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Bulles immobilières : élasticité de l’offre et anticipations

Résumé:

– l’offre de logement est inélastique au prix à court terme et devient élastique à long terme.

– si les agents n’anticipent pas la variation future de l’offre alors les prix augmenteront excessivement.

– une analyse récente sur l’histoire des bulles immobilières aux Etats-Unis tend à confirmer cette hypothèse.

 

 

 

Dans un document de travail de février 2013, Edward Glaeser professeur d’économie à Harvard s’intéresse à différents phénomènes de bulles ayant eu lieu aux États-Unis de 1790 à aujourd’hui. Il attribue la plupart de ces phénomènes non à l’irrationalité mais aux limites cognitives des agents. Ces derniers ne prendraient notamment pas en compte l’élasticité de l’offre. Cette note a pour but de présenter de manière simple, l’effet que peut avoir l’élasticité de l’offre et les erreurs d’anticipations des agents économiquessur les variations de prix de l’immobilier.

 

La sensibilité de l’offre de logement au prix devient seulement significative à long terme

 

A court-terme, l’offre d’immobilier est relativement fixe : cela prend du temps de monter un projet immobilier (acquisition de brevets, définition du type de bâtiments) et de mettre en œuvre sa construction. L’offre de biens immobiliers est ainsi relativement plutôt inélastique aux prix à court-terme [1]. Par conséquent, lorsque la demande augmente à court-terme (conditions de crédit accommodantes et/ou forte croissance des revenus des ménages) une tendance haussière des prix est observée.

Cependant, si l’offre est inélastique à court-terme, elle devient élastique à plus long-terme. Des prix plus élevés attirent davantage de promoteurs immobiliers, ce qui tend à augmenter le volume de constructions et donc l’offre de biens immobiliers, ce qui contribue à un ralentissement de la hausse ou une contraction des prix des logements [2]

Cette élasticité de l’offre de biens immobiliers à long terme est limitée en raison de la disponibilité de terrains dans les régions à forte concentration de populations et/ou en raison des limites réglementaires relatives aux politiques de l’urbanisme.

Cependant, d’une part, la disponibilité de terrains dans les régions à forte concentration de populations n’est pas toujours une limite puisque des hausses de prix ont été observées dans des régions où a priori le manque de terrains n’était pas une contrainte [3].

D’autre part, à partir d’un certain niveau de prix, des moyens d’étendre l’offre (l’augmentation de la hauteur des immeubles par exemple) seront nécessairement mis en place.

Il semble donc important d’étudier l’effet de cette variation de l’offre sur les prix immobiliers.

 

Dans la suite de l’analyse, nous supposons que la demande d’immobilier est une demande d’actif financier ce qui implique que la demande d’immobilier doit être forte:

– si les prix immobiliers sont faibles

– si les conditions de crédits sont accommodantes

– si les taxes sur ce bien sont faibles

– si le revenu est élevé (augmentation de l’épargne disponible)

– si l’anticipation d’appréciation des prix immobiliers est élevée (rendement espéré du capital élevé).

Nous étudions deux situations: la première où l’offre est parfaitement inélastique et la seconde où l’offre est parfaitement élastique à long terme.

 

Première situation : l’évolution des prix de l’immobilier avec une offre parfaitement inélastique

 

Plaçons-nous d’abord dans le cadre d’une offre parfaitement inélastique, c’est-à-dire dans un cas où l’offre est supposé fixe au cours du temps.

Nous pouvons représenter cette situation par la figure suivante (figure 1). La droite décroissante est la fonction de demande : les quantités demandées diminuent avec les prix à anticipations de prix futurs données. La droite verticale est la courbe d’offre.

Lasituation initiale est le croisement des deux courbes au point A avec une demande qui  augmente de manière permanente (conditions de crédit qui deviennent accommodantes, augmentation du revenu ou baisse de la taxation sur l’immobilier par exemple). Dans ce cas si les agents n’anticipent pas d’appréciation future des prix, l’équilibre est au point B. Les prix augmentent une fois pour toute et restent à ce niveau élevé. On ne voit pas de phénomène de bulle.

 

On peut en revanche avoir deux phénomènes qui font penser à une « bulle » :

– Le cas où l’augmentation de demande est transitoire, c’est-à-dire où la courbe de demande revient dans sa position initiale. C’est le cas par exemple si les conditions de crédit ont été laxistes pendant un certain temps et reviennent à leur niveau « normal ». On a alors une augmentation des prix puis une baisse liée au retour de la demande à son niveau « normal ».

– Si l’augmentation des prix suite à une augmentation de la demande entraîne les agents à anticiper une augmentation des prix dans des proportions similaires à la période suivante. Ceci tend à augmenter la demande car le gain en capital espéré (rendement espéré sur les actifs immobiliers augmente) augmente. On se retrouve alors au point C : l’appréciation anticipée est réalisée. Le phénomène peut continuer indéfiniment à conditions que les agents ne modifient pas leurs anticipations. Dans ce cas les bulles ont tendance à être plus durables en théorie que dans le cas avec élasticité de l’offre que nous abordons à présent.

