République Tchèque : l’importance d’une banque centrale forte

Forward guidance et dévaluation : les réponses de la banque centrale tchèque face à la crise

Résumé

- La République Tchèque traverse une récession depuis deux ans, expliquée par la conjoncture défavorable de ses partenaires commerciaux et par la demande intérieure morose.

- La marge de manœuvre du gouvernement tchèque est étroite, entre rigueur budgétaire et soutien à la consommation.

- Confrontée à des pressions déflationnistes et ayant atteint le « zero lower bond », la Banque centrale tchèque est contrainte de recourir à des politiques monétaires moins conventionnelles, comme la forward guidance et la dévaluation.

- Dans le contexte tchèque, ces politiques semblent particulièrement pertinentes en raison de sa dépendance aux exportations.

Après avoir connu un rebond de sa croissance en 2010-2011 grâce à ses exportations vers les pays de la zone euro, dont notamment l’Allemagne son principal partenaire commercial, la République Tchèque a rechuté. Victime du fort ralentissement de la croissance en zone euro, elle a vu la demande extérieure s’effondrer. Le ralentissement conséquent des exportations a ainsi entraîné le pays dans la récession au cours des deux dernières années.

Cela a d’autant plus été le cas que la demande intérieure est atone. La morosité de la consommation des ménages pourrait être expliquée par un comportement d’épargne de précaution, qui serait compréhensible en période de crise et de forte incertitude quant à l’avenir. Il n’en est rien : le taux d’épargne des ménages s’est fortement contracté entre 2012 et 2013, passant de 10,8% à 9%. La raison est à chercher du côté des salaires, qui ont baissé en termes réels (-1,3%) pour la deuxième année consécutive. Aussi, le pouvoir d’achat des ménages se réduit. Cette évolution des salaires s’explique par des facteurs caractéristiques en temps de crise : augmentation des emplois à temps partiel et poids croissant du secteur informel. Toutefois, elle résulte également de la reconstitution des marges des entreprises, considérablement réduites entre 2009 et 2012 au profit des hausses de salaires, qui pourrait se révéler positive à plus long terme.

Par ailleurs, l’économie tchèque est confrontée à des pressions déflationnistes. Celles-ci résultent de la faiblesse de la demande intérieure, de l’abaissement des prix administrés, comme l’électricité, et de la baisse du cours des hydrocarbures que le pays importe. Fin 2013, l’indice des prix à la consommation hors produits alimentaires s’était même contracté, laissant planer le spectre de la déflation.

Un gouvernement entre rigueur et soutien de la demande

Face à cette conjoncture particulièrement difficile, le gouvernement tchèque semble tiraillé entre rigueur budgétaire, permettant au pays d’emprunter à des taux faibles (2,01% à 10 ans actuellement, environ au même niveau que la France et nettement en dessous des autres Peco), et soutien à la consommation. D’une part, un accroissement de la TVA de 20 à 21% pour la période 2013-2015 et une baisse des dépenses sociales ont été votés. D’autre part, une troisième TVA, de 10%, sur les livres, les médicaments et les aliments pour bébés, entrera en vigueur en 2015, s’ajoutant à la TVA réduite (15%) déjà existante. 

L’abolition des frais réglementaires médicaux, les allègements fiscaux concernant les salariés, les familles nombreuses et les retraités, dont les pensions seront par ailleurs revalorisées, sont autant de mesures soutenant la consommation qui entreront en vigueur en 2015. Toutefois, le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre budgétaire restreinte. L’ensemble des mesures évoquées, davantage comparables à des coups de pouce qu’à un vaste plan de relance, ne sauraient suffire pour améliorer substantiellement la conjoncture économique du pays.

Le rôle de la banque centrale tchèque (CNB) est donc crucial, dans la mesure où elle dispose du second outil de politique économique : la politique monétaire. La CNB est indépendante du gouvernement. Elle a pour mandat de maintenir la stabilité des prix. L’inflation doit ainsi rester autour de 2%, contenue dans une bande de fluctuation de +/- 1 %. Etant confrontée à des tensions déflationnistes et ses taux étant déjà particulièrement bas, la CNB se voit contrainte de tenter des politiques monétaires moins conventionnelles.

Forward guidance et dévaluation : les réponses d’une banque centrale sans marge de manoeuvre

La CNB a adopté une stratégie de communication particulière, appelée « forward guidance », dès janvier 2008. Celle-ci fut dans un premier temps de forme delphique, dite de façon plus courante « soft ». Elle publiait ses prévisions de taux d’intérêt directeur, à titre d’information, rendant ainsi l’avenir moins incertain pour les investisseurs. Un an plus tard, elle a décidé de publier également des prévisions concernant le taux de change de la couronne tchèque vis-à-vis de l’euro, devenant la première banque centrale à le faire vis-à-vis d’une monnaie spécifique.

En novembre 2012, ayant abaissé son taux directeur à 0,05%, et donc atteint le « zero lower bond », la banque centrale tchèque a renforcé cette stratégie de communication. Ne pouvant baisser davantage son taux d’intérêt, la question pour les investisseurs était de savoir quand elle le remonterait. Afin d’éviter toute spéculation sur le moment où elle remonterait son taux d’intérêt, la CNB a décidé d’annoncer, non plus ses propres prévisions de l’évolution potentielle du taux d’intérêt, mais le délai qu’elle se laisse avant de le remonter. La forward guidance a notamment été utilisée par la banque centrale de Suède et, surtout, la FED. Elle permet de limiter la spéculation des investisseurs en ancrant leurs anticipations, en leur donnant des repères fixes et des engagements concrets. Cette politique monétaire expansionniste n’a toutefois pas permis de relancer la demande intérieure, restée relativement insensible.

