certaines conditions de fournir une étude environnementale détaillée.

Le Premier Ministre Donald Tusk a également annoncé l’abandon de la création d’un opérateur national pour les énergies fossiles (NOKE) avec prise de participations obligatoires dans toutes les concessions. Enfin, la loi sur les hydrocarbures crée un système fiscal plus incitatif pour les investisseurs avec une absence de taxe spécifique jusqu’en 2020. Cependant, ces amendements, bien que positifs au regard des incitations pour les investisseurs à continuer les forages, ne donnent cependant aucune assurance sur la future économie du gaz de schiste. En effet, une exploitation commerciale nécessite des infrastructures performantes, un rattachement aux principaux réseaux gaziers du pays et la possibilité pour la concurrence de s’exercer.

Gaz conventionnel ou pas, le secteur gazier polonais demeure à un état embryonnaire, inadapté en l’état pour reproduire avec succès l’expérience américaine. Pour commencer, le réseau est pénalisé par un maillage trop peu dense, une grande portion du pays demeurant encore mal raccordée aux réseaux gaziers. Ainsi selon l’office statistique national,  54,6% des ménages n’avaient pas accès à au réseau de gaz en 2012, ce qui montre l’étendue des investissements à fournir. Actuellement, le maillage est beaucoup plus dense dans le sud-est du pays, de par la proximité avec un nombre important de centrales électriques, alors même que certains bassins potentiels de gaz non conventionnels se situent dans le nord et l’est du pays.

Ensuite, la concurrence sur le réseau gazier demeure encore limitée par les conditions de marché. L’entreprise publique PGNiG réalise plus de 97,5% des ventes de gaz sur le territoire et gère intégralement le réseau de distribution, rendant caduque à court-terme la libre concurrence instaurée en 2007. Enfin l’impact réel sur l’économie et l’emploi, en considérant la structure du marché polonais et les différences géologiques des gisements, demeure méconnu. Une incertitude persiste notamment au regard des particularités géologiques du sous-sol polonais sur les coûts d’exploitation du gaz de schiste. En l’état, il n’est pas assuré que l’exploitation de ces ressources soit moins chère que l’import (notamment en cas de meilleure négociation avec Gazprom ou d’une diversification des approvisionnements avec des livraisons de GNL en provenance du Qatar par exemple). Pour pallier à cette relative opacité, les gouvernements anglais et polonais ont néanmoins commissionné une étude commune sur l’impact du développement des gaz de schiste sur leurs économies respectives.

Conclusion

Ainsi, loin de la manne espérée, les gains de l’exploitation du gaz de schiste apparaissent pour l’instant hautement hypothétiques, dépendant aussi bien de la formation d’un marché du gaz compétitif que des avancées sur la mesure réelle des ressources en gaz non conventionnels. 

Cependant, le mouvement entamée vers une «mondialisation» du marché du gaz en lien avec la baisse des coûts des transports du GNL et l’essor des technologies d’exploitation des gaz de schiste pourraient permettre à la Pologne d’avoir une plus grande force de négociation vis à vis de Gazprom  et donc d’obtenir des hydrocarbures moins chers. 

Enfin, devant ce défi énergétique, la Pologne se tourne désormais également vers l’Europe en appelant à la construction d’une véritable union européenne de l’énergie (basée sur 6 piliers dont un mécanisme d’achat commun de gaz), qui permettrait à court /moyen terme de répondre à la volonté du pays de diversifier son mix énergétique vers plus de gaz tout en sécurisant son approvisionnement.

Références:

- Boersma, T., Johnson, C. (2012),  Energy (In) security in Poland: the case of shale gas, Elsevier

- International Energy Agency (2011), Energy Policies of IEA Countries: Poland 2011, OECD Publishing.

- US Energy Information Administration (2011), World Shale Gas Resources: An Initial Assessment of 14 Regions Outside the United States.

- Résolution no. 202/2009 duConseil des Ministres polonais, (2009), Politique énergétique de la Pologne pour 2030

-  Su R. (2014),  «Conférence climatique : la Pologne a-t-elle raté son pari ?», Le Courrier de Pologne

Diplômée de l'ESCP Europe, majeure Economie, Marion Blache a travaillé dans le réseau de la Direction Générale du Trésor en tant qu'attaché économique pour l'Europe centrale et balte.  Ses centres d'intérêt se portent sur les questions européennes et  les problématiques de développement.

 

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