« La descente aux enfers est finie en Europe »

Résumé :

- 2014 devrait être l’année du retour de la croissance pour les économies avancées même si les pays concernés par une reprise devront confirmer leur récent regain de forme.

- La mise en place de réformes structurelles entre 2008 et 2013 devrait contribuer à corriger certains déséquilibres en Zone Euro mais même si les signaux sont encourageants les effets attendus tardent à se manifester.

- Le manque de confiance, le problème d’allocation des prêts et de l’investissement pourraient minimiser l’impact des réformes sur la croissance et ainsi menacer la reprise dans les économies avancées.

La notion de risque pays n’est pas exclusivement réservée aux pays émergents et les dernières années l’ont bien démontré au vu des multiples difficultés rencontrées par les économies avancées. Depuis 2007, ces dernières sont rentrées dans une longue spirale négative : séisme financier, manifestations de déséquilibres macroéconomiques, croissance nulle ou négative, chute de l’investissement, hausse du chômage. Entre temps, des ajustements ont été réalisés et des réformes ont été entreprises. Le message principal se dégageant du colloque annuel risque pays de Coface est que l’espoir est permis en 2014 d’assister à un retour de la croissance et de la stabilité dans les économies avancées, mais la prudence est de rigueur car certains risques ne sont pas complètement éliminés ou écartés.

Des signes encourageants

Après six années de crise, dont l’épicentre s’est déplacé au sein des économies avancées entre les Etats-Unis et l’Europe, 2014 pourrait donc être l’année qui marque le pas et s’annoncerait comme « la fin de la descente aux enfers » selon Y. Zlotowski, économiste en chef de Coface. Ce dernier a dressé un bilan plutôt positif (ou du moins peu négatif) de la situation des pays développés :

« Corporate America is back », tel est le slogan pour caractériser les performances récentes des entreprises américaines : un endettement faible, une minimisation de la contrainte énergétique grâce à l’exploitation du gaz de schiste (prix de l’énergie aux USA étant égal à près d’un tiers des prix en Union Européenne) et une politique monétaire accommodante soutenant l’activité. Cette dernière sera poursuivie tant que les objectifs de plein emploi ne seront pas remplis, mais le ralentissement annoncé de la politique de soutien de la Federal Reserve (FED) pourrait éventuellement présenter un risque dans le cas où l’économie américaine serait encore trop dépendante de l’injection continue de liquidités par la FED ;

La Zone Euro agrégée devrait enregistrer une croissance positive en 2014, mais une forte disparité existe entre les pays. L’Allemagne étant le symbole d’une Europe en bonne santé, avec une contribution significative et positive de la consommation à la croissance du PIB, elle devrait continuer d’être la locomotive de la zone. En France, la consommation soutient aussi tant bien que mal une croissance atone, qui démontre une forme de stabilité et de vulnérabilité, accentuée par un chômage persistant. Malgré une hausse inquiétante du nombre de défauts des entreprises, les coûts liés à ces faillites restent moins élevés qu’en Allemagne, où pourtant le nombre de défaillance est plus faible. Dans les pays de la périphérie, les dérapages des finances publiques et des comptes courants continuent de peser lourdement sur les économies. Mais les réformes entreprises ont permis de relancer les exportations, notamment en Espagne et en Irlande, grâce à une meilleure compétitivité prix, cependant cela reste insuffisant pour faire baisser un chômage de masse.

Au Royaume-Uni, malgré un solde public déficitaire et un endettement public et privé élevé, une reprise prend forme. Ici aussi, la politique monétaire est très accommodante et la Banque d’Angleterre contribue à maintenir l’activité. Toutefois l’économie britannique repose beaucoup sur les services financiers mais surtout sur le secteur de la construction, très volatil, qui ne réalise pas de gains de productivité et est sujet aux bulles spéculatives.

Le Japon connait lui aussi une détérioration de ses finances publiques mais peut compter sur les effets des Abenomics pour assurer une croissance positive. Comme en Allemagne, la consommation contribue significativement à la croissance du PIB, notamment avec à un effet richesse positif grâce à la hausse du Nikkei et à une baisse de l’épargne. Même si les entreprises bénéficient de la reprise, les salaires n’en ont pas encore profité.

