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OMC : comprendre l’accord de Bali et ses enjeux

Résumé :

– Après des années sans trouver d’ententes, l’accord de Bali dans le cadre de l’OMC devrait amorcer une nouvelle ère pour le système d’échanges commerciaux dans le monde ;

– Les blocages au niveau des négociations étaient notamment dus au nombre important de pays membres et à leurs divergences, rendant difficile tout accord, obligatoirement accepté par tous les membres afin d’être validé ;

– Les négociations accouchent d’un accord à minima sur trois sujets : facilitation des échanges (limitation des barrières administratives), l’agriculture (constitution temporaire des stocks alimentaires de denrées de base) et le développement (exonération de droit de douanes pour certains produits en provenance des pays les moins avancés) ;

– Cet accord présente une opportunité non négligeable mais reste insuffisant face aux défis actuels, notamment concernant la concurrence accrue des accords bilatéraux.

 

L’accord de Bali (Indonésie) du 7 décembre 2013, issu de la 9ème Conférence ministérielle de l’OMC intervient après une longue période de blocage du système commercial multilatéral. En effet, cela faisait près de 20 ans qu’aucun accord commercial global n’avait été trouvé. Cet accord intervient après l’élection du nouveau directeur général de l’OMC (Roberto Azevedo) et plusieurs semaines de négociations. Potentiellement, cet accord pourrait marquer le début d’une nouvelle dynamique de négociation même si sa portée a volontairement été minimaliste afin d’éviter un nouveau blocage potentiellement létal pour cette organisation.

 

Eléments de compréhension concernant l’OMC

L’OMC succède au GATT et son champ d’action est clairement identifié. En effet, l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) est créé en 1995 et prend le relais du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) qui était un accord transitoire signé en 1947. Alors que le GATT s’appliquait uniquement au commerce des marchandises, l’OMC englobe également le commerce des services et les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. L’OMC est dirigée par une Conférence interministérielle composée de représentants de tous les Etats-membres et aidée par un Conseil général.

L’OMC ne dispose pas de pouvoirs supranationaux. Autrement dit, aucun pays ne peut être contraint d’accepter des règles auxquelles il n’aurait pas souscrit. En effet, une des spécificités de cette organisation internationale est d’être basée sur le principe du consensus entre pays membres et sur la règle du « un pays, une voix ». In fine, la combinaison de ces deux règles donne de facto un quasi droit de veto à chaque nation et rend très difficile la conclusion d’un accord. Toutefois, la procédure de règlement des différends (via « l’Organe des Règlement des Différends » – ORD) donne à l’OMC le pouvoir d’autoriser des pays à en sanctionner d’autres si ces derniers n’ont pas respecté les règles.

L’OMC est l’émanation institutionnelle du système commercial multilatéral. Le multilatéralisme de l’OMC vise à instaurer des règles communes entre plusieurs Etats. En pratique, cela passe par des négociations interétatiques afin d’édicter collectivement des règles. Dans le cadre de l’OMC, les nations membres ont pris un certain nombre d’engagements : d’une part, ils doivent respecter des accords contraignant leurs politiques commerciales et, d’autre part, entrer dans des négociations pour libéraliser le commerce mondial (baisse des barrières tarifaires -droits de douanes- et non-tarifaires -normes…-).

Il existe deux principes fondamentaux du multilatéralisme de l’OMC :

– la « réciprocité », c’est-à-dire qu’un pays concède l’ouverture de son marché national dans la mesure où les autres pays acceptent de le faire également ;

– la « clause de la nation la plus favorisée », autrement dit le fait que les avantages commerciaux consentis par un pays doivent bénéficier à tous les autres Etats-membres, ce qui empêche les discriminations.

Jusqu’à l’accord de Bali, le système commercial multilatéral de l’OMC était en crise. Même si cette crise n’est pas encore dépassée, il n’en demeure pas moins que les craintes à court terme quant à la capacité de l’OMC à faire évoluer le commerce international sont moins prononcées et que cet accord peut représenter une opportunité pour offrir une nouvelle dynamique aux échanges mondiaux.

 

Raisons du blocage du système commercial multilatéral de l’OMC

Il convient tout d’abord de souligner les raisons techniques et mécaniques expliquant pourquoi les négociations commerciales au sein de l’OMC peinent à faire émerger des consensus :

– En effet, le nombre de pays a augmenté depuis la création de l’OMC passant de 120 membres en 1995 à 160 aujourd’hui (le dernier signataire en date étant le Yémen). Techniquement, il est plus compliqué de trouver un accord lorsque le nombre de pays impliqués est élevé, à fortiori quand un accord doit être adopté à l’unanimité.

