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La Slovénie : scénario de la crise et perspectives de sortie

Résumé:

– La Slovénie connait depuis 2012 une sévère récession économique. Cette tendance devrait se poursuivre en 2014 avec un repli de moindre ampleur avoisinant 0,1% du PIB  en marge d’une reprise de la Zone Euro. 

– Cette récession s’inscrit dans un contexte de consolidation budgétaire, rendue obligatoire par les engagements slovènes pris dans la cadre de la procédure de déficit excessif.

– Le secteur bancaire reste dans un état globalement dégradé et continue de peser sur les finances publiques slovènes. Les résultats de l’audit externe finalement dévoilés le 12 décembre 2013 ont rassuré les marchés, en chiffrant les besoins de recapitalisation  du secteur bancaire dans le scénario adverse à 4,8 milliards d’euros (13% du PIB slovène), un montant conforme aux anticipations des analystes.

– Le désendettement du secteur réel demeure un enjeu de taille dans une optique d’assainissement durable du secteur bancaire. Le pays a mis en route le processus de privatisation, qui devrait permettre le désengagement de l’Etat. Cependant des obstacles, notamment politiques, rendent le processus délicat et incertain.

Alenka Bratusek, le Premier Ministre slovène l’a réitéré en décembre 2013 après l’annonce des résultats de l’audit externe du secteur bancaire: la Slovénie ne deviendra pas le prochain pays après la Grèce, l’Irlande, le Portugal et plus récemment Chypre, à recourir à un programme de sauvetage financier. La Slovénie a seulement besoin de temps pour réaliser l’assainissement de son secteur bancaire et consolider ses finances publiques. Un constat également partagé par la Commission Européenne, qui dans le cadre de la procédure de déficit excessif, a accepté d’étendre de 2 ans le délai dans lequel le pays devra ramener son déficit en deçà de 3% du PIB.

Le cas slovène a cependant largement alimenté les discussions au sein des instances européennes au second semestre 2013, ces dernières craignant un nouvel accès de faiblesse au sein de la Zone Euro et un potentiel effet de propagation. Bien que la tension sur les marchés soit quelque peu redescendue, la situation économique de la Slovénie n’en demeure pas moins incertaine alors que l’assainissement du secteur bancaire, la consolidation des finances publiques et le désengagement de l’Etat sont loin d’être terminés et pèsent sur la reprise de la croissance.

 

1. D’une crise bancaire à un dérapage des finances publiques

Le cœur de la crise slovène réside dans l’interrelation des secteurs privé et bancaire, tous deux possédant une forte composante publique, héritage du mode de transition économique choisi par la Slovénie après son indépendance. Ce jeu de participations croisées entre entreprises et banques publiques a occasionné des interférences politiques résultant en une gouvernance défaillante et à un certain laxisme des organes de supervision. Cette interconnexion a  également contribué à créer, lors de la phase d’expansion au début des années 2000 aboutissant à l’entrée du pays dans la zone euro en 2007, les conditions d’un surendettement du secteur privé et d’une prise de risque excessive du secteur bancaire.

La détérioration de la qualité des actifs lors du retournement de l’activité a ensuite poussé les principales banques et entreprises publiques à procéder à des recapitalisations pesant sur les finances publiques.  Cette dégradation des actifs provient principalement de créances d’entreprises privées, fortement concentrées entre quelques créanciers. Fin août 2013, les 40 prêts les plus importants représentaient 34% du total des prêts non performants (NPL), les 200 prêts suivants totalisant 33% du total. Au niveau sectoriel, les principales banques slovènes (à capitaux publics) pâtissent de leur forte exposition au secteur de la construction (62% des prêts sur ce segment étant fin 2012 enregistrés comme non performants). 

Ainsi si les finances publiques apparaissaient relativement saines avant la crise financière avec une dette publique en 2008 à 22% du PIB et une position budgétaire proche de l’équilibre, les mesures de relance de l’économie en 2009 et le poids du soutien financier aux banques publiques ont considérable modifié la donne.  La dette publique a plus que doublé pour atteindre 55%  du PIB fin 2012 et devrait avoisiner les 70 % après complétion de la recapitalisation du secteur bancaire. Quant au déficit, il devrait dépasser 4% du PIB (hors comptabilisation du coût de sauvetage des banques, 7,1% en le comptant) en 2013, et ce malgré les efforts de consolidations significatifs réalisés par le gouvernement depuis 2010. L’incertitude sur la santé du système bancaire et ses répercussions sur les finances publiques conduisent ensuite, à l’instar des situations portugaises ou irlandaises, à une spéculation sur l’étendue réelle des difficultés bancaires et sur la capacité du pays à financer cet assainissement. Ces craintes reflétées sur les marchés par un durcissement des conditions de financement font entrer le pays dans une spirale auto-réalisatrice de crise bancaire doublée d’une crise souveraine.

