Bitcoin : de la rébellion monétaire à la disruption technologique (Note)

Résumé :

  • Le bitcoin est un actif numérique reposant sur la technologie de la blockchain, qu’il a fait naître. Sa valorisation et sa popularité ont grandi rapidement, portées à la fois par l’intérêt de cette innovation et de son éco-système, et par la spéculation dont le bitcoin et les autres crypto-actifs[1] font l’objet ;
  • Dans le sillage du bitcoin, des alternatives et des innovations utilisant cette technologie sont nées, proposant de meilleures performances (énergie, rapidité) et de nouvelles fonctionnalités par rapportau bitcoin ;
  • Parmi elles, les plateformes d’applications décentralisées, dont la plus connue est Ethereum, qui permettent de créer des contrats intelligents ;
  • La technologie de la blockchain est désormais l’objet de nombreux projets dont les potentialités d’applications apparaissent extrêmement vastes.

Dans le sillage du bitcoin, le marché des crypto-actifs a connu un essor extrêmement rapide au cours des dernières années, nourri à la fois par un engouement technologique et un fort appétit spéculatif. Sur le plan technologique, d’une part, avec la démocratisation du concept de blockchain (ou chaine de blocs), et sur le plan financier, avec une augmentation rapide du niveau de valorisation.

Longtemps, le marché des crypto-actifs est resté l’apanage d’une communauté d’initiés et de férus d’innovations informatiques, avant de connaître une ascension fulgurante et de dépasser 800 milliards de dollars de valorisation fin 2017. De nombreux observateurs voient dans ce phénomène une bulle spéculative qui finira par exploser (Voir ici un précédent article de BSI Economics). D’autres, en revanche, y voient l’émergence d’actifs, et plus sûrement d’une technologie, appelés à durer et à prendre de plus en plus de place dans l’économie.

1. Le bitcoin, c’est quoi ?

Premier né d’une famille très (trop ?) nombreuse, le bitcoin a longtemps dominé sans partage le marché des crypto-actifs. La « dominance » du bitcoin, c’est-à-dire son poids dans la valorisation du marché, a longtemps oscillé autour de 90% avant de reculer considérablement (elle est aujourd’hui inférieure à 50%).

En même temps qu’un éco-système très riche se développait autour du bitcoin, des alternatives sont nées, dépassant largement ses performances techniques et ses fonctionnalités. Désormais, le statut de premier arrivant et la notoriété semblent être les principaux atouts du bitcoin pour rester l’actif de référence, celui autour duquel tout le marché s’articule. Cette place lui est toutefois de plus en plus contestée.

La technologie de la blockchain naît véritablement le 3 janvier 2009 avec la validation du premier bloc (appelé« block genesis »)  de la chaine bitcoin, dont le réseau est alors embryonnaire. Depuis cette date, le registre s’enrichit d’un nouveau bloc à un rythme moyen de 10 minutes par bloc, pour un total qui a atteint la barre des 500 000 blocs fin 2017.

Né peu après la crise des subprimes, le bitcoin se veut une réponse à l’échec de l’organisation monétaire et financière mondiale, et s’est développé autour d’une communauté anti-autoritaire, les cypherpunks, avant de se populariser. Il repose sur la désintermédiation (les échanges se font de pair à pair), un registre public des transactions (qui permet donc leur traçabilité, le bitcoin n’est ainsi pas fongible), et un mode de gouvernance décentralisé et de consensus des acteurs en charge de la validation des blocs (les « mineurs »).

2. Des mineurs de fonds

La hausse fulgurante du cours du bitcoin a fait naître des vocations. Longtemps réservé aux initiés de sa communauté, la validation des blocs de la chaine du bitcoin, qui est rémunérée en bitcoins, s’est perfectionnée, professionnalisée… et concentrée. Il est intéressant de comprendre pourquoi un projet initié sur la décentralisation et l’auto-gestion monétaire d’une communauté a débouché sur une concentration des moyens de production et de décisions, scénario maintes fois éprouvé depuis l’émergence des économies capitalistes.

