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Immigration économique, quels effets sur le marché du travail ? (Note)

Republication d’un article sorti en juin 2020

Utilité de l’article : Les effets de l’immigration économique pour les pays d’accueil sont un sujet très débattu dans la sphère publique. Cet article résume les éléments de réponse fournis par la littérature économique et vise ainsi à recentrer la discussion autour des facteurs-clé.  

 

Résumé :

·       Les marchés du travail des pays industrialisés comptent une part de plus en plus importante de travailleurs migrants, même parmi la main d’oeuvre qualifiée.

·       L’immigration économique génère des gagnants et des perdants auprès des travailleurs nationaux, à la fois en termes de salaires et d’emploi, mais en moyenne les gains dépassent les pertes.

·       L’immigration qualifiée peut être une solution contre les pénuries de main d’œuvre et contribue à stimuler la productivité et l’innovation des entreprises.

·       Des politiques de redistribution de ressources vers les nationaux qui en sortent perdants, une meilleure politique d’intégration, et une communication accrue sur les bienfaits liés à ce phénomène pourraient augmenter le niveau d’acceptation au sein des populations d’accueil.

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La main-d’oeuvre de nombreux pays de l’OCDE compte un nombre de plus en plus élevé de travailleurs migrants. La Figure 1.a montre l’évolution de la part de travailleurs étrangers entre les années 1990 et aujourd’hui pour la France, l’Italie, l’Espagne et les États-Unis. A l’exception de la France, où la part de travailleurs immigrés était déjà élevée en 1990 mais n’a pas beaucoup évolué depuis, dans les autres pays considérés on observe que les travailleurs migrants occupent une place de plus en plus importante au sein de la main-d’oeuvre. Ce phénomène peut expliquer les débats actuels sur l’impact de l’immigration économique.

Figure 1 : Evolution de la part de migrants parmi les travailleurs de quatre pays industrialisés

                                                           a) Main d’oeuvre totale                                               b) Main d’oeuvre très qualifiée

 

Note : La population de référence dans le panel a) inclut les individus entre 25 et 65 ans ayant un emploi. Le panel b) se restreint aux travailleurs ayant un diplôme universitaire. Séries calculées à partir des données fournies par IMPUMS International.

 

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la plupart des travailleurs migrants sont faiblement qualifiés, la Figure 1.b montre que la même tendance à la hausse est observée lorsque l’échantillon est restreint aux travailleurs ayant un diplôme universitaire. Cela s’explique en partie par le fait que de nombreux pays industrialisés ont mis en place des politiques visant à attirer les talents internationaux. Aux États-Unis, par exemple, le système de visa H-1B permet aux entreprises de sponsoriser la venue de travailleurs migrants ayant fait des études universitaires, tandis que le Royaume-Uni et la France proposent une procédure d’obtention de visa simplifiée pour les travailleurs possédant des compétences rares et très demandées par les entreprises locales.

Malgré cela, l’immigration économique, même quand elle concerne principalement des travailleurs qualifiés, ne fait pas l’unanimité au sein de la population des pays d’accueil. Même si l’immigration au Royaume-Uni depuis les années 2000 est de plus en plus composée de travailleurs diplômés, cela n’a pas empêché l’expression d’un vaste sentiment anti-migrant au moment du vote sur le Brexit. Plus récemment, en pleine crise de la Covid-19, Le Président des Etats-Unis Donald Trump a exprimé le souhait de restreindre considérablement le système des visas H-1B, ce qui a suscité de vives protestations de la part des industries bénéficiaires de ce système comme notamment le secteur des nouvelles technologies.

Ceci montre que le débat sur les coûts et bénéfices liés à l’immigration de travailleurs n’est pas clos. Dans les sections suivantes, je discute les principaux éléments de réponse fournis par la littérature économique.