Une divergence et des déséquilibres…

Comme l’a précisé J.C. Trichet, ancien Président de la Banque Centrale Européenne (BCE) dans son discours d’introduction, l’épicentre de la crise s’est déplacé des Etats-Unis à l’Europe et plus particulièrement en Zone Euro. Cette dernière a traversé plusieurs années difficiles avec la manifestation des risques privé puis souverain, générés entre autre par une importante accumulation de déséquilibres macroéconomiques et financiers.

Malgré une convergence des économies européennes au cours des années 1990 pour entrer dans la Zone Euro, la fin des années 2000 démontre que cette convergence fut bien imparfaite. Le Pacte de Stabilité de Croissance (PSC) ne pouvait à lui seul l’assurer, d’autant plus que les sanctions prévues par le PSC n’ont pas été appliquées lorsque que l’Allemagne ou la France ne l’ont pas respecté. En se focalisant sur les finances publiques, la Zone Euro a sans doute oublié de prêter un regard suffisamment attentif : à l’endettement privé, au risque de crédit et aux déséquilibres des comptes courants.

Le risque privé a finalement rattrapé la Zone Euro est s’est mué en risque souverain, générant ainsi une importante dégradation des finances publiques dans certains pays, une chute brutale de l’activité et une hausse spectaculaire du chômage. L’Europe en ressort très fragmentée et a du s’atteler à corriger ces déséquilibres via de nombreuses réformes.

Des réformes et des ajustements certes…

Améliorer la compétitivité des entreprises fut très vite annoncé comme le principal chantier et cheval de bataille de la Zone Euro pour renouer avec la croissance. De nombreuses réformes ont alors été entreprises dans l’ensemble de l’Europe pour répondre à cet objectif. C’est surtout dans les pays les plus fragiles (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne), déficitaires au niveau de leur balance courante, qu’ont été mises en place des réformes de grande envergure afin de renforcer leur compétitivité prix, via la baisse des coûts salariaux unitaires et une réforme du marché du travail. L’ajustement des salaires, la réduction des cotisations, le recul de l’âge de départ à la retraite sont autant d’éléments devant renforcer la compétitivité des entreprises via l’apparition de gain de productivité et la baisse des prix.

Depuis 2008, c’est surtout dans les pays dits de la périphérie que des résultats sont observés, comme l’Irlande et l’Espagne, ou la Grèce dans une moindre mesure. La réduction du déficit de leur balance commerciale n’est pas exclusivement imputable à une hausse de leurs exportations mais également à la baisse de leur niveau d’importations, notamment due aux processus de désendettement privé et public. L’Allemagne avait entamé son ajustement au cours des années 2000 et n’a pas eu à poursuivre d’autres réformes, sa compétitivité (prix et hors prix) étant déjà forte. Toutefois, elle doit comme d’autres pays excédentaires au niveau de leur balance courante (Pays-Bas, Autriche et Finlande) mettre en place des mesures afin de promouvoir sa demande intérieure, notamment pour encourager le retour de l’investissement. L’Italie connait par contre des déboires politiques et économiques et n’a pas encore entrepris suffisamment de réformes, à tel point que peu à peu elle est considérée comme un pays de la périphérie. La France n’est pas dans une situation comparable à celle de l’Italie, mais fait partie des pays les moins réactifs pour prendre des mesures significatives afin de répondre aux objectifs de croissance et de compétitivité.

Pour P.C. Padoan, secrétaire général adjoint et économiste en chef à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), les réformes structurelles sont plus que nécessaires mais peuvent malheureusement mettre du temps à produire des effets significatifs. Ce retard est d’autant plus important quand il y a un manque manifeste de confiance, ce qui est encore le cas dans de nombreux pays.