 

2.  Assainissement bancaire et consolidation : nécessaires priorités du gouvernement face à la pression grandissante des marchés.

L’amélioration des perspectives économiques slovènes repose ainsi sur la capacité du gouvernement à endiguer la détérioration du secteur bancaire et à convaincre les marchés de la crédibilité et de la soutenabilité des mesures prises.

Les résultats de la revue de la qualité des actifs (AQR) et des tests de résistances (ST) dévoilées le 12  décembre 2013 apparaissent à cet égard rassurants.  Cette revue, couvrant 8 banques et 70% des actifs du secteur bancaire, a estimé les besoins de recapitalisation dans le scénario adverse à 4,8 milliards d’euros soit 13% du PIB slovène, dont 3 milliards à destination des trois premières banques slovènes (NLB, NKBM et Abanka). La recapitalisation des 3 banques mentionnées sera financée pour  2/3 en numéraire imputé sur les réserves financières de l’Etat et pour 1/3 par de nouvelles émissions obligataires. Elle permettra d’élever le ratio de solvabilité (Tier 1) à plus de 15% pour NLB et NKBM et 9% pour Abanka. Les trois banques ont également imposé des pertes aux créanciers obligataires subordonnés (bail-in) pour 441 millions d’euros et transféré 4,6 milliards euros de créances douteuses à la banque de défaisance (BAMC) pour un prix fixé à 1,6 milliard afin d’apurer leur bilan. Le taux de prêts non performants (NPL) de ces trois banques atteignait fin août 24,5% avec une dégradation plus prononcée des créances des entreprises privées (38,5% de NPL) principalement concentrées dans  les secteurs de la construction et  de l’industrie manufacturière.

Ces premières recapitalisations, combinée à une restructuration préventive de deux banques Probanka et Factorbanka et à une augmentation de capital de la BAMC  de 200 millions  euros, ont semblé convaincre les marchés.  Ceci est reflété par la baisse des rendements des obligations slovènes, l’écart avec l’Espagne ou l’Italie possédant des notations similaires se réduisant à 100 points de base après les résultats de l’AQR contre 200 points de base au pic de la spéculation sur la santé du secteur bancaire.  En outre, les agences de notations après avoir simultanément dégradé la notation de la Slovénie en 2012, ont dans le cas de Moody’s modifié début 2014 leurs perspectives de négatives à stables et relevé les notations des trois banques NLB, NKBM et Abanka, en lien avec les progrès effectués dans la stabilisation du secteur bancaire.

Enfin, le 10 février 2014,  la Slovénie a fait son retour sur les marchés obligataires en plaçant 3,5 milliards de dollars (2 milliards à 10 ans et 1,5 milliards à 5 ans), une offre supérieure à celle initialement annoncée par le gouvernement se situant entre 2 et 3 milliards. La forte demande (supérieure à 16 milliards) et des taux en baisse par rapport à la dernière émission effectuée en mai 2013 (5,48 contre 6% pour les obligations à 10 ans et 4,275% contre 4,95% pour celles à 5 ans) démontrent un regain d’intérêt de la part des investisseurs (principalement américains et anglais) après une année 2013 marquée par un accès délicat aux marchés financiers. Face à la pression sur les taux en Europe, la Slovénie a en effet profité de la plus grande liquidité sur les marchés libellés en dollars et a effectué plusieurs émissions en dollars au cours de l’année 2013.

Cette recapitalisation du secteur bancaire pèse cependant sur les finances publiques. La dette devrait ainsi continuer de croître pour atteindre 70% du PIB en 2014, rendant nécessaire le prolongement des efforts de consolidation. A cet égard, le budget 2014 voté difficilement mi-novembre (conjointement avec un vote de confiance du gouvernement Bratusek) se base sur une hypothèse de déficit à 3,5% du PIB, laissant peu de marge au gouvernement en cas de moindre performance fiscale ou de nouveau dérapage du secteur bancaire. Le ratio impôt sur PIB devrait augmenter en lien avec la nouvelle taxe foncière hautement controversée, tandis que les principales mesures du côté des dépenses consistent en un gel maintenu en 2014 et 2015 des pensions et des allocations sociales ainsi qu’une nouvelle réduction des salaires dans le secteur public. Au niveau structurel,  le gouvernement devra pallier la segmentation du marché du travail liée à la trop grande protection des personnes occupant un emploi et approfondir la réforme des retraites votée fin 2012 pour mieux tenir compte du vieillissement rapide de la population slovène.

