L'impact de la démographie sur le prix des actifs

Résumé

- La génération du baby-boom a affecté de manière positive le prix des actifs par le passé ;

- Alors que cette génération part à la retraite et désépargne, l'effet démographique sur le prix des actifs devrait être négatif ;

- Cela pourrait diminuer la valeur du capital accumulé par cette génération en vue de la retraite ;

- L'utilisation de l'épargne privée apparaît donc comme insuffisante pour compenser d’éventuelles baisses de pensions si la durée d'activité n'augmente pas dans le même temps

La deuxième moitié du vingtième siècle a été marquée, dans de nombreux pays développés, par un phénomène démographique majeur : le baby-boom. Alors que cette génération commence à partir en retraite, de nombreuses questions se posent quant au financement des systèmes de retraite publics. Le rapport du nombre d'actifs au nombre de retraités était favorable au financement d'un système généreux lorsque la génération du baby-boométait active. Alors que le rapport s'inverse, les difficultés sont nombreuses.

Les ménages épargnent généralement pour financer leur retraite au-delà de la pension qu'ils pensent recevoir sous formes de différents actifs : actions, immobilier, obligations ou autres produits d'épargne. Deux questions majeures se posent par rapport à ces différents actifs. Est-ce que la génération du baby-boom, au moment où celle-ci épargnait en vue de la retraite, a influé sur leur prix ? Quel sera l’impact sur ces prix lorsqu’elle commencera à désépargner ?

Démographie et prix des actifs : idée générale

Les ménages épargnent une partie importante de leurs revenus, lorsqu'ils ont entre une quarantaine et une soixantaine d'années, en vue de leur retraite, ce qui augmente la demande d’actifs. Étant donnée sa taille, la génération du baby-boom a le potentiel d'augmenterle prix des actifs via l'augmentation de la demande d'épargne qu'elle génère. 

Lorsque cette génération commence à partir à la retraite, elle vend ces actifs, ce qui augmentel'offre de ces derniers sur le marché. Dans le même temps, la génération suivante étant de taille plus petite, la demande d'épargne est plus faible. Une offre plus élevée et une demande plus faible tendent à réduire le prix des actifs. Pour une quantité d'épargne donnée, cela diminue la consommation potentielle des retraités de la génération du baby-boom [1] .

Cette logique laisse bien sûr de côté nombre d'éléments importants qui peuvent affecter les prix des actions ou les prix immobiliers tels que l'évolution de la productivité ou les changements de réglementation. Il est également difficile d'isoler l'effet d'un phénomène démographique seul sur le prix des actifs. On parle en effet de phénomènes de long-terme qui interviennent dans des périodes où les changements structurels peuvent être nombreux. Par conséquent, il n'existe pas de consensus sur l'impact du baby-boom sur le prix des actifs, notamment quant à sa magnitude. Cependant, certaines études tendent à montrer qu'il existe une relation entre prix des actifs et taille relative des différentes générations.

Démographie et prix des actifs : quelques éléments empiriques

En particulier, Takáts (2012), économiste à la banque des règlements internationaux, a utilisé les prix immobiliers de vingt-deux pays avancés. Ses résultats suggèrent qu'une augmentation d'un pour cent du rapport du nombre d'actifs sur le nombre de retraités augmente de deux tiers de pourcentage les prix immobiliers réels (corrigés de l'inflation). Il semble donc que la démographie a joué positivement sur les prix immobiliers lors des vingt dernières années et qu'elle pourrait avoir un impact négatif surces derniers dans le futur. D'autres études, notamment celle très fournie de Geanakoplos, Magill et Quinzi (2004) sur le marché des actions américain au cours du vingtième siècle, présentent des résultats similaires.

Dans la mesure où l'on accepte ces résultats, il ne faut toutefois pas en déduire que les prix des actifs financiers ou que les prix immobiliers vont forcément baisser. Tout d'abord, pour le marché des actifs financiers, cela peut se traduire par des inversions de mouvements de capitaux entre pays vieillissant et pays plus jeunes. Ensuite, la productivité ou des changements réglementaires peuvent affecter l'évolution à long-terme des prix des actifsfinanciers et non financiers. Cependant, la démographie sera sans doute moins propice à d'importantes augmentations des prix immobiliers ou des indices boursiers, rendant plus difficile le financement des retraites via l'épargne individuelle. Comme pour le financement des systèmes publics, la démographie n'apparaît donc pas particulièrement favorable pour les baby-boomers en ce qui concerne l'épargne privée.

Un autre élément d'inquiétude est que l'inversion de la courbe du rapport du nombre d'actifs sur celui des retraités a été corrélée dans certains pays (États-Unis, Espagne, Irlande ou Japon) avec l'éclatement de bulles immobilières. Il ne faut pas forcément y voir une relation de cause à effet mais il n'est pas particulièrement étonnant qu'un nombre important d'épargnant puisse être favorable à l'apparition de bulles. Leur éclatement est peut-être plus problématique encore quand elle survient au moment où une génération de taille importante part à la retraite [2] .

Conclusion et implications

Alors que la génération du baby-boom part à la retraite et que le financement public des systèmes de retraite devient plus difficile, un autre sujet d'inquiétude est que la démographie actuelle risque de peser négativement sur le prix des actifs. Cela devrait se traduire par des baisses des prix ou des hausses moins importantes que par le passé. Cela rend encore plus nécessaire les réformes pour pérenniser les systèmes de retraite existants. En effet, à moins que les agents aient anticipé parfaitement ces effets, il est possible que l'effort d'épargne privé durant la vie active ne soit pas suffisant pour compenser d'éventuelles baisses de pensions. Dans les deux cas (systèmes publics et financement privé) on est dans le cadre de transferts intergénérationnels qui sont influencés par les mêmes conditions démographiques.

L'arithmétique suggère donc que l'allongement de la durée d'activité est essentiel pour que les retraités bénéficient de revenus suffisants. En particulier, l'idée que l'épargne privée pourrait compenser des baisses de pensions publiques apparaît peu crédible si elle n'est pas accompagnée dans le même temps d'une augmentation de la durée de vie au travail. En effet, la valeur du capital accumulé par les futurs retraités est sujette aux mêmes effets démographiques négatifs que ceux qui affectent le financement des systèmes de pensions publiques.

Références

- Andrew B. Abel, « Will Bequests Attenuate the Predicted Meltdown in Stock Prices when Baby Boomers Retire », The Review of Economics and Statistics, 2001.

- Andrew B. Abel, « The Effects of a Baby Boom on Stock Prices and Capital Accumulation in the Presence of Social Security », Econometrica, 2003.

- John Geanakoplos & Michael Magill & Martine Quinzii « Demography and the Long-Run Predictability of the Stock Market », Brookings Papers on Economic Activity, 2004.

- Takáts, Előd, « Aging and House Prices », Journal of Housing Economics, 2012.

Notes

[1] Voir par exemple Abel (2001 et 2003) pour un modèle théorique supportant cette idée.

[2] Voir en particulier la présentation de Kiyohiko Nishimura qui avait le titre de deputy governor à la banque du Japon à l'époque

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Bertrand Achou est docteur de l'Ecole d'Economie de Paris, de l'Université Paris 1 et de l'université Ca' Foscari. Sa thèse et ses domaines de recherche portent sur l’évaluation des actifs immobiliers et sur le financement de la fin de vie.

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