Figure 1

Deuxième situation : l’évolution des prix de l’immobilier avec une offre parfaitement élastique

 

Imaginons désormais le cas où l’offre est parfaitement élastique à long-terme. On se place dans le cadre de la figure 2 où la forme de la courbe de demande est inchangée par rapport au cas précédent mais où la courbe d’offre est désormais une droite horizontale.

L’hypothèse faite ici est qu’à long-terme les prix doivent revenir à leur niveau initial par ajustement de la quantité de logements.

A court-terme, si les agents n’anticipent pas la variation de l’offre et qu’ils supposent à chaque période que les prix vont rester constants alors il y a mouvement du point A au point B, l’offre étant inélastique à court-terme.

Ensuite au fur et à mesure des nouvelles constructions, l’équilibre se déplace le long de la courbe de demande jusqu’à atteindre le point C. En effet, on a l’équivalent d’un déplacement de la droite verticale de la figure 1 vers la droite, celui-ci ce faisant de manière progressive.

Si, en revanche, les agents anticipent parfaitement la variation de l’offre, les prix devraient moins augmenter. En effet, étant donné que dans ce cas ils anticipent une future diminution des prix, cela réduit mécaniquement leur demande à court-terme car ils anticipent une perte en capital. On passe dans ce cas du point A au point B’ et ensuite l’équilibre se déplace le long de la courbe liant B’ à C (on a le même déplacement de la courbe d’offre que dans le cas précédent).

Figure 2

C’est le mécanisme fondamental derrière la thèse de Glaeser (2013), si les agents n’anticipent pas la variation future de l’offre alors les prix ont tendance à augmenter dans une « trop » grande mesure. Les agents n’anticipent pas la baisse future des prix et la demande immobilière est trop importante alors même que nous avons pas supposé que les agents n’anticipaient aucune hausse des prix. Si on considère que ces agents anticipent une hausse alors la courbe de demande tend à se déplacer une nouvelle fois vers le haut. Cependant, au même moment, l’offre augmentant, les anticipations tendent à ne plus être auto-réalisatrices et l’éclatement de la bulle devient très probable car l’augmentation de l’offre diminue mécaniquement les prix [4].

 

Le propos est certes théorique mais cela est extrêmement important pour comprendre les phénomènes de bulle. Si les agents basent leurs décisions sur un modèle « simpliste » de sorte qu’ils basent leurs anticipations de croissance des prix futurs sur la croissance des prix observée dans un passé récent, alors ils auront tendance à surestimer la possible appréciation des prix suite à une augmentation des prix initiale [5].

On peut penser aux cas de l’Espagne ou des États-Unis pour se dire que cette intuition est assez plausible. On a vu des fortes augmentations de prix dans certaines régions mais, au fur et à mesure que l’offre de logements s’est accrue, les prix ont eu tendance à chuter fortement. Sur de longues périodes et différents pays, les prix immobiliers corrigés de l’inflation semblent relativement stables. La baisse des transactions immobilières récemment en France pourrait aller dans le sens de cette observation.

 

Notes:

[1] C’est-à-dire que les quantités offertes évoluent peu en fonction des prix, l’offre est dite, en revanche, fortement élastique au prix si une augmentation du prix d’un bien entraîne une forte augmentation de son offre.

[2] Cela suppose qu’il y une certaine substituabilité de la demande entre le neuf et l’ancien. Cette situation ne va pas forcément correspondre à la situation de Paris intra-muros où la possibilité de construction de nouveaux logements est faible. Ainsi, du fait de la dispersion géographique des logements neufs et anciens, les marchés du neuf et de l’ancien peuvent-ils être segmentés. Dans ce cas, on aurait deux marchés bien distincts. On laisse de côté cette possibilité. De plus, comme nous l’abordons dans le paragraphe suivant, de fortes augmentations des prix peuvent également conduire à une hausse de l’offre dans ce type de zones, ce qui tend à diminuer la segmentation.

[3] Voir l’exemple de Las Vegas par exemple dans le papier de Glaeser (2013).

[4] Il existe un cas intermédiaire où l’offre est imparfaitement élastique à long-terme. Dans ce cas la courbe d’offre est croissante. Le mécanisme est cependant le même que dans le cas avec offre parfaitement élastique, à la différence près que, suite à une augmentation de la demande, les prix doivent être plus élevés à long-terme qu’avant l’augmentation de la demande, même s’ils augmentent au départ pour baisser ensuite. Par souci de simplicité nous avons décidé de ne pas exposer ce cas ici.)

[5] Dans ce cas les agents ne sont pas irrationnels a contrario de ce que l’on entend souvent mais ont seulement une capacité cognitive limitée qui les poussent à baser leurs anticipations sur des modèles simplifiés de la réalité.

 

Références:

– Edward Glaeser, 2013, “A Nation of Gamblers: Real Estate Speculation and American History”, NBER Working Paper.

http://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/18825.html

– Edward Glaeser, Joseph Gyourko et Albert Saiz, 2008, “Housing supply and housing bubbles”, Journal of Urban Economics.

http://ideas.repec.org/a/eee/juecon/v64y2008i2p198-217.html

– James Poterba, 1984, “Tax Subsidies to Owner-Occupied Housing: an Asset Market Approach”, Quarterly Journal of Economics.

http://ideas.repec.org/a/tpr/qjecon/v99y1984i4p729-52.html

 

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