 

3. Désendettement du secteur privé et désengagement de l’Etat : résolution délicate des maux sous-jacents de l’économie slovène.

Les mesures précédemment citées, ne doivent cependant pas occulter la nécessaire résolution des problèmes intrinsèques de l’économie slovène à savoir le désendettement des entreprises et le  désengagement de l’Etat pour l’instant moins bien engagé.

Depuis 2009, les performances du secteur privé se sont ainsi largement aggravées avec un taux de profit historiquement bas, proche de 1%. Les entreprises slovènes pâtissent notamment d’un endettement trop important avec un ratio de dettes sur fonds propres équivalent à 135%, en baisse par rapport à 2009 mais encore largement supérieur aux autres pays de la zone, freinant ainsi la reprise de l’investissement. A cet égard, la nouvelle procédure de faillite proposée par le gouvernement constitue une avancée cruciale en démantelant une procédure longue (4 ans en moyenne), coûteuse, rigide et inapte à réhabiliter des actifs viables. Cet effort de restructuration devrait également être facilité par la BAMC, bien que la question de la gouvernance et de l’indépendance opérationnelle de la structure reste encore à prouver.

Ce nécessaire désendettement des entreprises slovènes dans une optique de retour à la croissance devrait néanmoins à court-terme pénaliser l’investissement en l’absence de flux de capital étranger notamment. L’ingérence de l’Etat et la complexité de l’actionnariat ont en effet découragé les investissements étrangers privant le pays de nouvelles injections de capital et de transferts de technologie. La Slovénie affiche ainsi un taux d’investissement direct à l’étranger (IDE) par rapport au PIB les plus faibles d’Europe centrale, alors même qu’elle possède une force de travail qualifiée, des infrastructures de qualité et un emplacement stratégique dans les chaînes d’approvisionnement au carrefour de l’Europe occidentale, centrale et balkanique. Le stock d’IDE entrants fin 2012 représentait 34,1% du PIB en Slovénie contre 60,8% en Slovaquie,  47,3% en Pologne, 69,6% en République Tchèque et 81,6% en Hongrie. 

Le désengagement de l’Etat, primordial pour espérer attirer des investisseurs étrangers, semble cependant progressivement se concrétiser grâce à l’amorce du processus de privatisation. Le Parlement a approuvé en novembre une liste de 15 entreprises à privatiser en priorité, dont le principal entreprise de télécommunication Tekelom, la banque NKBM ou l’aéroport de Ljubljana. A fin janvier 2014, le gouvernement avait déjà complété la cession de deux entreprises (Fotona producteur de lasers médicaux et Hélios un fabricant de peinture). Néanmoins, des doutes persistent sur la capacité du gouvernement à mener à bien son engagement, l’opposition à la vente d’actifs nationaux demeurant forte et la stabilité politique slovène fragile. En outre la mise en place de la nouvelle agence souveraine des actifs publiques (SSH), sensée regrouper  sous une même ombrelle tous les entités publiques et clarifier la gouvernance des ces dernières, traine en longueur, cristallisant les divergences d’intérêt des différents partis de la coalition.

 

4. Une sortie de crise encore incertaine : faiblesse persistante des moteurs internes de la croissance, risques persistants associés au secteur bancaire et équilibre politique précaire.

La Slovénie connait une sévère récession économique depuis 8 trimestres consécutifs, son PIB déclinant de 2,5% en 2012 et selon les dernières prévisions européennes de 2,7% en 2013. Cette tendance devrait se poursuivre en 2014 avec un repli anticipé à 0,1% du PIB  en marge d’une reprise de la Zone Euro.  En 2013, comparativement à son niveau d’avant-crise, le PIB réel slovène a reculé de 11%, le déclin le plus important de la Zone Euro après la Grèce.

Alors que le retournement économique slovène en 2009 provenait principalement d’une contraction marquée de l’investissement, consécutive à un tarissement des financements externes causés par la crise financière, l’amplification de la récession depuis fin 2011 s’appuie sur une faiblesse persistante de la consommation. Cette dernière demeure grevée par la consolidation des finances publiques, une stagnation des salaires et un taux de chômage élevé proche de 11% (le double de son niveau d’avant crise).

