Financement de la sortie de crise à Chypre : quelles perspectives ?

Résumé:

- La crise immobilière et la dégradation des portefeuilles de prêts en Grèce sont les deux causes de la crise à Chypre

- L’incertitude porte sur la stabilité du système financier et le risque bilanciel d’un marché concentré sur seulement trois banques commerciales

- Une amélioration du ratio dette publique/PIB par un refinancement du stock de dette publique semble adaptée. Une restructuration du stock de dette est peu probable.

- Les perspectives économiques sont défavorables à court terme (récession en 2013 et 2014) mais favorables à long terme (exploitation de gaz naturel)

L’acceptation du financement d’un plan d’aide pour l’économie chypriote le 16 mars 2013 a été obtenue aux dépens de deux conditions : le non-franchissement du seuil d’insoutenabilité de la dette publique défini par le FMI, et le partage de l’effort structurel entre les agents résidents et non-résidents.

La première condition était nécessaire pour que le FMI contribue au financement en devenant créancier à hauteur de 1 milliard d’euros. La seconde condition était indispensable pour obtenir l’accord de la majorité des membres de l’Eurogroup, jusqu’alors opposé à un financement « des avoirs russes à Chypre » par l’Union Européenne.

En conséquence, le plan d’aide sera financé par l’Union Européenne et le FMI à hauteur de 10  milliards d’euros, montant redistribué pour le système bancaire, tandis que près de 6 milliards d’euros seront obtenus par une taxation sur les dépôts des résidents et des non résidents. Six milliards d’euros qui permettront de limiter le ratio dette/PIB chypriote à un niveau « soutenable » (le FMI avait annoncé 120% du PIB en décembre 2012) en limitant le montant du plan d’aide (10 milliards d’euros contre 17 milliards d’euros attendus) et en favorisant la stabilité des finances publiques  par le financement du déficit budgétaire et des émissions obligataires de long terme arrivant à échéance.

L’incertitude persiste sur les conditionnalités du memorandum rattaché au plan d’aide.  Nous proposons dans cette contribution de remettre en perspectives les enjeux économiques et financiers à Chypre : une crise immobilière et des portefeuilles de prêts exposés à la Grèce (1), le risque de contagion en zone euro (2), les solutions pour améliorer la trajectoire de la dette publique (3), le plan d’aide et les perspectives économiques à long terme (4).

1 - Une crise économique et financière : immobilier et dégradation des portefeuilles de prêts en Grèce

Chypre fait face à deux enjeux : la dépréciation des actifs immobiliers et la dégradation des portefeuilles de prêts en Grèce. Ces deux problèmes sont porteurs d’unrisque bilanciel [1] sur les trois grandes banques chypriotes commerciales (insolvabilité et augmentation des créances douteuses à près de 30% fin 2012).

Le marché immobilier s’est dégradé de 15% depuis 2007. Une baisse de 30% serait justifiée pour rattraper le niveau des prix d’avant-crise mais celle-ci est contenue par des mesures fiscales (incitatives à l’achat) mises en place dès 2010 par le gouvernement.

Pour autant, la dette immobilière des ménages chypriotes porte un risque limité sur les portefeuilles de prêts du système bancaire. Les prêts ont augmenté en valeur depuis 2010 et le taux d’endettement des ménages est estimé à 134% en 2011 (contre 112% en Irlande ou 82% en Espagne) mais leur patrimoine financier net (actifs financiers hors dette) est supérieur à 100% et la part des actifs financiers bruts détenue par ces ménages est supérieure à 250% du PIB contre 200% pour la moyenne en zone euro. A ces deux atouts s’ajoute l’existence d’une procédure de faillite personnelle [2] et qui confirme globalement la capacité de remboursement des ménages chypriotes. Pour autant, l’évolution du marché immobilier n’est pas seulement tributaire de la demande résidentielle des ménages chypriotes mais de la demande des non-résidents (50% de la demande totale) en baisse depuis 2008 et de la croissance des stocks de logements, neufs et anciens, supérieure à la croissance de la demande immobilière, d’où un risque de correction des prix qui pèse sur l’investissement résidentiel, la construction et donc sur l’activité  chypriote, la seule économie de la zone euro annoncée en récession pour 2014.