– Ensuite, le cycle initial de négociation (cycle de Doha) touchait initialement un grand nombre de sujets. Or, le mécanisme de négociation de l’OMC fait qu’un accord n’est atteint que s’il est accepté dans sa globalité. Dès lors, soit il y a un accord global soit il n’y a pas d’accord. Ainsi, plus l’objectif est ambitieux plus il est compliqué de s’accorder dessus.

– Enfin, notons que ce qui était relativement simple à obtenir pendant les négociations a déjà été obtenu. Dès lors, il reste les points les plus problématiques et sur lesquels les pays n’ont pas voulu libéraliser davantage car souvent les plus délicats politiquement (« noyau dur » des négociations).

En plus de ces raisons techniques et mécaniques, des éléments explicatifs touchant à l’évolution du contexte des négociations peuvent être apportés :

En effet, concomitamment à la progression des négociations, la nature même de la mondialisation a évolué avec :

 

  1. des pays émergents de plus en plus puissants ;
  2. la fragmentation accrue de la chaîne de production mondiale qui transforme la notion de « secteur d’activité » (rendant ainsi les frontières entre chaque activité plus poreuses et moins facilement identifiables) et qui multiplie le nombre de fois où des biens intermédiaires doivent traverser les frontières pour permettre l’élaboration d’un produit final ;
  3. l’accroissement du contenu en service des biens manufacturiers ;
  4. l’évolution des prix des matières premières ;
  5. l’évolution des centres d’intérêts des pays qui négocient ;

Parallèlement, la complexification accrue des mesures protectionnistes prises par les Etats rend les négociations plus difficiles. En effet, il y a l’émergence significative des problématiques liées aux barrières non-tarifaires, quand les négociations portaient principalement sur les barrières tarifaires. Concrètement, les négociations commerciales consistaient auparavant très largement à diminuer les droits de douanes, alors que dorénavant cela est plus compliqué car les protections sont devenues multiformes avec par exemple les questions de propriété intellectuelle, de protection des investissements ou de négociation sur les marchés publics.

Toutes ces évolutions liées au contexte reviennent in fine à devoir négocier sur une problématique définie il y  20 ans alors que les politiques commerciales font face à un contexte passé d’une surproduction avec une tendance à la baisse des prix, vers un contexte inverse où la tendance est à la sous-production et à la hausse des prix.

 

Eléments à retenir de l’accord de Bali

La conférence interministérielle de Bali portait sur trois sujets. L’objectif est loin de correspondre à l’agenda initial des négociations car il porte sur un périmètre restreint lié à la facilitation du commerce ainsi qu’à deux sous-ensembles relatifs à l’agriculture et au développement. Plusieurs sujets ont été exclus des négociations comme les droits de douanes, ou encore les normes sanitaires ou environnementales applicables aux produits importés. Au final, les trois sujets considérés sont :

– la facilitation des échanges (par une simplification des procédures douanières) ;

– l’agriculture (notamment en matière de subventions) ;

– le développement (mesures liées au Pays les Moins Avancés – PMA)

 

Les négociations accouchent d’un accord à minima. En effet, l’accord est d’ailleurs surnommé « Doha Light » en référence à son caractère restreint quant à l’étendue et la portée des sujets abordés. Sur chaque pilier, les avancés pratiques sont :

– Concernant la facilitation des échanges, l’accord revient à réduire la bureaucratie aux frontières. En effet, les pays se sont notamment accordés pour numériser les documents douaniers, recourir à internet, simplifier les procédures, accélérer le passage en douane des denrées périssables. Cependant, tous les pays ne doivent pas appliquer ces mesures selon le même agenda. En effet, les pays développés peuvent mettre en œuvre ces mesures rapidement, quand les pays en développement ont deux ans pour le faire et les pays moins avancés (PMA) quatre.

– Concernant l’agriculture (principal sujet de blocage jusque-là), un groupe de 33 pays (le G33) mené par l’Inde a obtenu le droit de constituer des stocks alimentaires de denrées de base. L’objectif est de pouvoir faire face à une volatilité des prix et ainsi subvenir aux besoins de sécurité alimentaire pour une population sensible aux évolutions brutales de prix. Notons qu’avec une année électorale en 2014, les intérêts de politique interne en Inde ne sont pas absents. Le mécanisme revient à ce que les gouvernements des pays concernés puissent acheter des produits agricoles auprès de ses agriculteurs, et ce à des prix supérieurs aux prix du marché pour pouvoir ensuite les revendre à bas prix aux populations. Toutefois, étant donné que cette mesure s’apparente à une subvention de la production nationale, et que cela dépasse les 10% tolérés par l’OMC, ce mécanisme ne pourra être pérenne et devra trouver une solution durable dans un délai de quatre ans.

– Enfin, concernant le volet développement, et afin de mieux s’insérer dans le commerce mondial, les 49 pays les moins avancés se voient accorder une franchise de droits de douanes des produits dont 25% seulement de la valeur ajoutée auront été générés au sein de ces pays. Autrement dit, les pays pauvres augmentent le nombre de produits exportés qui sont exonérés de droits de douanes à destination des pays industrialisés.