… mais aussi un retour de l’investissement

La confiance est un concept fortement lié à la liquidité. Et actuellement, même si « la descente aux enfers » s’avère derrière nous, une reprise robuste ne pourra être assurée sans retour de la confiance. La crise de sous liquidité sur le marché interbancaire (suite à la crise des subprimes), le processus de désendettement des agents économiques entrepris après 2008, ainsi que le phénomène de deleveraging du système bancaire ont fortement affecté le cycle du crédit. Les économies de la Zone Euro ont dès lors été sous alimentées en liquidité malgré l’injection massive de la BCE.

Ce manque d’investissement n’est pas propre aux économies dites de la périphérie mais concerne toute la Zone Euro, également les pays en bonne santé. Si la liquidité ne parvient pas aux entreprises sous forme de nouveaux crédits, les efforts consentis par les pays, qui ont mis en place des réformes structurelles, risquent d’être vains. Le risque étant qu’une spirale négative s’instaure : peu de crédits aux entreprises, pas de reprise de l’investissement, faible activité, moindre impact des réformes, hausse du risque social, défiance des marchés, crise de confiance, raréfaction de la liquidité. Ce constat est celui de P.C Padoan et est repris par A. Bentejac, président fondateur d’OMEA TELECOM, qui suggère la mise en place de politiques publiques créant des incitations à l’investissement. De telles incitations pourraient éventuellement s’avérer efficaces mais insuffisantes, si elles ne sont pas accompagnées dans le même temps d’une baisse des taux d’intérêt pour les entreprises.

L’autre problème essentiel lié au manque d’investissement est celui de l’allocation de ce dernier. Si l’investissement se dirige vers des secteurs produisant des biens et des services non marchands, il ne sera pas forcément efficace. Même si ces secteurs présentent l’avantage d’offrir un meilleur retour sur investissement, ils ne dégagent quasiment pas de gains de productivité et sont de plus très volatils (comme le secteur de la construction et de l’immobilier). Des entreprises dans le secteur marchand pâtissent de ce manque et il est très difficile pour une jeune firme européenne innovante de pouvoir se financer auprès des banques sans payer des taux d’intérêts élevés.  J. Santiso, directeur de Telefonica, fournit à cet effet le chiffre suivant : depuis 20 ans, une entreprise innovante en Europe est parvenue à rentrer dans le Top 500, contre vingt aux Etats-Unis. Le modèle du Mittlestand allemand, avec la forte compétitivité et attractivité de ses petites et moyennes entreprises (PME) semble ne pas encore trouver d’écho chez ses voisins.

Conclusion

Les économies avancées sont en pleine phase d’ajustement, laquelle devrait encore se poursuivre en 2014, malgré des signaux encourageants de reprise. Toutefois si les réformes mises en place tardent à produire des résultats, des risques sociaux sont à anticiper surtout dans les pays où ces mesures ont été les plus importantes et où le mécontentement est déjà fort. L’allocation de la liquidité pourrait également jouer un rôle important pour déterminer l’ampleur de la reprise, les besoins d’investissement se faisant pressants. Il faudrait que le niveau de dette publique baisse rapidement dans la plupart des économies avancées si elles ne veulent pas voir les charges d’intérêt de leur dette publique augmenter lorsque les Banques Centrales devront relever leurs taux d’intérêt, actuellement compris entre 0 et 0,25%. Mais ce risque ne devrait pas se manifester nécessairement en 2014 vu le maintien du soutien des Banques Centrales à l’activité économique.

Victor Lequillerier

Références

C. Bouillet (2014), « Zone Euro : vers une (re)convergence économique? », BSI Economics.

M. Delle Donne (2013), « L’Irlande s’émancipe sous l’œil attentif de la Troïka », BSI Economics.

M. Isoré (2013), « Relations de long terme entre banques et entreprises et rationnement de crédit », BSI Economics.

V. Lequillerier (2013), « La réforme du marché du travail allemand : un modèle réellement séduisant pour le reste de l’Europe ? », BSI Economics.

V. Lequillerier (2013), « Le désendettement des entreprises : quel avenir ? », BSI Economics.

N. Pietrzyk (2013), « La compétitivité, un concept à utiliser avec précaution », BSI Economics.

T. Renault (2013), « Réforme du financement des retraites en France : l’exemple suédois », BSI Economics.

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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