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La PAC : de la sous à la surproduction

Résumé :

– La PAC est la première et la plus aboutie de toutes les politiques communes.

– Elle repose initialement sur deux volets : l’organisation des marchés agricoles et leur amélioration structurelle (qui est toutefois marginale).

– L’organisation des marchés fut construite autour de trois outils : les prélèvements (ou droits de douane), les prix garantis et les restitutions (ou subventions à l’exportation).

– Initialement, la PAC fonctionne remarquablement bien et atteint rapidement ses objectifs, à tel point que l’Europe entre dans une période de surproduction.

– Nous verrons dans les articles suivants que les réformes se sont donc succédées pour garder les finances de la PAC viables, mais aussi pour respecter les accords internationaux de libre-échange.

 

 

Grâce au bon fonctionnement de la Communauté Économique du Charbon et de l’Acier (CECA, créé en 1952), les gouvernements des pays membres décidèrent de créer la Communauté Économique Européenne en 1957. L’agriculture fait partie intégrante de ce nouveau projet de collaboration européenne.

Nous proposons ici de revenir sur la mise en place de la Politique Agricole Commune qui naît particulièrement d’un volontarisme français (le plus grand pays agricole européen). Le but de cette politique est triple : accroître la productivité, stabiliser les marchés et assurer des prix abordables pour les consommateurs. Nous revenons ici sur la période de 1957 à 1984 environ et nous verrons la suite des évolutions dans deux prochains articles.

 

Contexte historique

L’agriculture des pays de l’Union en 1945 était non seulement rudimentaire, mais aussi très largement affectée par les destructions liées à la guerre. Les bombardements ont dévasté les routes, les ponts, plus généralement une très large partie des moyens de communication. Les agriculteurs exploitaient des surfaces parfois espacées de plusieurs kilomètres les unes des autres. Assurer l’approvisionnement du ménage en lait, en blé (le pain est l’aliment de base en France et en Europe) ou encore enœufs, obligeait les agriculteurs à être pluridisciplinaires ; les rendements étaient donc extrêmement bas. De plus, les pays étaient en pénurie constante d’aliments [1] et pour assurer leur sécurité alimentaire, ils devaient importer la majeure partie des denrées en provenance des USA ou de leurs colonies de l’époque.

Dès la mise en place du marché commun (effectif en 1959 et institué par le traité de Rome, 1957) les effets bénéfiques sur le commerce entre les membres sont impressionnants et plaident pour une nouvelle diminution des droits de douanes. Le Général De Gaulle conditionna l’acceptation de la France à la mise en place d’une protection de l’agriculture de la communauté face aux marchés internationaux. En effet, les cours internationaux des denrées étaient extrêmement bas, ce qui empêchait les agriculteurs français et européens de vendre leur production à l’international, mais aussi sur les marchés locaux.

Les principes d’unicité du marché agricole, de préférence communautaire et de solidarité financière sont acceptés lors de la conférence de Stresa de 1962. Le premier fait référence au marché unique donc à l’élimination des droits de douanes. Le second insiste sur le fait qu’il sera impossible de moderniser l’agriculture si les européens continuent de consommer des denrées étrangères. Enfin, le dernier principe institut véritablement le caractère commun de la politique puisqu’il nécessite une gestion au niveau européen des fonds octroyés, ceci en total détachement des situations de chaque pays.

 

Les trois mécanismes premiers de la PAC

 

Dès la fin de la deuxième guerre mondiale, chaque pays, avec l’aide du plan Marshall, réinvestit dans son agriculture. Les exploitations les plus proches des grandes villes acquièrent vite des nouvelles technologies, mais ce soutien n’a pu permettre le décollage de l’ensemble de l’agriculture européenne.

De fait, les gouvernements avaient deux choix : soit abandonner l’agriculture, soit la soutenir d’autant plus. Certains pays de la communauté ont été tentés de l’abandonner tant les denrées américaines étaient bon marché. D’autres désiraient la soutenir pour assurer la sécurité alimentaire (cas de la France). Seulement aucun n’a eu les moyens de faire de l’agriculture un secteur d’activité rentable tant la concurrence internationale était rude.

