Croissance et richesse mondiale : le grand rééquilibrage

Résumé:

- En dépit des déboires rencontrés aujourd’hui par les économies avancées et les difficultés qu’elles éprouvent à renouer avec la croissance, la croissance mondiale a atteint 3,1 % en 2012.

- Cette progression du PIB mondial repose essentiellement sur la croissance des économies émergentes [1] .

- Celles-ci dépasseront en 2013, en termes de richesse, les économies avancées, après des siècles de suprématie économique de l’occident.

- Ce rééquilibrage s’effectue pour l’instant au profit de l’Asie, créant de nouvelles disparités au sein des économies émergentes.

La croissance mondiale ralentit mais le monde ne cesse (quand même) de s’enrichir

En cette période d’incertitudes grandissantes sur le système économique et financier mondial, un pessimisme ambiant semble avoir atteint les économistes, les banquiers et les commentateurs économiques. Et pour cause, à peine relevées de la crise de 2009, les économies avancées sont aussitôt retombées, l’Europe en tête. L’embellie aura été de courte durée : des plans de relance massifs et un assouplissement généralisé des politiques monétaires ont permis de relancer l’activité en 2010 et 2011, mais en 2012 le soufflet était déjà retombé. Les temps sont durs, et les difficultés auxquelles nos pays, nos dirigeants et nos populations sont confrontés sont nombreuses.

Mais en prenant un peu de recul, si l’on élargit notre champ de vision, et que l’on regarde l’économie mondiale dans son ensemble, qu’observe-t-on ? Le monde n’a jamais été aussi riche, et cette trajectoire se confirme : chaque année la richesse produite dépasse celle de l’année précédente. Au cours des trente dernières années, seule l’année 2009 a vu le PIB mondiale reculer (et ce recul a été relativement modéré, -0,6%). Depuis l’an 2000, le PIB mondial a été multiplié par 2,2 [2] .

En 2013, alors que les économies européennes peinent à renouer avec la croissance et que les Etats-Unis, s’ils vont mieux, n’enregistrent plus des taux de croissance comme ceux des années 1990 et 2000, la croissance mondiale devrait quand même s’élever à 3,1% (prévisions FMI de juillet 2013).

L’activité est désormais tirée par les pays émergents

Mais, si les poids lourds de l’économie mondiale (triade Etats Unis, Japon, Union européenne) sont à la peine, d’où vient la croissance mondiale ? La réponse est dans la question : ce sont les poids « moins » lourds, les économies émergentes, qui sont les plus dynamiques. Un rapide calcul des contributions [3] à la croissance permet ainsi de montrer que la croissance mondiale repose en grande partie sur celle des pays émergents. En 2012, sur les 3,2 % de croissance du PIB mondial en termes réels, 2,5 points provenaient des émergents et « seulement » 0,7 point des économies avancées (graphique 1). En d’autres termes, en 2012, 80% de l’augmentation de la richesse mondiale a été le fruit des pays émergents. Ce phénomène n’est pas récent, il s’est simplement accentué depuis la crise financière. Durant les années 1980 les économies émergentes ne contribuaient qu’à 36 % de la croissance mondiale. Ce chiffre monte à 41 % dans les années 1990 et bondit à 70 % durant la décennie 2000. Depuis la crise il a même atteint 80 %.

Ces résultats ne sont guère étonnants au regard du différentiel de rythme de croissance enregistré par les deux zones. Le taux de croissance annuel moyen des économies émergentes depuis 1980 atteint presque 5 %, quand celui des économies avancées plafonne à 2,5 %. Autrement dit, base 100 en 1980, le PIB des émergents a atteint 450 en 2012, contre seulement 220 pour les avancés (graphique 2).

Graphique 1 :

Sources :FMI, BS-Initiative

Graphique 2 :

Sources :FMI, BS-Initiative

En 2013, le PIB agrégé des économies émergentes dépassera celui des économies avancées

Cette richesse nouvelle a permis à des centaines de millions d’individus de s’extraire de la pauvreté et a constitué un fort levier de développement. Car s’il ne saurait se réduire au niveau vie (c’est à dire au PIB par habitant), le développement requiert un accès à la consommation de biens et services. La croissance reste une condition indispensable à l’amélioration de la qualité de vie des populations.

Deuxième constat : à force d’enregistrer années après années des taux de croissance plus élevés, le poids économique des pays émergents dans l’économie mondiale s’accroît tendanciellement. En 2013, le club des émergents rejoindra celui des avancés en termes de richesse (calculée en parité de pouvoir d’achat, graphique 3). Ce n’est pas anodin, 2013 marque un tournant, après près de trois siècles de domination économique occidentale.

