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Le Brésil arrivera-t-il à sortir de la spirale des taux d’intérêt élevés ? (Note)


Résumé :

• Le niveau élevé des taux d’intérêt au Brésil, quasiment les plus importants des pays émergents depuis 15 ans, résulte d’une volonté politique née dans le cadre du plan Réal afin d’attirer les capitaux étrangers pour soutenir la devise, tout en luttant contre l’inflation galopante ;
• Ces taux ont eu trois conséquences : i) au plan économique, une carence en financement de l’économie, ii) au plan budgétaire une hausse de la charge de la dette qui est indexée sur le taux de base, et iii) au plan monétaire, une faible transmission de la politique monétaire compte tenu de la prédominance des prêts des taux administrés ;
• Récemment, à la faveur d’une inflation au plus bas, les taux réels entament une baisse dont la durabilité pose question.


 

Face au reflux de l’inflation, la Banque Centrale du Brésil (BCB) a entamé un cycle d’assouplissement de sa politique monétaire. L’inflation au Brésil a en effet reculé à son plus bas niveau depuis plus de 20 ans, à 2,5 %, et est même passée sous la cible de la Banque Centrale. Plusieurs secteurs sont même en déflation, la BCB a donc réduit le Selic- ou taux de base- de 14,25 % à 7,5 %, probablement 7 % prochainement. Cette politique accompagne la consolidation budgétaire du pays. Dans ce contexte, la question de la durabilité de la baisse du taux d’intérêt réel, aujourd’hui d’environ 5 % contre 7 % historiquement, se pose. Ainsi le taux d’intérêt réel ex-ante pour 2018 est prévu autour de 3 % , alors que le taux naturel se situerait autour des 5 % 

En effet, le niveau historiquement élevé des taux d’intérêts réels au Brésil est d’abord la résultante d’une volonté politique mais est petit à petit devenue structurel. Sans correction des différentes conséquences induites par cette politique, les taux d’intérêts réels ne pourront rester à ce niveau qu’à travers un soutien moindre au réal, et une dépréciation à moyen-terme.

 

1. Le niveau des taux d’intérêt : une problématique structurelle

• Des taux d’intérêt historiquement très élevés pour soutenir le Réal puis lutter contre l’inflation

Le 1er janvier 1994, les Brésiliens se réveillent avec une nouvelle monnaie : le Réal. Après une décennie d’hyperinflation, qui a même atteint 2 500 % en 1993, et six plans d’intervention mal adaptés, la priorité est donnée à la lutte contre l’inflation ainsi qu’à l’attractivité accrue des capitaux étrangers pour garantir la politique du régime monétaire du taux de change. La BCB souhaitait ainsi éviter de nouvelles dévaluations aigües de la monnaie, à la suite d’épisodes de forte dépréciation réelle, de fragilité budgétaire et d’inflation.

En ce sens, afin d’attirer les capitaux étrangers et donner force à une monnaie née dans un contexte de confiance très dégradée, le taux de base de la BCB (Selic) fut d’abord porté au taux de 41,2 % par an, pour donner aux investisseurs une rentabilité record, notamment avec une parité du Réal-USD initialement fixée à 1 pour 1.
Dans le contexte des crises de change dans les pays émergents, allant de la crise cambiale du Mexique au début 1995 au défaut souverain russe en 1998, le Selic a été maintenu autour de 34 % par an en moyenne pour soutenir la devise. En parallèle, la BCB a décidé de modifier sa politique de change, en permettant un taux de change partiellement flottant.
A partir de juin 1999, avec l’adoption du régime monétaire de ciblage d’inflation, le taux d’intérêt de court terme -ou le taux directeur de la Banque Centrale du Brésil- est devenu la variable cruciale dans le modèle de maintien de l’inflation à l’intérieur des cibles fixées.


• Une politique monétaire déconnectée de l’économie réelle depuis les années 2000