L’Europe met donc en places trois dispositifs, sans pour autant demander d’investissements importants de la part des États. Bien qu’ils aient beaucoup évolué, ces dispositifs existent toujours. Le schéma (Figure 1) ci-dessous illustre très bien ces trois principes.

 

Le prélèvement

Le premier mécanisme est le prélèvement. L’idée est extrêmement simple : taxer les importations pour les rendre plus chères que les prix locaux. Ainsi, on casse la concurrence et les producteurs européens peuvent avoir des débouchés locaux. Seulement, les prix des biens alimentaires fluctuent énormément avec les aléas climatiques. De fait, les droits de douane furent flexibles. Chaque année, les instances européennes (commission et ministres de l’agriculture des pays membres) déterminent un prix de seuil au-dessus du prix interne de la communauté (déterminé lui par la confrontation de l’offre et de la demande interne). Ainsi, le droit de douane qu’un exportateur étranger doit acquitter pour vendre son bien dans la communauté est la différence entre le prix de seuil et son prix de vente. De facto, les importations deviennent plus chères que les productions locales.

 

Les prix garantis

Le revenu que la protection des débouchés garantit aux agriculteurs n’est pas suffisant pour qu’ils puissent investir. Il est donc ajouté au prélèvement, le mécanisme de prix garantis. L’idée est aussi très simple : les instances de la communauté fixent chaque année un prix plancher. Dès lors que le prix interne de marché descend sous ce prix, la puissance publique s’engage à acheter, sans aucune limite de quantité, la production des agriculteurs qui le souhaitent. Ainsi, les agriculteurs connaissent le revenu minimal qu’ils obtiendront et peuvent ainsi investir bien plus facilement (ce mécanisme est maintenant très peu utilisé). Ceci est en partie financé par les revenus découlant du prélèvement (au travers du FEOGA : Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole ; complété par les cotisations des États membres à environ 50%).

 

La subvention à l’exportation

Le FEOGA finance aussi des subventions à l’exportation. En effet, la communauté anticipe dès le début qu’il est préférable d’exporter plutôt que d’acheter au prix garantis (car c’est plus couteux) et que, la production augmentant, il faudra exporter les surplus lorsqu’il y en aura. Ainsi, la PAC se dote de subventions à l’exportation qui permettent aux agriculteurs d’exporter au prix du marché international (bien plus bas), mais de récupérer la différence (entre le prix international et le prix national).

Le bilan de la PAC fut très vite extraordinairement positif. Les productions européennes explosèrent. Les rendements en blé passèrent, par exemple, de 20 quintaux par hectare en 1950 à 40 au milieu des années 60 [2]. Les exploitations se spécialisèrent et se mécanisèrent : les chevaux de traits disparaissent, les troupeaux de vaches laitières augmentent de 20%.

Figure 1 : Principe de la PAC

Source : Olivier de Gasquet, (2002) Comprendre notre agriculture et la PAC.

 

En outre, la PAC a dès sa mise en place (et de plus en plus) instaurer un volet d’aide au renouveau structurel. Les acteurs du marché (États, coopératives, agriculteurs) savaient qu’aider les agriculteurs à investir et à augmenter leurs rendements ne passerait pas seulement par une garantie sur les prix. Les infrastructures des campagnes étaient bien trop faibles (de nos jours, ce volet, sur lequel nous reviendrons dans un autre article a pour but d’organiser le développement des campagnes). Une partie, extrêmement négligeable du FEOGA (environ 10% en 2001, dénommé le FEOGA-Orientation) est ainsi octroyé aux agriculteurs voulant investir, à ceux voulant arrêter leur activité faute de productivité ou encore ceux voulant se former. Néanmoins, la plupart des pays ont mis en place des politiques de développement structurel et de réorganisation de la production parallèle à ce volet de la PAC.

 

Les évolutions

 

L’attaque internationale

Dès la naissance de la PAC, les USA s’insurgèrent de la mise en place de cette politique qu’ils jugeaient, à juste titre, protectionniste. Dans le cadre des négociations du GATT, les pays européens s’étaient engagés à n’utiliser des politiques protectionnistes que dans des situations restreintes. Or, la PAC dépassait le cadre légal prévu à cet effet.