Le risque majeur concerne l’exposition de l’économie chypriote à la crise grecque. Le portefeuille de prêts accordés par les banques commerciales chypriotes dans ce pays était de 22,5 milliards d’euros fin 2012 soit 140% du PIB et 40% du portefeuille de prêts de 55 milliards d’euros).

Le plan PSI[3] grec de mars 2012 a ainsi fait perdre 2,5 milliards d’euros aux banques chypriotes. Une participation à la restructuration de la dette grecque qui a nécessité une recapitalisation pour environ 2 milliards d’euros de Banque Populaire de Chypre et de la Banque de Chypre par l’Etat chypriote (recapitalisation financée par l’Etat par un recours aux marchés financiers dont 1,8 milliard arrive à échéance en juin 2013).

Cet exemple de perte sur le portefeuille de prêts s’est ainsi ajouté à une évolution croissance  du taux de créances douteuses (de 10% fin 2011 à près de 30% fin 2012) nécessitant une hausse des provisions et donc une plus grande difficulté pour les banques à respecter les ratios de solvabilité et de liquidité.

2 - Quel risque de contagion sur la zone euro par le système bancaire ?

Le secteur bancaire a 140 milliards d’euros d’actifs financiers, dont 60% sont détenus par trois banques commerciales : la Banque de Chypre (37 milliards d’euros, 28% de l’activité), la Banque Populaire de Chypre (31 milliards d’euros, 25% de l’activité) et la banque Hellénique (8 milliards d’euros, 6% de l’activité). La filiale russe de VTB Bank a un actif financier proche de 10 milliards d’euros mais celle-ci n’est impliquée que dans le transfert de dépôts d’origine russe et ne finance pas directement l’économie chypriote.

L’exposition transfrontalière des banques, communiquée par la Banque des Règlements Internationaux (en excluant les banques russes, non comptabilisées par le BIS) s’établit à 34 milliards d’euros dont 31 milliards d’euros sur le secteur privé non bancaire, 2 milliards d’euros sur le système bancaire et 1 milliard d’euro sur l’Etat chypriote. Les banques les plus exposées sont les grecques (11 milliards d’euros), les allemandes (6 milliards d’euros) et les françaises (2 milliards d’euros).  Le risque de contagion est donc limité. Chypre a souffert de la crise de la dette en zone euro par l’économie grecque mais l’évènement inverse a une faible probabilité.

Au-delà du risque de contagion par le système bancaire, le risque de contagion par les marchés financiers est difficilement mesurable. Combiné aux inquiétudes institutionnelles (union européenne), politiques (Italie) et économiques (Europe du Sud), la situation chypriote est susceptible d’affecter les marchés financiers à court terme par une hausse de l’incertitude.

3 - La dette publique chypriote : trois solutions, deux retenues.

La dette publique représente plus de 89,7% du PIB chypriote (source : CE, automne 2012) soit 15 milliards d’euros dont 6 milliards d’euros contractés par prêts et 9 milliards d’euros contractés par émissions obligataires sur les marchés financiers. En 2013, plus de 4 milliards d’euros devront être remboursés. 9 milliards d’euros d’ici à 2016.

La possibilité de refinancement du stock de dette publique étant impossible au vu des conditions de marché (Credit Default Swap à 800 points fin 2012, taux à 10 ans supérieur à 12%, échéance à 1 mois supérieur à 4% alors que les émissions obligataires françaises à 10 ans se traitent à 2%), trois solutions sont envisageables : une restructuration de la dette publique par implication du secteur privé ou institutionnel, un refinancement du stock de dette publique ou une augmentation de la dette publique.