Les effets économiques attendus sont potentiellement importants mais difficilement évaluables. En effet, d’une part ces mesures prendront du temps à être ratifiées, puis à être mises en place et enfin à produire leurs effets, et d’autre part, il est toujours difficile d’attribuer un impact précis à un accord particulier car ces mesures qui s’inscrivent dans un contexte d’ensemble dans lequel il est difficile d’isoler des facteurs spécifiques. Néanmoins, et même si ces chiffres sont probablement surestimés, il semble que les mesures portant sur les facilitations d’échange puissent accroitre le PIB mondial d’environ 1’000 milliards de dollars (600 milliards pour les pays émergents et 400 milliards pour les pays industrialisés), et ainsi créer 21 millions d’emplois (18 millions dans les pays émergents et 3 millions dans les pays industrialisés).

Malgré une portée restreinte, l’accord a le mérite d’exister. En effet, dans le jargon de l’OMC, cet accord est un « low-hanging fruits » (NDLR : les fruits les plus bas de l’arbre peuvent être cueillis facilement), ce qui sous-entend que « les fruits en haut de l’arbre sont les plus difficiles à atteindre ». Autrement dit, comme un accord plus ambitieux n’est probablement pas atteignable avant beaucoup de temps et d’efforts, il est préférable dans un premier temps de se satisfaire d’une avancée même mineure. En outre, le système commercial multilatéral faisait face depuis de nombreuses années à un tel blocage que l’OMC en était réduite à son seul organe de règlement des différends. Dès lors, un nouvel échec aurait hypothéqué l’avenir de l’OMC car sa capacité à faire évoluer le commerce international et sa légitimité auraient été profondément, et de façon probablement irrémédiable, remises en cause.

 

Eléments de perspective

L’accord de Bali constitue une opportunité pour le système commercial multilatéral de l’OMC de sortir de crise. Même si cette dernière n’est pas encore dépassée et si les raisons de cette crise sont fondamentalement toujours présentes, il n’en demeure pas moins que les craintes à court terme quant à la capacité de l’OMC à faire évoluer le commerce international sont moins prononcées et que cet accord peut représenter une opportunité pour offrir une nouvelle dynamique aux échanges mondiaux alors que le rythme de ces derniers s’est significativement ralenti sous l’effet de la crise globale.

Néanmoins, cet accord ne peut constituer à lui seul une solution pérenne au blocage du système commercial multilatéral. En effet, plusieurs aspects conjugués pourraient aider cette organisation à sortir du blocage partiel dans lequel elle se trouve, à savoir : (1) ne pas essayer d’obtenir un accord global mais tenter de procéder par « petites touches » en s’orientant vers l’accumulation de petits accords peu ambitieux, (2) réviser les procédures internes de négociation, et enfin (3) essayer de développer les accords plurilatéraux (plusieurs acteurs) afin d’initier une dynamique incitative pour les autres pays. Bien entendu cette liste n’est pas exhaustive et n’a pas la prétention de pouvoir résoudre des problèmes qui sont inhérents à l’architecture même de l’OMC, dont la philosophie générale très particulière repose en substance sur l’idée que le consensus émerge du conflit, et que les négociations avancent par chocs et étapes, à l’inverse d’un mouvement idiosyncratique de l’ensemble des négociations.

Au-delà des défis à court terme, la problématique renvoie à la capacité du système multilatéral à lutter contre l’émergence des accords bilatéraux concurrents. Le blocage du cycle de négociation a conduit les principaux acteurs du commerce mondial souhaitant faire progresser la libéralisation des échanges à changer d’approche en passant des accords alternatifs bilatéraux (entre deux pays) en dehors du cadre de l’OMC. Plusieurs accords de ce type se développent entre grandes nations, même si l’objectif stratégique peut également renvoyer à la volonté d’isoler la Chine sur la scène internationale, notamment au travers de l’accord Transatlantique (UE-USA) Trans-pacifique (USA-pays asiatiques). Au-delà de la « concurrence »  engendrée par ses accords sur le système de l’OMC, la multiplication de ces accords peut également avoir un effet global moins bon que le fait de ne pas avoir d’accords. En effet, ils entraînent potentiellement un « détournement de commerce », c’est-à-dire un mécanisme par lequel un pays va être amené à accorder un tarif préférentiel à un pays (et donc importer prioritairement depuis ce pays) alors qu’il n’est pas nécessairement optimal pour lui, mais simplement parce qu’il existe un accord avec ce pays. Au final, le véritable enjeu pour l’OMC est d’esquisser les voies lui permettant de rester pertinente dans la définition des règles du commerce international.

L'auteur

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