Les derniers indicateurs disponibles fin 2013 ne présagent pas d’une amélioration significative de la consommation privée avec un recul persistant des ventes de détails, tandis que la stabilisation de l’emploi et des salaires ne devrait se matérialiser qu’en 2015. La faiblesse de la demande interne s’accompagne d’un maintien de l’inflation à un niveau relativement modéré (1,9% fin 2013 mesurée par l’IPHC) et d’un excédent récurrent du compte des transactions courantes tiré principalement par la balance commerciale et une réduction des importations.  Les derniers indicateurs d’activité à court-terme fin 2013 montrent néanmoins des tendances encourageantes avecune stabilisation de la production manufacturière et une reprise marquée de la construction (toujours bien en deçà de son niveau d’avant-crise) en parallèle d’une légère amélioration des anticipations des agents économiques.

Ainsi la seule contribution positive à la croissance du PIB provient encore en 2013, comme en 2012, des exportations nettes. Représentant plus de 70% du PIB slovène, les exportations slovènes sont principalement dirigées vers l’Union Européenne (40% du PIB) et plus précisément vers l’Allemagne (21,8% des exportations totales au 1er semestre 2013), l’Italie (11,7%), l’Autriche (7,9%), la Croatie (6,1%) et  la France (5,8%).  D’un point de vue sectoriel, les ventes slovènes à l’export se concentrent dans les véhicules automobiles (11,9% du total au 1er semestre), des produits pharmaceutiques (10,9%) et machines et appareils électriques (9,5%). Ainsi la reprise de la Zone Euro pourrait bénéficier aux exportations slovènes en stimulant notamment la demande allemande, la Slovénie étant un fournisseur important des principales industries exportatrices allemandes. Cependant les principaux secteurs exportateurs slovènes (automobile et électroménager) devraient continuer de subir la baisse de la consommation en Europe sur ces segments. Seuls les produits pharmaceutiques bénéficient d’une demande croissante portée notamment par le marché des génériques sur lequel la Slovénie est bien positionnée.  En outre la dynamique bien orientée à l’export (+3,8% prévu en 2014) masque une stagnation de la compétitivité prix de l’économie slovène (liée notamment à une hausse des salaires supérieure à la productivité pendant les années fastes) et à une spécialisation vers des biens à moyenne ou faible valeur ajoutée relativement sensible à la compétition d’autres pays d’Europe centrale et orientale. 

De plus, malgré une amorce satisfaisante du processus d’assainissement des bilans bancaires, les risques demeurent nombreux.  En premier lieu, l’AQR menée par la BCE en 2014 pourrait modifier la donne, le spectre d’analyse étant légèrement différent et incluant notamment SID, la banque de développement slovène.  Une nouvelle estimation des besoins de recapitalisation pourrait ainsi relancer la spirale bancaire / souverain, menaçant à nouveau la capacité de la Slovénie à se refinancer alors même que ses besoins de financement sont estimées pour l’année 2014 à 3,5 milliards d’euros. En outre,  le taux de prêts non performants demeure préoccupant. Il atteignait près de 21% du total des prêts en octobre 2013 et devrait baisser à 12% après le transfert des créances douteuses des trois banques principales, un niveau encore élevé par rapport au reste de l’Europe centrale ( 10% en moyenne sur la zone en 2012).

Enfin, la stabilité politique demeure un enjeu de taille en Slovénie. Suite à l’éviction du Premier Ministre Janez Jansa (centre droit) pour des accusations de corruption en février 2013, la constitution d’une coalition a été particulièrement mouvementée.  Celle formée par Alenka Bratusek ne dispose que d’une très courte majorité et recouvre des partis aux intérêts différenciés rendant le processus de réforme relativement délicat et parfois imprévisible (comme le montre l’exemple de la nouvelle taxe foncière voulue par Bratusek bloquée initialement par un des partis de la coalition).

 

Conclusion

Ainsi, si l’annonce des résultats de l’audit bancaire et l’amorce du processus de privatisation semblent avoir temporairement rassuré les marchés, l’économie slovène ne semble pas encore sortie de l’ornière. Sa croissance devrait demeurer atone en 2014, grevée par la faiblesse de la consommation interne, le processus de désendettement des entreprises et la fragilité des principaux partenaires de la Slovénie.  Enfin, les perspectives économiques du pays dépendront fortement de facteurs politiques et de la capacité de la coalition à réaliser une «union sacrée», l’inverse risquant de déstabiliser le pays en réintroduisant de l’incertitude auprès des marchés.

L'auteur

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