Les dirigeants européens clamèrent la nécessité pour l’agriculture européenne de se reconstruire et de se développer après la deuxième guerre mondiale et obtinrent gain de cause après avoir accepté une revendication surprenante des USA : ils ne demandaient aucun droit de douane sur les oléagineux [3]. À l’époque, ces végétaux sont très peu cultivés en Europe. Cependant, ils entraient déjà dans la production de viande car les graines de soja par exemple, permettent un très grand apport en protéines. Or, puisque l’agriculture européenne se développait massivement, les USA anticipèrent que les besoins européens  en oléagineux allaient augmenter pour nourrir leur bétail.

 

Les problèmes monétaires

Mise à part la résistance des USA, la PAC n’a pas subi de problèmes majeurs jusqu’en 1969. Cette année-là, la France dut dévaluer sa monnaie. Ce fut la première fois que le fait d’avoir différentes monnaies au sein de la communauté fut problématique pour la PAC.

Les niveaux des prix discutés plus haut sont fixés en unité de compte [4]. Suite aux événements de 1968, le gouvernement décida de dévaluer le franc en août 1969 pour que les entreprises françaises retrouvent de la compétitivité. Cette dévaluation fut de 12,5%. Seulement, les prix réglementés restèrent les mêmes puisqu’ils étaient fixés en unité de compte pour toute la communauté, donc ces prix augmentèrent de 12,5% en France. Ce fut une solution inacceptable pour le gouvernement qui ne pouvait pas laisser les prix des denrées augmenter de manière aussi importante.

Pour éviter cette situation, le gouvernement dévalua le franc par rapport à toutes les monnaies, mais pas par rapport à l’unité de compte. Donc les prix agricoles, qui étaient régis par cette unité de compte n’évoluèrent pas.

Mais cette solution posa un autre problème : les prix des denrées agricoles n’augmentant pas et la parité du franc ayant diminué de 12,5%, les transactions commerciales réalisées du franc au deutschmark (par exemple) donnèrent un avantage aux agriculteurs français de 12,5% sur leurs concurrents allemands (et européens). Ce qui était inacceptable pour les partenaires.

Pour réduire ceci, la Commission décida d’affecter une taxe à l’exportation des biens agricoles français vers ses partenaires européens et une subvention à l’importation des biens agricoles des partenaires vers la France. Ce fut la première grande complexification de la PAC.

Deux mois après cette décision, l’Allemagne décida, pour de multiples raisons, de réévaluer le mark (octobre 1969), ce qui créa la situation inverse. La commission mit donc en place le système inverse. Dans les années qui suivirent, les prix agricoles augmentèrent en France, diminuèrent en Allemagne, et le prix unique se remit en place. Mais aussitôt rétabli, les USA arrêtèrent la convertibilité du dollar en or, ce qui provoqua la fin des accords de Bretton Wood (1971), emportant avec eux les parités fixes des monnaies. De fait, chaque pays européen devint une zone à part entière avec des montants compensatoires à l’importation et à l’exportation pour maintenir la parité fixe avec le prix unique. Cette nouvelle donne créa des distorsions énormes entre les pays dont la monnaie s’apprécie, et ceux dont la monnaie se déprécie. Les montants compensatoires étaient versés sans véritablement prendre en compte tous les éléments et menèrent à subventionner les exportations allemandes et brider les exportations françaises par exemple. Ce problème fut amplifié par des considérations budgétaires.

 

Le budget

Comme nous l’avons dit plus haut, la PAC est financée par le FEOGA qui tire ses fonds des prélèvements et des cotisations des pays membres (ce qui est toujours le cas). Ces cotisations représentent 1% de la valeur de la TVA récoltée par chaque partenaire. De fait, les pays fortement industrialisés sont de plus gros contributeurs que les autres. Ainsi, l’Allemagne est, dès la création de la PAC, le plus gros contributeur.

La réaction des autorités allemandes à cette situation ne fut pas de tenter de changer les règles, mais plutôt d’utiliser la PAC pour développer drastiquement leur agriculture et ainsi récolter une plus grosse part de la totalité des fonds du FEOGA. Ce comportement fut celui de l’ensemble des pays puisque tous ont cette volonté de minimiser le coût qui leur incombe dans cette politique.