La validation d’un nouveau bloc de transactions du bitcoin s’effectue par la « preuve de travail » fournie par l’activité dite de « minage ». Le minage consiste à utiliser la puissance de calcul d’un matériel informatique pour découvrir le « hash »[2] qui validera un bloc en cours d’écriture. La découverte du hash par l’un des acteurs du réseau est récompensée par l’octroi de bitcoins nouvellement créés. Le nombre de bitcoins qui rémunère le « mineur » ayant fourni le hash est prédéterminé. Originellement fixé à 50 bitcoins, il est divisé par deux tous les 200 000 blocs et est aujourd’hui de 12,5 bitcoins. En 2140, quand le dernier bloc rémunéré par émission de bitcoin aura été atteint, le minage ne sera plus rémunéré que par les frais associés aux transactions des utilisateurs du réseau. Cette caractéristique fait du bitcoin, dont l’offre maximale est limitée à 21 millions et dont la vitesse d’émission diminue, une valeur déflationniste. Plus la puissance de calcul déployée par un mineur est élevée (on parle de « hashrate »), plus il a de chances de découvrir le premier le hash d’un bloc et d’empocher les bitcoins associés.

La validation des blocs et le mode de gouvernance du réseau bitcoin, assis sur la preuve de travail, montre toutefois ses limites. La hausse fulgurante du cours du bitcoin a poussé à des investissements massifs en matériels de minage extrêmement énergivores. Cette course échevelée à la puissance de calcul a conduit à la création de fermes de minage et à des coopératives de mineurs. La concentration du hashrate qui en découle est à la fois un dévoiement du projet originel du bitcoin (qui ne visait pas qu’une décentralisation institutionnelle) et une potentiellement une menace pour la solidité de sa blockchain.

En effet, paradoxalement, ce qui pourrait assurer l’inattaquabilité du bitcoin en fait potentiellement une faiblesse. La modification du contenu des blocs de la chaîne devient plus difficile et plus onéreuse avec l’augmentation de la puissance de calculs déployée, mais comme cette augmentation s’effectue conjointement à une concentration, elle rend théoriquement la chaîne du bitcoin attaquable. Cette menace est connue sous le nom de « l’attaque des 51% » ; elle correspond à une situation où un groupe possède une puissance de calcul suffisante pour rendre possible la validation d’une blockchain modifiée. Des solutions (augmenter le nombre de confirmations, méthode de Bobtail) limitent mais n’éliminent pas la possibilité d’une version modifiée de la chaîne de blocs par un utilisateur (ou un groupe d’utilisateurs) possédant une grande puissance de calcul.

Des alternatives ont émergé. Elles reposent, par exemple, sur un mode de consensus basé sur une preuve de travail « résistante » au matériel de minage énergivore et limite l’escalade des coûts énergétiques associés à la hausse de la valeur de l’actif et la concentration de la puissance de calculs. Plus en rupture, d’autres actifs fonctionnent sans le recours à la preuve de travail dans le processus de validation des blocs et lui ont substitué, par exemple, la preuve d’enjeu (consensus en fonction de la masse possédée par les utilisateurs du réseau).

3. Une « monnaie » mondiale commune ?

Il est parfois fait mention du bitcoin comme d’un possible moyen de paiement universel. En l’état actuel des choses, ses performances techniques le rendent totalement incapables d’assumer un tel rôle. Au fil du temps, le bitcoin a acquis un rôle d’étalon pour les parités et de réserve de valeur dans l’écosystème des crypto-actifs, qui prête davantage à le comparer à l’or qu’à un moyen de paiement.

Les limites techniques (actuelles) du bitcoin sur ce point précis renvoient à un enjeu majeur : la scalabilité, c’est-à-dire la capacité du réseau d’une blockchain à supporter un grand nombre de transactions.

Concernant le bitcoin, la taille d’un bloc est actuellement plafonnée à un mégaoctet, ce qui limite considérablement le nombre de transactions que peut supporter son réseau (environ 7 par seconde actuellement, soit une capacité difficilement compatible avec un rôle de moyen de paiement à grande échelle, alors que le réseau Visa peut en supporter plusieurs dizaines de milliers). Le réseau bitcoin connaît ainsi fréquemment un phénomène de saturation : en moyenne, la taille d’un bloc a atteint désormais 99,9% de sa taille maximale durant les derniers mois de 2017. Plusieurs pistes ont été investies pour pallier à cela :

  • L’adoption du processus segwit (qui diminue le nombre d’informations d’une transaction, en l’occurrence en supprimant la présence de la signature) allège le poids d’une transaction et augmente donc la capacité d’un bloc ;
  • La hausse de la taille des blocs : son doublement a été abandonné avec pertes et fracas en novembre 2017, faute de consensus ;
  • Le « lightening network », qui consiste à créer des canaux temporaires de pairs- à pairs hors blockchain.