 

1. Gagnants et perdants

L’un des aspects les plus débattus autour de l’immigration économique est son effet sur les salaires et les perspectives d’emploi des travailleurs étrangers. La réponse dépend beaucoup du contexte et de l’horizon temporel de l’analyse. Les modèles classiques prédisent que les travailleurs nationaux ayant des compétences similaires à celles des migrants risquent de voir leur rémunération diminuer à court terme, car ils font face à une compétition accrue qui exerce une pression négative sur les salaires. Au contraire, les travailleurs nationaux qui ont des compétences complémentaires sont plus susceptibles de connaître une amélioration de leur salaire, car l’arrivée des migrants génère une augmentation de la demande pour leurs qualifications. Ces deux effets ont tendance à s’annuler, de sorte que l’effet global sur les salaires est proche de zéro. La Figure 2 montre qu’environ 45 % des études inclues dans la méta-analyse faite par Peri (2014) constatent un effet global très faible, tandis que l’autre moitié estime que l’effet global sur les salaires est positif.

Néanmoins, même à court terme, les travailleurs nationaux ayant des compétences similaires aux migrants ne sont pas toujours perdants. D’une part, les migrants sont souvent déclassés vers des postes exigeant des qualifications inférieures à celles qu’ils possèdent et se spécialisent dans des emplois que les nationaux ont tendance à déserter à cause des horaires atypiques ou de leur pénibilité physique (Dustmann, Frattini and Preston, 2012). D’autre part, des travaux ont montré que, suite à l’arrivée d’une vague migratoire, les nationaux sont poussés à se spécialiser dans des activités où ils ont un avantage comparatif, comme les professions exigeant des compétences linguistiques et de communication, ce qui peut même amener à une amélioration par rapport à leur situation de départ (Peri and Sparber, 2009; Foged and Peri, 2016). La population qui semble donc souffrir le plus d’un nouvel afflux de travailleurs migrants sont les immigrés des vagues précédentes, car ces derniers présentent les caractéristiques les plus proches et ont moins d’opportunités pour se réinventer.

 

Figure 2 : Distribution des résultats empiriques sur l’effet de l’immigration sur les salaires

 

Note: ce graphique est tiré de la note « Do immigrant workers depress the wages of native workers? » (Peri, 2014) et montre les résultats d’une méta-analyse sur les effets des chocs migratoires sur les salaires. Un peu moins de la moitié des travaux  – en bleu clair dans le diagramme – trouvent un effet proche de zéro (une augmentation de 1% de la part des migrants entraine un effet entre -0.1% et 0.1% sur les salaires), environ 10% des travaux trouvent un effet négatif et la moitié restante trouve un effet global positif.

 

À plus long terme, les entreprises s’adaptent à l’augmentation de l’offre de main-d’oeuvre dans le pays en ajustant le stock de capital de sorte à accroitre le niveau de production, ce qui fait retourner les salaires à leur niveau initial. Dans le cas où la distribution des compétences dans le pays d’accueil est durablement modifiée par l’immigration, on pourrait avoir un changement dans les technologies privilégiées par les entreprises et dans la répartition de l’économie entre secteurs d’activité. Par exemple, Lewis (2011) montre que les zones métropolitaines des États-Unis qui ont connu un important afflux de migrants faiblement qualifiés dans les années 1980 et 1990 ont moins investi dans la robotisation, étant donné la relative abondance d’une main-d’œuvre bon marché.

Puisque l’effet global de l’immigration sur les salaires semble être nul (dans le pire des cas) et positif (dans le meilleur des cas), une solution qui est souvent proposée pour rendre l’immigration plus acceptable pour les travailleurs nationaux consiste à compenser ceux qui perdent par des transferts financés par les gagnants (Gagnon & Khoudour-Castéras, 2011). Du fait que l’effet total est en général positif, ces transferts permettraient de rendre tous les résidents gagnants. Néanmoins, jusqu’à présent, aucun pays a à notre connaissance mis en place des politiques visant directement à ce type de redistribution. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’il est plus difficile d’indemniser les perdants dans le cas de l’immigration que dans celui du commerce international ou des flux des capitaux, car il requerrait que le système de redistribution exclue les nouveaux migrants des bénéficiaires (Felbermayr & Kohler, 2009).

 

2. Une solution face aux pénuries de main d’œuvre

L’évolution technologique rapide des 20 dernières années a généré un boom des besoins des entreprises en compétences techniques, communément appelées STIM (science, technologie, ingénierie, mathématiques). Étant donné que l’acquisition de ces compétences nécessite des longues années d’études, l’offre de travailleurs a été lente à s’adapter, ce qui a entraîné des pénuries de main d’œuvre.

