Italie : quelles sont les perspectives de crise ? (Note)

Résumé :
  • L’Italie est secouée par une crise politique majeure, augmentant fortement la volatilité des marchés financiers de la Zone euro ;
  • Une crise souveraine italienne serait dévastatrice pour le pays, mais il y a peu de chance qu’elle se propage aux pays périphériques de manière dangereuse ;
  • Dans tous les cas, la crise italienne n’a pas l’ampleur de celle de 2011-2012 et les fondamentaux macroéconomiques sont solides.

Cet article analyse la situation macroéconomique de l’Italie à la rencontre d’une crise politique majeure. Il analyse les risques de crise souveraine, sortie de l’euro, intervention de la banque central et contagion au reste de la Zone euro.

Depuis deux semaines les marchés sont particulièrement agités en raison de la situation politique italienne. En effet, la plus grande confusion règne autour de l’issue politique du gouvernement de la péninsule. Un nouveau passage devant les urnes des Italiens reste un scénario probable au cours de la seconde partie d’année 2018. Les semaines à venir resteront probablement marquées par une forte volatilité matérialisée par des écarts significatifs au sein d’une même journée de l’emprunt à 10 ans italien et un risque de contagion aux autres actifs européens.

Dans ce contexte, les taux italiens se sont nettement tendus : hausse de 125 pb à 3 % sur le taux souverain à 10 ans et, signe de stress particulier, la courbe des taux s’est largement aplatie (+200 pb sur le taux souverain à 2 ans). Le marché des actions italiennes est également sous tensions, atteignant -10 % et annulant ainsi tous ses gains sur l’année. Dans le même temps, la dette allemande à 10 ans a joué son rôle de valeur refuge en baissant de plus de 30 pb.

Ces variations marquent le retour partiel des inquiétudes sur la stabilité de la Zone euro.

1) Va-t-on vers une nouvelle crise souveraine ? Peut-être.

1.1. Quelle serait l’ampleur de la crise souveraine ?

Une crise souveraine touchant la troisième économie de la Zone euro pourrait être dévastatrice pour le pays, ce pour deux raisons principales :

  • Aucun des instruments de stabilisation développés par la Zone euro ne pourraient être déployés en faveur de l’Italie : en cas d’une dégradation de deux crans de sa notation (aujourd’hui BBB, soit un cran au-dessus de la limite « investment grade ») par au moins une agence de notation, l’Italie ne serait plus éligible à l’assouplissement quantitatif (QE) de la banque centrale (les pays classés « non-investment grade » ou « speculative », soit BB+, ne sont pas éligibles au QE de la banque centrale), qui refuserait de prendre des obligations italiennes comme collatéral. De plus, l’accès aux mécanismes de soutien (via le Mécanisme Européen de Stabilité ou le programme Outright Monetary Transactions de la BCE) serait conditionné notamment à un programme de consolidation, en contradiction avec le programme de l’actuelle coalition. L’Italie serait alors confrontée à une grave crise politique, et pourrait prendre le chemin d’une sortie de la Zone euro.
  • La place de l’Italie dans l’économie de la Zone euro : la crise serait sans précédent pour le pays : chute du crédit, de l’investissement, de la confiance des marchés, redénomination des actifs, choc commercial. La crise pourrait toucher l’ensemble de la Zone euro via des effets de contagion, en dépit de l’intervention de la BCE dans les pays périphériques. Dans l’éventualité d’un Italexit, le risque d’éclatement de la Zone euro atteindrait un niveau record.

1.2. Le programme budgétaire de la coalition comporte en effet tous les ingrédients d’une crise de la dette

Le programme économique de la coalition repose sur une politique budgétaire expansive : introduction d’un revenu minimum (programme électoral du M5S), flat tax (Lega), révocation de la réforme des retraites (accord de la coalition), suppression de la hausse automatique de la TVA (accord de la coalition). L’ensemble de ces mesures coûterait entre 110 et 150 Mds € (soit entre 6 et 7 % du PIB italien). La coalition a cependant démenti la présence dans son programme d’une demande d’annulation d’une partie de la dette italienne à hauteur de 250 Mds € et de sortie de la Zone euro.