Le 7 novembre 2013, la banque centrale a décidé, face à l’inefficacité de l’outil du taux d’intérêt pour relancer l’économie, d’utiliser le taux de change comme instrument de politique monétaire, procédant à une dévaluation de la couronne tchèque. Celle-ci est alors passée de 25,8 à 27 CZK pour 1 EUR.

Depuis, la banque centrale a également appliqué une stratégie de forward guidance concernant le taux de change de sa monnaie. Elle s’engage à exercer un contrôle asymétrique du cours de la couronne face à l’euro. En d’autres termes, à ne pas la laisser s’apprécier au-delà de 27 CZK pour 1 EUR, et laisser jouer les mécanismes de marché en cas de dépréciation. Selon les annonces du conseil de direction de la banque, cet engagement vaudra tant que les risques d’atteindre une inflation inférieure à la cible de 2% resteront significatifs. Toujours selon les estimations de la banque centrale, cet engagement ne devrait pas être remis en cause avant, au plus tôt, début 2015. Depuis la dévaluation, la couronne est restée relativement stable, s’étant légèrement dépréciée par rapport à l’euro pour s’établir à 27,45 CZK.

Une solution pertinente dans le cas tchèque

En procédant à une dévaluation de sa monnaie, la banque centrale tchèque a souhaité rendre les entreprises exportatrices plus compétitives, tout en ne pénalisant pas davantage la consommation intérieure. Cette option a, comme toute politique économique, des effets néfastes : elle entraîne des pressions inflationnistes et alourdit le poids de la dette en devise. La monnaie devenant relativement plus faible, les biens étrangers importés en dollars ou en euros coûtent plus chers, et causent une inflation importée. De même, la dette libellée en dollars ou en euros devient mécaniquement plus importante. Cependant, la République Tchèque n’est pas exposée à ces risques dans la mesure où elle fait, au contraire, face à des pressions déflationnistes, et que sa dette est faible (45% du PIB) et essentiellement libellée en monnaie locale (81%).

Aussi, cette option de politique économique semble particulièrement pertinente, d’autant plus dans une économie où les exportations représentent 77% du PIB. Le commerce extérieur a toujours été le principal facteur de croissance en République Tchèque, notamment grâce à l’intégration extrêmement poussée du pays dans la chaîne de production européenne.

L’industrie automobile (8% du PIB et 23% de la production industrielle) y est ainsi extrêmement présente, en raison de la relative qualification et du faible coût de la main d’œuvre, qui en fait l’une des économies les plus compétitives du continent. Sa proximité géographique avec l’Allemagne en fait un partenaire de choix pour les constructeurs automobiles germaniques, comme Volkswagen, qui y assemblent leur production. A cet égard, la production automobile a nettement rebondi au cours du second semestre 2013, progressant notamment de 8,7% en glissement annuel au troisième trimestre, contre une baisse de 13,2% au premier semestre. Le secteur a particulièrement profité du dynamisme de la compagnie locale Skoda, détenue par le groupe Volkswagen, qui a concentré plus de la moitié (57%) des véhicules assemblés dans le pays en 2013.

Toutefois, cette politique menée par la banque centrale n’est pas sans risque. La stratégie de « sortie » sera périlleuse. Le risque de forte appréciation de la monnaie dès la fin de la forward guidance réduirait alors à néant les effets positifs remarqués jusqu’alors sur la compétitivité des exportations et in fine sur la croissance, si l’économie, et notamment la consommation privée, ne retrouve pas sa vigueur d’ici là.

Conclusion

L’économie tchèque, en récession depuis deux ans, pâtit de la conjoncture difficile de ses voisins, mais également de la morosité de la demande intérieure. Le gouvernement, contraint à une certaine rigueur budgétaire, semble sans marge de manœuvre nécessaire pour soutenir suffisamment la consommation. Par conséquent, la politique monétaire de la banque centrale tchèque est donc cruciale pour relancer l’activité.

Dans l’incapacité de baisser son taux d’intérêt directeur, ayant atteint le « zero lower bond », la CNB a alors utilisé toute la palette d’outils de politique monétaire à sa disposition. Elle a ainsi procédé à une stratégie de forward guidance, puis à une dévaluation de la couronne, qui semble particulièrement pertinente dans le cadre de l’économie tchèque. Le recours à la dévaluation semble prendre tout son sens dans ce contexte de consommation atone et de tensions déflationnistes.

L’exemple tchèque illustre combien la possibilité de recourir à sa propre politique monétaire peut être bénéfique, notamment en temps de crise. La perte de cet outil est une des principales raisons du progressif désintérêt des pays voisins non membres vis-à-vis de la zone euro, au-delà du ralentissement économique de ses leaders. Ainsi, bien que remplissant tous les critères du traité de Maastricht nécessaires à l’entrée dans l’euro, la République Tchèque n’a pas fixé de date d’adoption de la monnaie unique, sous recommandation de la CNB et du ministère des Finances. Le gouverneur de la CNB, Miroslav Singer, a récemment déclaré qu’elle ne devrait pas intervenir avant, au plus tôt, 2019. L’engouement des Peco pour l’euro lors de leur entrée dans l’Union européenne en 2004, et jusqu’à la crise souveraine grecque, semble désormais bien loin.

Bibliographie :

Site de la Banque centrale tchèque

Institut statistique de République Tchèque

Base de données du Fonds Monétaire International (FMI)

Diplômé de l’Université Paris Dauphine en Diagnostic économique, Bruno Fernandes travaille actuellement en tant qu’économiste risque pays au sein du département de la recherche économique du groupe Coface, après une expérience en analyse sectorielle chez Xerfi. Ses centres d’intérêt portent sur les économies émergentes et notamment les risques inhérents à leur développement.

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