Nous assistons donc à un rééquilibrage (progressif) de la distribution de la richesse mondiale. Faut-il s’en inquiéter ? La réponse est non. D’une part il s’agit plutôt d’un retour à la norme, c'est-à-dire à une situation qui a prévalu durant des millénaires. Si depuis la révolution industrielle le groupe très « select » des pays industrialisés a concentré la richesse mondiale, la Chine et l’Inde représentaient avant eux (et pendant des milliers d’années) la majorité de la richesse. D’autre part, il n’y pas de raison pour qu’une minorité - Amérique du Nord, Europe et Japon représentent moins de 20 % de la population mondiale - continue de concentrer la majorité de la richesse.

Graphique 3 :

Sources :FMI, BS-Initiative

Parmi les pays émergents, l’Asie tire son épingle du jeu

Ironie du sort, ce rééquilibrage s’effectue de manière quelque peu déséquilibrée. L’Asie concentre le foyer de croissance. Dans le groupe des émergents, elle contribue ainsi aux deux tiers de la croissance en 2012 (graphique 4). Bien sûr la Chine, grâce à l’effet cumulé de son poids et son rythme de croissance, tire en grande partie la zone, mais l’Inde (malgré le ralentissement de l’économie en 2012) et l’ASEAN[4] comptent également.

A l’inverse, les plus petites zones et/ou les moins dynamiques pèsent significativement moins. L’Europe émergente, le Moyen Orient, l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine ne contribuent tous ensemble qu’à un tiers de la croissance des économies émergentes.

Le « grand rééquilibrage » entre économies émergentes et économies avancées ne signifie donc pas exactement la même chose pour un Chinois, un Sud-américain ou un Africain. Espérons qu’il se poursuivra, permettant ainsi d’élever le niveau de vie des populations qui en ont le plus besoin et d’équilibrer la répartition de la richesse mondiale.

Graphique 4 :

Sources :FMI, BS-Initiative

Encadré: En 2012, comment expliquer les écarts de taux de croissance entre pays? 

 Un faisceau de facteurs structurels permettent de comprendre les écarts de taux de croissance entre pays. En premier lieu le rythme de croissance reste corrélé au stade de développement : moins un pays est riche, plus il se développe rapidement (conformément aux théories économiques du rattrapage). Ce rattrapage est en outre largement fonction de la qualité des infrastructures (transport/communication) et du niveau d’éducation, mais aussi de la structure par âge de la population et de la gouvernance.

Mais il convient d’adjoindre à ces déterminants structurels de la croissance des facteurs davantage conjoncturels. Ainsi, on retrouve dans le peloton de tête des économies les plus dynamiques en 2012 plusieurs économies en reconstruction post-conflit (Lybie (1), Afghanistan (7), Côte d’ivoire (9), Irak (12)). On retrouve également des pays bénéficiant d’un boom lié à l’exploitation des matières premières (Sierra Leone (2), Mongolie (3), Niger (4)). A l’inverse, les pays dépendants de la demande européenne ont vu leur croissance nettement ralentir, dans le sillage du ralentissement de la zone euro, qui a affecté leurs exportations (Roumanie (130), Singapour (123)). Au Maghreb, l’activité est également lourdement affectée par l’instabilité politique (Egypte (105), Algérie (101), Marco (93), Tunisie (85)) même si la situation s’est améliorée par rapport à 2011.


Conclusion

L’année 2013 marque un tournant sur le plan économique, et confirme que le "monde" doit désormais compter sur et avec les économies émergentes. Mais ce rattrapage souligne également que les cartes sont en train d’être rebattues sur le plan géopolitique. Longtemps mises à l’écart, voire négligées, les économies émergentes pèsent aujourd’hui davantage sur l’échiquier politique mondial. Au niveau multilatéral, elles affirment leurs revendications dans les institutions internationales. Au niveau bilatéral, elles sont considérées comme des partenaires incontournables. A titre d’exemple, Nicole BRICQ, Ministre du Commerce extérieur s’est d'ores et déjà rendue dans la quasi-totalité des pays de l’ASEAN. Néanmoins, force est de constater que si le poids des économies émergentes s'est considérablement accru, elles ne constituent pas un club homogène parlant d'une seule voix. Les divergences et disparités restent nombreuses et importantes.

 

 

Notes:

[1] La liste des pays émergents est celle  retenue par la FMI, disponible sur http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2013/01/weodata/weoselco.aspx?g=2200&sg=All+countries+%2f+Emerging+market+and+developing+economies

[2] Données en USD courants

[3] Les contributions à la croissance sont obtenues en multipliant le taux croissance de la zone (ici émergents et avancés) par la part du PIB PPA de la zone dans le PIB mondial l’année précédente.

[4] Association des nations d’Asie du sud est (Singapour, Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Vietnam, Philippines, Cambodge, Laos, Birmanie, Brunei).

 

Agrégé de Sciences économiques et sociales, Samuel travaille actuellement au Fonds Monétaire International. Il est diplômé de Sciences Po Lille et de l’Université Paris Dauphine. Précédemment, il a notamment été économiste à la Direction Générale du Trésor. Ses travaux récents portent sur les économies émergentes, le risque pays et l’architecture monétaire et financière internationale.

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