Certains pays comme la France ou le Royaume-Uni ont adopté des politiques d’immigration sélective pour encourager l’arrivée de travailleurs possédant ces compétences rares et fortement demandées. De plus, les travaux de Raux (2019) montrent qu’aux Etats-Unis les entreprises qui sponsorisent des visas H-1B[1] le font généralement parce qu’elles n’ont pas pu trouver un candidat résident correspondant à leurs critères.  Dans mes travaux récents, j’analyse les effets de ces politiques en France et je constate que l’immigration peut être un outil efficace pour aider les entreprises à surmonter les pénuries de compétences. Puisque, dans ces métiers, la demande des établissements dépasse l’offre de travail disponible dans le pays, les migrants n’aggravent pas les opportunités d’emploi des nationaux. En outre, l’atténuation des pénuries relâche les contraintes des entreprises en leur permettant de se développer plus rapidement, ce qui peut à son tour créer de nouvelles opportunités d’emploi pour d’autres types de travailleurs. Les travaux de Beerli et al. (2020) montrent que les entreprises suisses qui avaient déclaré souffrir des pénuries de compétences sont celles qui ont le plus bénéficié de l’introduction de la libre circulation des travailleurs avec les pays voisins, et ce à la fois en termes de croissance, de productivité et d’innovation.

 

3. Immigration et Innovation

Enfin, l’immigration de travailleurs peut aussi alimenter l’innovation. D’une part, les personnes qui décident de migrer sont en moyenne plus dotées en compétences entrepreneuriales que le reste de la population, compte tenu des difficultés et des risques associés à la mobilité internationale.

D’autre part, comme mentionné dans l’introduction, les travailleurs migrants dans les pays de l’OCDE sont de plus en plus qualifiés, ce qui est un moteur en soi pour la productivité et l’innovation. Lincoln et Kerr (2010) montrent que l’élargissement du programme de visa H-1B aux Etats-Unis a entrainé une hausse du nombre de travailleurs dans le domaine des sciences et de l’ingénierie, ce qui a, à son tour, augmenté le nombre de brevets déposés par des inventeurs d’origine étrangère.

Enfin, certaines analyses se sont interrogées sur le rôle de la diversité d’origine comme moteur de la créativité, découlant de la confrontation entre idées et points de vue différents. Les travaux menés ont montré l’existence d’une relation positive entre diversité de la main d’œuvre et performance des entreprises. Néanmoins, ceci doit être nuancé par un effet négatif de la même diversité sur la cohésion entre équipes ainsi qu’une augmentation des coûts liés à la gestion des travailleurs (Ozgen et al., 2013 ; Trax et al., 2015). La capacité du pays d’accueil à bien intégrer les migrants venant de différentes parties du monde est donc cruciale pour minimiser les effets négatifs liés à l’immigration de travail.

 

4. Conclusion

L’immigration économique a un effet globalement positif sur l’économie des pays d’accueil. Elle stimule les salaires et l’emploi des travailleurs nationaux possédant des compétences complémentaires, qui généralement constituent la majorité de la main d’œuvre. En particulier, la migration des personnes hautement qualifiées peut aider les entreprises à faire face aux pénuries de main d’œuvre dans certains métiers clés, ce qui leur permet de s’accroitre plus rapidement et peut stimuler la productivité et l’innovation.

L’opposition aux flux migratoires est en partie une réaction rationnelle des travailleurs les plus susceptibles de subir une perte de salaire ou d’opportunités d’emploi, mais elle est également en partie due à une méconnaissance des bienfaits associés à l’immigration économique. Une combinaison des politiques favorisant une redistribution des ressources vers les travailleurs négativement impactés, de mesures encourageant une bonne intégration des populations étrangères dans le pays d’accueil, et une meilleure communication sur les avantages associés aux flux migratoires pourrait augmenter l’acceptation de ce phénomène qui est tout sauf prêt de s’arrêter de sitôt.

 

Références

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[1] Le visa H-1B est un visa de travail américain qui permet d’obtenir un permis de travail aux Etats-Unis. Il constitue la majorité des visas de travail accordés par les services de l’immigration américaine et concerne principalement les travailleurs qualifiés comme par exemple les ingénieurs et informaticiens.

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