Sur les 15 dernières années, le niveau moyen du Selic s’établit à 13,5 %, un seuil excessif qui ne reflète pas les risques réels entourant la situation économico-politique brésilienne.
En effet, le Brésil possède un des taux d’intérêt réel des plus élevés du monde avec un taux réel en moyenne de 6,8 % depuis 2002, au même niveau que des pays en guerre civile ou en potentiel défaut. Pourtant, le risque concernant le Brésil ne correspond pas à un tel niveau de taux d’intérêt réel. Hormis le niveau du risque souverain, approximé par le niveau des CDS , les faibles risques concernant le change ou la dette externe ne sauraient expliquer des taux d’intérêt aussi élevés. En outre, les CDS ont repris leur trajectoire descendante entamée en 2002- stoppée temporairement en 2015-2016 pour cause d’impeachment. Par ailleurs, le Brésil possède des réserves de change très confortables (363 Mds USD fin 2016 soit presque 30 mois d’importations), un niveau de dette publique relativement modéré (73 % du PIB mi 2017), et un faible endettement externe (15 %) qui ne sauraient expliquer des taux d’intérêt réels aussi élevés.
Au total, la politique monétaire des taux d’intérêt de la BCB s’est peu à peu révélée « hors sol » pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, cette déconnection de la politique monétaire a entraîné des sur-réactions de la part de la BCB, afin de lutter contre l’inflation. En effet, l’évolution de l’inflation entraînait un mouvement fort et rapide du Selic, hormis lors de l’assouplissement monétaire graduel de 2005. Ainsi, le Selic est passé de 10 % début 2014 à 14,25 % jusqu’en septembre 2016 alors même que le PIB se contractait de près de 8 % et que la hausse d’inflation de 4 points en un an résultait principalement d’un recalibrage des prix administrés début 2015. Cette sur-réaction monétaire, encore d’actualité, a induit un climat de forte incertitude et une grande volatilité des marchés en entachant la crédibilité du banquier central.
Parallèlement aux sur-réactions dans la lutte contre l’inflation, la politique monétaire s’est peu à peu déconnectée de la politique budgétaire de la fédération, alors que plus de 65 % de la charge de la dette est indexée au taux de base. Les recettes fiscales très pro-cycliques (absence de TVA au Brésil) portées par une décennie de forte croissance (montée des cours des matières premières) ont permis de s’affranchir d’une charge de la dette dispendieuse.

 

2. Des conséquences profondes sur le mode de financement de l’économie

• Une carence domestique en investissement
Si le Réal a été créé en s’adossant sur un taux de base élevé, ceux-ci ont entraîné des effets néfastes sur le financement de l’économie.
En outre, le Brésil a voulu attirer les capitaux afin de compenser une faible épargne domestique, due en grande partie aux craintes d’une hyperinflation et d’un usage traditionnellement court-termiste du crédit qui a entraîné un déficit structurel de la balance courante. Alors que l’épargne domestique est restée faible, la dépendance du Brésil aux investissements étrangers est devenue de plus en plus forte, et par conséquent un endettement à des taux élevés. En l’occurrence, Le Brésil reste depuis la crise de 2007 le deuxième receveur d’Investissements Directs à l’Etranger (IDE), derrière le bloc Chine et Hong-Kong, parmi les économies émergentes selon l’UNCTAD. Au total, les IDE permettent de largement combler ce déficit courant. Par ailleurs, les flux d’investissements de portefeuilles sont restés élevés jusqu’en 2015 –année de crise politique et économique- et représentaient environ 2 % du PIB, contre 4 % pour les IDE.
En matière d’investissement domestique, le faible taux des investissements productifs de la part des entreprises durant les dernières années (la FBCF représente seulement 15 % du PIB en 2017, un niveau faible comparé aux 25 % de moyenne chez les BRICS) est étroitement lié à la pratique de taux d’intérêt extrêmement élevés de la part des banques commerciales, comme conséquence indirecte de la politique des taux d’intérêt de la Banque Centrale. Les taux d’intérêt pratiqués par les banques commerciales sont parfois six fois plus élevés que le taux directeur, une situation qui rend non viable la plupart des projets d’investissement. Les banques se concentrent alors à la fois sur les prêts à faible maturité (la maturité moyenne des prêts au Brésil est légèrement supérieure à 1 an) ainsi que sur les bonds du Tesouro. Par conséquence, les crédits au secteur privé au Brésil représentent en moyenne seulement 26 % du PIB contre 72 % dans les pays de l’OCDE en 2016.
Les banques commerciales ont donc un rôle marginal dans le financement de l’investissement et financent principalement le déficit de l’Etat en achetant des bons du Tesouro très lucratifs. Cette situation a incité les entreprises à se tourner notamment vers la Banque Nationale pour le Développement Economique et Social (BNDES) pour bénéficier de taux d’intérêt bonifiés . Le secteur public représente même aujourd’hui la majorité des encours, alors que le spread de refinancement (Selic moins taux bonifié) incombe au budget fédéral.
La récente politique d’assouplissement monétaire (Selic abaissé de 675 pdb depuis octobre 2016) menée par la BCB, si elle a réduit à court-terme le taux réel, n’a pas eu qu’un faible impact sur les taux pratiqués, traduisant ainsi une politique monétaire dans l’incapacité de répondre à l’indispensable relance de l’investissement.


• Hors secteur public, le crédit baisse au Brésil

Compte tenu des éléments évoqués ci-dessus, les banques commerciales privées se cantonnent au crédit court, en pratiquant des taux sur crédit des banques privés très rémunérateurs. Cette marge, généreuse, eu égard aux autres secteurs d’activité au Brésil, s’explique en partie en raison de la concentration bancaire et du manque de concurrence parmi les acteurs bancaires privés au Brésil. En revanche, le système financier demeure caractérisé par sa robustesse.
Afin de combler ce manque, les financements longs restent l’apanage essentiellement de la BNDES, à taux bonifiés : la part du crédit bonifié sur le PIB a plus que doublé et représente aujourd’hui la moitié des actifs, contrairement à un secteur privé qui stagne depuis 2007 (Cf. figure 1).
La BNDES finance pour sa part les entreprises, les politiques industrielles ainsi que les infrastructures (Etats, communes entre autres). Elle prête à moyen/long-terme à un taux TJLP–désormais TLP à partir de 2018- plus faible que le taux Selic. Le coût de refinancement revient donc à la charge de la fédération (Tesouro).