L’augmentation du déficit en conséquence et le glissement de la trajectoire de dette vers une dynamique insoutenable seraient en rupture avec les exigences de l’Union Européenne et des marchés financiers.

Le gouvernement serait alors tenté d’utiliser ce qu’on appelle des « mini BOTs » (mini-bons du Trésor, Buoni Ordinaro del Tresorio), des reconnaissances de dette émises par l'Etat pour solder ses arriérés auprès de ses créanciers et fournisseurs. Cela viendrait à la fois alourdir l'endettement italien car une prime de risque serait nécessairement appliquée à ces produits. Cela enverrait un signal aux marchés de réintroduction d’une monnaie nationale au sein de l’union monétaire.

1.3. Quelques garde-fous avant l’escalade de la crise souveraine

Le scénario dans lequel l’Italie perd l’accès aux marchés financiers (déclenché par un abaissement de sa note et une explosion du spread), échoue à négocier avec les autorités européennes un programme d’ajustement, et sort de la Zone euro reste possible. Cependant, il est peu probable que cela se passe ainsi :

  • Le gouvernement peut vaciller : la crise touchera fortement le système financier italien et ses banques, fortement exposées aux obligations italiennes. Deux tiers de la dette italienne sont aujourd’hui détenus par les résidents, ce qui rendrait une crise de la dette souveraine (et a fortiori un défaut) encore plus douloureuse pour le pays. Un défaut italien toucherait massivement les Italiens eux-mêmes, et pourrait engendrer un retournement politique ;
  • La majorité au Parlement est faible : les mesures du programme budgétaire expansionniste de la coalition dont la mise en œuvre favoriserait la survenue de la crise, ne seront votées qu’à l’automne 2018 voire 2019. Or, la majorité au Sénat est ténue (6 voies), un renchérissement du coût du crédit causé par un budget irresponsable serait susceptible de renverser la majorité ;
  • L’Article 81 de la Constitution prévoit un principe d’équilibre du budget et la soutenabilité de la dette : si le budget devient inconstitutionnel, le président de la République pourrait alors le refuser.

Plusieurs scénarii sont donc possibles : montée des taux d’intérêt, flux massifs d’investissement sortants, sanction éventuelle de la part des autorités européennes. Le gouvernement pourrait également être poussé à retarder ses mesures budgétaires. Une catastrophe européenne peut être évitée, mais les coûts (politiques, sociaux et économiques) pourraient néanmoins être élevés.

2. Une crise financière et une contagion à la Zone euro ? Pas forcément.

La perspective de la coalition a considérablement fait augmenter le volume de transactions sur les marchés financiers, les investisseurs incorporant cette information dans le prix des actifs, notamment les obligations italiennes. La vente massive de bonds italiens augmente le risque d’insoutenabilité de la dette et de contagion au niveau de la Zone euro, mais la panique ne semble pas de mise.

Tout d’abord, il est peu probable qu’une telle coalition parvienne à mettre en place les réformes budgétaires promises. Cela devrait rassurer les investisseurs à court terme. Ensuite, il est normal que les marchés financiers, hautement procycliques, réagissent aux propositions de politiques budgétaires insoutenables à moyen terme. Néanmoins l’absence de suite donnée à ses propositions favorise le retour à la normale sur les marchés.