Une partie des acteurs du réseau bitcoin considérant que la vocation originelle du bitcoin est de servir de moyen d’échanges, un « hard fork »[3] a eu lieu sur la chaîne du bitcoin durant l’été 2017 et a donné naissance à un nouvel actif, le bitcoin cash, dont la taille des blocs atteint non plus 1 mégaoctet, mais 8 mégaoctets, limitant les problèmes d’engorgement et la hausse des frais de transactions.

Le litecoin possède également une meilleure scalabilité que le bitcoin, non pas grâce à une taille des blocs supérieure mais à une validation de bloc dont la fréquence est quatre fois supérieure à celle du bitcoin, ce qui augmente d’autant la capacité de son réseau.

Des protocoles s’éloignant plus largement de celui du bitcoin offrent désormais des performances (scalabilité, temps de transaction, coût énergétique) plus efficaces grâce à la technologie de la blockchain, s’appuyant sur un processus de validation plus simple et moins énergivore (la plus fréquente est la preuve d’enjeu), voire même en utilisant une autre technologie que la blockchain (le IOTA, une des plus importantes valorisations du marché, utilise sur le graphe dirigé acyclique, ou DAG). Sur le segment des transferts internationaux, par exemple, les protocoles Ripple et Stellar (qui utilisent la preuve de consensus), qui comptent également parmi les têtes d’affiche en termes de valorisation, offrent désormais des solutions extrêmement performantes en termes de coûts, de rapidité et de scalabilité. Cela a permis à la fondation Ripple de signer de nombreux partenariats avec des institutions financières et bancaires.

4. De nouvelles fonctionnalités pour la technologie de la blockchain : dans le sillage d’Ethereum, l’émergence des plateformes d’applications décentralisées

Le principal concurrent au bitcoin comme actif de référence est aujourd’hui l’ether, qui s’est imposé comme la deuxième capitalisation du marché.

Le projet Ethereum a été initié en 2013 par le jeune Vitalik Buterine, désormais figure incontournable, qui publiait à l’âge de 19 ans le « livre blanc » de ce projet dans le but de récolter des fonds nécessaires à son financement. En juillet 2015, le premier bloc de la blockchain Ethereum était miné.

Au passage, cette récolte de fonds a fait émerger une forme de financement d’un genre nouveau, appelée Initial Coins Offering (ICO), par analogie aux introductions en bourse appelées Initial Public Offering (IPO). En échange de fonds, souvent apportés en bitcoins (ou désormais en ethers), les participants à une ICO reçoivent des tokens qui leur offrent un droit d’usage.

Sur le plan technique, Ethereum conserve le principe de décentralisation et (pour l’instant) de validation par la preuve de travail. La validation par preuve d’enjeu, qui délègue la gouvernance aux détenteurs des ethers, et non plus aux mineurs, pourrait s’y substituer.

Le réseau Ethereum offre une meilleure scalabilité et la durée de validation de blocs est plus faible, mais son apport majeur ne réside pas là. Il offre la possibilité de créer des contrats intelligents qui permettent de créer des applications décentralisées ou « dapps ».

Comme premier arrivant et principale valorisation, le bitcoin s’est imposé comme une valeur étalon: une faible partie des actifs est directement libellée en monnaies « fiat » (euros, dollars, wons coréens, etc.), et la grande majorité l’est en bitcoin. La force d’innovation des projets qui se sont appuyés sur les possibilités d’applications et d’utilisation de son réseau fait d’Ethereum le centre de gravité d’un éco-système foisonnant et lui confère une grande légitimité. Il est encore trop tôt pour dire si ces arguments seront suffisants pour en faire le successeur du bitcoin comme actif de référence.

Comme le bitcoin, l’ether a en outre vu émerger des compétiteurs, mais présente comme son aîné l’avantage d’être le premier installé sur sa ligne de développement, même si ses performances techniques ne sont pas les meilleures. Parmi la liste (non exhaustive) de ces nouveaux concurrents, on trouve notamment EOS (qui offre un niveau de scalabilité inégalé et pourrait s’avérer être le successeur d’Ethereum), Lisk (qui offre une accessibilité nouvelle à une palette de développement d’application sur un réseau fonctionnant avec une chaîne de blocs principale et d’autres chaînes subsidiaires), ou encore Néo, plateforme souvent présentée comme « l’Ethereum chinois » grâce à une grande capacité d’innovation et qui accueille un nombre grandissant d’applications sur son réseau.