Figure 1- Part du crédit sur le PIB, en %, en fonction du type de crédit

Compte tenu de ce mode de financement de l’économique très asymétrique, la situation budgétaire brésilienne ne permet plus aujourd’hui d’octroyer des ressources à la BNDES. Le financement pérenne des investissements pourrait être remis en question en l’absence de relai des banques commerciales.

 

• Aux conséquences budgétaires durables
En effet, les conséquences budgétaires risquent d’être durables pour l’économie et empêcher ainsi une baisse des taux réels compte tenue de la dynamique de la dette publique. Plus de deux tiers du coût de la dette brésilienne (6,5 % du PIB en 2016) est en effet indexée –directement ou indirectement- sur le Selic. Ce fardeau a été artificiellement masqué par la forte croissance tirée par les matières premières (2002-2013) qui a permis de stabiliser le niveau de dette publique brute sur le PIB entre 50 et 60 %. D’ailleurs, depuis l’entrée en récession, cet agrégat est passé de 53,3 % à 73 % du PIB à mi-2017, et restera durablement sur une pente ascendante. Récemment, l’augmentation du risque sur le Brésil depuis 2014, en raison de la crise politique et institutionnelle, du scandale « Lava Jato » et de la récession économique, n’a en effet pas permis à la BCB d’envisager un assouplissement de son taux directeur avant octobre 2016, ni au Tesouro (Trésor brésilien) de diminuer la rémunération de ses émissions obligataires.

 

3. Cette baisse des taux récente ne saurait être durable sans réformes structurelles

• Des réformes insuffisantes qui retardent l’agenda à l’après 2019
Récemment, outre le difficile gel des dépenses publiques déflatées durant 20 ans, la politique monétaire de la BCB a permis d’accompagner le vaste ajustement budgétaire en cours. A ceci s’ajoute la volonté de faire converger le taux de la BNDES au taux de marché, à travers un nouveau taux de long-terme, le TLP. Ces réformes, seules, ne semblent pas à même de réduire significativement la trajectoire de la dépense publique, ni de corriger les biais structurels de l’économie brésilienne.
Ainsi, dans un premier temps, les déséquilibres du système des retraites, dont le déficit compose l’essentiel du déficit primaire, ne semblent pas pouvoir être réformés significativement dans l’immédiat afin de contrer l’augmentation de la dette publique, et reporte cette réforme à l’après élection, soit en 2019 .
Dans un second temps, les carences structurelles ne seront pas corrigées à court-terme, notamment s’agissant du « coût Brésil » – qui consiste en un mélange de bureaucratie pesante, de complications fiscales, de strates administratives et d’infrastructures en désuétude. En outre, sans relais des banques privées à la baisse de la voilure de la BDNES, le financement de l’investissement à moyen-terme semble compromis et risque de freiner davantage la croissance potentielle du Brésil. Enfin, sans réforme de la stagnante productivité brésilienne, causée en partie par la faible utilisation de son capital humain, la question de l’investissement demeure caduque pour de nombreux agents.


• La question de l’efficacité de la politique monétaire actuelle reste posée
Un tel poids des banques publiques a entraîné une relative inefficacité de l’impact de la politique monétaire, et de la réponse sur les taux d’intérêt offerts aux évolutions du Selic. Ainsi, comme le montre la figure 2, la réponse du système financier national à un changement équivalent à un écart type du Selic ne représente que 40 % d’impact en raison de l’inertie des taux bonifiés. Lorsque le Selic évolue d’un écart type, les taux de crédit bonifié réagissent de façon trois fois inférieure à ceux du crédit privé au bout de trois ans. En effet, ce résultat s’explique par la maturité plus longue des crédits bonifiés, qui répondent davantage à la demande contrairement au crédit privé dont le Selic reste la principale composante du coût de captation.


Figure 2- Réponse cumulée à un choc d’un écart type de Selic, durant 36 mois

Conclusion
La volonté politique de sortir de la spirale à taux d’intérêts élevés, dans laquelle le Brésil serait emprisonné, pourrait être rapidement contrecarrée. Si la gestion monétaire du Brésil semble moins erratique que par le passé, un retour de l’inflation semble probable avec l’accélération de l’activité attendue en 2018. Dans ce cas, compte tenu du contexte attendu d’un taux d’intérêt réel inférieur au taux naturel, une hausse du taux de base semble inévitable. Enfin, l’attractivité du Brésil pour les investissements de portefeuille resterait moindre, ce qui pourrait vraisemblablement déprécier la monnaie à moyen-terme.

 

L'auteur

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