Graphique 1 – Spreads des taux souverains à 10 ans avec l’Allemagne

Sources : Bloomberg, BSI Economics

Le graphique ci-dessus permet de relever trois points :

  1. Le spread italien (300 pb le 29/05 à 11h) n’a pas encore atteint les records de 2012 (680 pb), même s’il augmente rapidement ces derniers jours ;
  2. Si l’augmentation des spreads italiens touche également le Portugal et l’Espagne, l’augmentation reste encore mesurée. Il n’est donc pas certain qu’une hausse continue créera un choc massif et une crise économique soudaine dans la péninsule ibérique : si c’est le cas, le potentiel de contagion justifiera une intervention massive de la BCE dans ces régions. À noter toutefois que l’Espagne est actuellement dans une situation politique instable du fait de la motion de censure déposée par le PSOE contre le gouvernement et la destitution de M. Rajoy le vendredi 1er juin ;
  3. Le cas du Portugal début 2016 nous invite à ne pas nous alarmer sur le cas italien : avec une dette à 130 % du PIB, un gouvernement socialiste qui est revenu sur certaines des mesures mises en place durant son programme d’ajustement, une croissance alors faible et des spreads à 400 pb pendant plus d’un an, le pays a regagné la confiance des investisseurs. Il faudra plus de temps et des spreads bien plus élevés pour mettre en danger la soutenabilité de la dette italienne, surtout que la coalition italienne entame son mandat avec des surplus primaires et courants.

Il n’y a cependant pas de doute sur le fait que l’incertitude italienne amenuise les perspectives d’une réforme institutionnelle de la Zone euro et réduira la croissance européenne en 2018.

3. Une crise de confiance de l’ampleur de celle de 2011-2012 ? Non.

Si la volatilité du marché démontre les craintes et incertitudes des investisseurs quant aux politiques italiennes futures, il y a cependant de solides raisons de croire que la dette restera soutenable et que l’Italie ne court pas le risque de revivre la crise de confiance de 2011-2012 :

  • Les fondamentaux de l’Italie se sont nettement restaurés : le déficit budgétaire atteint seulement 2,3 % en 2017 (prévision de 1,7 % en 2018) ; le pays se situe désormais en surplus primaire (1,5 % du PIB en 2017). La croissance atteint 1,4 % en glissement annuel au 1er trimestre 2018, soutenue par la croissance européenne ;

Graphique 2 – Balance budgétaire et position extérieure italiennes

Sources : Bloomberg, BSI Economics

  • Les investisseurs étrangers détiennent moins de dette : la structure du marché de la dette a changé depuis 2011-2012, les investisseurs étrangers détenant maintenant seulement 32 % de la dette italienne (contre 41 % en 2010), dont les investisseurs hors Zone euro seulement 5 %. Le marché est donc moins soumis aux flux volatiles étrangers de « hot money » ;
  • Le service de la dette a nettement diminué : ce qui compte dans la soutenabilité de la dette est le coût du service, atteignant aujourd’hui 2,8 % (graphique 3) soit son plus bas niveau depuis la mise en place de l’euro ;
  • Les risques de refinancement de court-terme sont écartés : les marchés vont certainement rester très volatiles à court terme, mais le pays sera capable de rembourser ses coupons arrivés à maturité (en moyenne de 7 ans aujourd’hui).

Graphique 3 – Coût du service de la dette italienne

Sources : Bloomberg, BSI Economics

Conclusion

En conclusion, les marchés vont vivre en partie au rythme de la politique domestique italienne, de la formation d’un potentiel gouvernement, de la potentielle campagne électorale à venir, maintenant, ainsi, un régime de volatilité élevé peu propice aux prises de positions tranchées. Malgré les promesses populistes de la nouvelle coalition, les perspectives macroéconomiques de l’Italie demeurent cependant solides ; elles vont certainement se détériorer dans les mois qui viennent, sans pour autant mettre en danger la soutenabilité de la dette italienne.

Diplômée de l'École Normale Supérieure de Cachan et de l'École d'Économie de Paris, Mathilde Viennot est docteure en économie après une thèse sur les crises financières et le défaut souverain. Chercheure associée au département d'économie de l'Ecole Normale Supérieure, elle a été conseillère au cabinet de Bernard Spitz à la Fédération Française de l'Assurance et est désormais cheffe de projet au département Société et Politiques Sociales de France Stratégie (Services du Premier Ministre). Elle s'y concentre sur les sujets d'inégalités et de protection sociale. 

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