Ceci contribua à tendre les finances du fond, déjà en difficulté par la dynamique de croissance de la production agricole. En effet, à la mise en place de la PAC, les dépenses étaient peu élevées comparativement aux recettes. Mais l’augmentation de la production obligea les autorités à acheter de plus en plus au prix garanti, ce qui coûta de plus en plus cher. De plus, les agriculteurs exportèrent les productions non écoulées, ce qui coûta là aussi beaucoup d’argent puisque le prix international était inférieur au prix garanti.

Ces deux éléments obligèrent les autorités à revoir les principes de fonctionnement de la PAC. Ils commencèrent, en 1988, par mettre en place une ligne directrice pour l’évolution du budget alloué au FEOGA. Il ne put, à partir de cette date, augmenter de plus de 74% du taux de croissance du PIB de la communauté.

 

La surproduction

Le fond du problème est là, et nous l’avons déjà annoncé : la PAC fut victime de son succès. La production augmenta admirablement dans les premières années de la politique agricole. Bien sûr, il ne faut pas oublier le plan de reconstruction Marshall et les organisations agricoles de chaque pays, qui ont joué un rôle très important et ce avant même que la PAC soit mise en place. Mais les garanties que cette politique a donné aux agriculteurs leur a permis d’investir de manière importante et ainsi d’assurer la sécurité alimentaire et même de dépasser les besoins de la communauté.

Et c’est là que l’on perçoit la fin du système. Les mécanismes ingénieux ne peuvent fonctionner à bas coût que si la production n’excède pas chroniquement la demande. Ce qui fut malheureusement le cas au début des années 80 dans plusieurs secteurs agricoles (comme la production laitière) et sera suivi ensuite par d’autres (comme les céréales).

Augmentation des dépenses et diminution des recettes (puisque les importations diminuent), provoquèrent un dérapage des finances. Mais le coût politique est tel, que les décideurs refusèrent de s’y atteler frontalement. Néanmoins, le Conseil Européen de 1984, sous l’impulsion de la France qui en est présidente, avance déjà les problèmes importants et tous savent qu’il faudra faire quelque chose.

 

Conclusion

Les débuts de la PAC sont un véritable succès. L’agriculture européenne devint en une vingtaine d’années, l’une des agricultures les plus productives du monde. Ceci malgré des spécificités importantes puisque l’Europe est loin d’être un ensemble homogène.

Cependant, et nous allons le voir dans un prochain article, les débuts prometteurs, bien qu’entachés de quelques crises, laissent rapidement place à une situation de surproduction qui va éloigner les agriculteurs du processus de décision et complexifier notablement la Politique Agricole Commune.

 

 

Notes:

[1] Le rationnement fut maintenu jusqu’au début des années 50.

[2] Olivier de Gasquet, (2002) Comprendre notre agriculture et la PAC.

[3] les oléagineux sont des plantes riches en lipides et largement utilisés dans l’alimentation du bétail (soja, colza, …)

[4] L’unité de compte est en fait une monnaie fictive. A cette époque, personne ne le disait réellement, mais l’unité de compte correspondait au dollar. Autrement dit, les prix garantis étaient fixés en dollars puis convertis dans chacune des monnaies nationales pour rémunérer les producteurs. Plus tard, l’écu sera l’unité de compte de l’Union et enfin l’Euro.

 

Références:

– Olivier de Gasquet, (2002) Comprendre notre agriculture et la PAC.

– Christiane Lambert, (2009) Les modalités de formation des prix alimentaires du producteur au consommateur.

– Site de l’Europe, http://europa.eu/pol/agr/index_fr.htm

– Site du ministère de l’agriculture, http://agriculture.gouv.fr/pac-soutiens-directs-et

Site de « vie publique »

– Site de « il était une fois la PAC », http://www.iletaitunefoislapac.com

– Nicolas-jean Bréhon, (2010) La PAC en quête de légitimité. Étude disponible sur le site de la fondation Robert Shuman.

– Jean-Pierre Butault, (2004) Les soutiens à l’agriculture : théorie, histoire, mesure

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