5. Quel avenir pour les crypto-actifs et la blockchain ?

Les avancées technologiques des « altcoins »[4] font désormais du bitcoin une technologie sui semble dépassée techniquement. Les bases de son développement autour d’une communauté d’utilisateurs utilisant leur ordinateur personnel pour constituer un réseau décentralisé apparaissent largement déconnectées de l’évolution financière du bitcoin et du phénomène de spéculation qui l’entoure, et de ses capacités technologiques qui ont évolué beaucoup moins vite que sa popularité.

Les alternatives au Bitcoin qui ont émergé ces dernières années apparaissent aujourd’hui plus efficaces (rapidité et coût de transaction, coût énergétique) pour remplir certaines fonctions du Bitcoin, pour en offrir de nouvelles, et, plus encore, pour poursuivre l’objectif d’une valeur numérique dont le processus de gouvernance est décentralisée, et pas seulement institutionnellement.

Sa création a toutefois permis à la technologie de la blockchain d’émerger et de connaître des avancées extrêmement rapides. A terme, la technologie de la blockchain pourrait s’immiscer dans de nombreux secteurs économiques, dont nous dressons ici une liste largement incomplète :

  • Le transfert de valeur : depuis le bitcoin, des alternatives ont émergé. Des émanations du bitcoin à des valeurs numériques plus en rupture dans le mode de validation des blocs ou reposant sur une autre technologie, comme le DAG, évoqué plus haut ;
  • Plus globalement, au-delà du transfert de valeur et du moyen de paiement, la plupart des services financiers classiques sont potentiellement concernés par la blockchain ;
  • Les plateformes d’applications décentralisées et de contrats intelligents, telles qu’Ethereum ou EOS, qui offrent la possibilité d’effectuer des levées de fonds ;
  • Lutte contre la contrefaçon et la traçabilité des produits ;
  • Les échanges de données sécurisées, par exemple dans le domaine médical ou de l’internet des objets, de votes, etc ;
  • Le stockage de données décentralisé, sur lequel plusieurs projets se construisent actuellement ;
  • En plein essor, le domaine de l’intelligence artificielle a aussi à gagner de la technologie de la blockchain, qui permet à la fois la constitution de vastes bases de données et de contrats intelligents hyper développés.

Conclusion : au-delà du bitcoin

A la fois innovation technologique et « monnaie » de contestation, le bitcoin a fait émerger de nombreuses alternatives, qui embrassent à grande échelle ou enterrent les rêves de ses premiers partisans comme outil de réserve et de transfert de valeur.

Le développement de l’utilisation de la blockchain par vagues successives, sur ce segment puis celui des plateformes, donne désormais naissance à une grande diversité de projets. La technologie de la blockchain se révèle en effet une richesse d’application étonnante dans un grand nombre de domaines potentiel. Ces projets naissants dans l’écosystème des crypto-actifs et des actifs numériques pourraient ainsi affecter de nombreux secteurs, même s’il est encore tôt pour dire lesquels projets relèvent réellement de l’innovation et déboucheront sur une amélioration de l’existant et une adoption de masse.


[1] Par commodité, nous utiliserons le terme englobant de crypto-actifs pour désigner les valeurs numériques reposant sur la technologie de la blockhain ou issues d’ICO. Le terme de crypto-monnaies, très répandu, correspond à des fonctions que seule une partie des projets souhaite atteindre, et est par ailleurs discuté.

[2] Un hash est suite de lettres et de chiffres de taille fixe qui correspond à la transformation algorithmique des informations contenu dans le registre de transactions du bloc

[3] Un hard fork est un scindement d’une chaine de blocs qui provoque la création d’un nouvel actif-. Par opposition, un soft fork est une modification des règles d’un protocole.

[4] Alternatives au bitcoin

Clément Bouillet est diplomé de l'Université Paris Dauphine et Paris Val de Marne. Après une expérience comme économiste à EDF, Clément Bouillet évolue actuellement dans un service d'étude économique d'une compagnie d'assurance.

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