Une restructuration de la dette publique par implication du secteur privé nécessite non seulement qu’une part importante du stock de dette publique soit détenue par des créanciers privés mais aussi que ces créanciers privés soient en grande partie des non-résidents. A Chypre, la part des créanciers privés représente 60% du stock de dette publique et  celle des créanciers non-résidents représente 40% en 2010 (source : Banque Centrale Européenne). Dans le meilleur des cas, un plan PSI aurait pu concerner au mieux 25% de la dette publique et ne s’avèrerait pas une solution suffisante.

Une restructuration de la dette publique par implication des institutions publiques serait aussi insuffisante compte-tenu de la composition des créanciers: sur les 6 milliards d’euros, 2,5 milliards concernent la Russie tandis que les prêts restants (3,5 milliards d’euros) ont été contractés auprès de la Banque Européenne d’Investissement ou de l’Eurosysteme.

Un refinancement d’une partie du stock de dette publique sera probablement réalisé par deux moyens. Le premier est un renouvellement des échéances de court terme, qui serait financé par une partie des recettes tirées de la taxation sur les dépôts bancaires (si l’on suppose que les 5,6 milliards d’euros annoncés se substituent aux 7 milliards d’euros attendus dans le plan, pour stabiliser les finances publiques – un montant non annoncé compte-tenu d’un plan d’aide de 10 milliards d’euros contre 17 attendus). Le second moyen est un refinancement du prêt accordé par la Russie fin 2011 pour 2,5 milliards d’euros (40% de la dette des créanciers non-résidents). La maturité du prêt devrait être rallongée de 2016 à 2021 et le taux d’intérêt, actuellement à 4,5%, devrait être révisé à la baisse. Ce refinancement pourrait être remis en cause par le projet de taxation sur les dépôts bancaires qui pourrait coûter aux déposants russes entre 1 et 3 milliards d’euros et pèserait ainsi sur le choix politique russe de refinancer les conditions du prêt accordé à Chypre.

Enfin, une augmentation de la dette publique serait directement liée au plan d’aide de 10 milliards d’euros. Celui-ci, attendu à 17 milliards d’euros (10 milliards d’euros pour le système bancaire, 7 milliards d’euros pour les finances publiques) aurait fortement augmenté la dette publique. Ainsi, limiter ce plan d’aide à 10 milliards d’euros évite de dépasser le seuil d’insoutenabilité de la dette publique fixé par le FMI (120-130% du PIB). A noter, que les tranches de versements sont progressives au cours du temps et donc le ratio dette/PIB n’atteindra pas directement l’équivalent de la somme du stock de dette et du plan d’aide rapportée au PIB.

4 - Quelles perspectives à long terme à l’issu du plan d’aide?

Le plan d’aide vise à restaurer la stabilité du secteur financier, réaliser un ajustement fiscal et mener des réformes structurelles pour soutenir la compétitivité et une croissance économique équilibrée.

- La stabilité du secteur financier sera ciblée en améliorant le taux de créances douteuses, la régulation et la supervision du système bancaire, ainsi que la solvabilité et la liquidité et en renforçant.

- L’ajustement fiscal demandé représentera 7,25% du PIB entre 2013 et 2016. Celui-ci se décomposera à 80% autour de programmes de dépenses (réduction des effets et des salaires du secteur public, suppression sur une période de l’indexation des salaires, programmes de privatisation) et à 20% de programmes de recettes fiscales (hausse de la TVA de 17 à 18% en 2013 puis 19% en 2012, hausse de la taxation sur l’énergie, hausse de l’imposition sur les bénéfices de 10 à 12,5%)

- Enfin, les mesures structurelles viseront à réformer l’indexation des salaires et le salaire minimum selon la productivité et la compétitivité ainsi que le fonctionnement de l’administration publique.

Les négociations autour du plan d’aide portent notamment sur les besoins de recapitalisation des banques chypriotes, le système d’indexation des salaires, les programmes de privatisation, la gestion des revenus tirés de la production de gaz naturel et l’effet de la taxation sur les dépôts bancaires.

La singularité de Chypre est d’avoir des opportunités d’investissement très importantes en termes d’exploitation de gaz naturel. Selon l’ancien gouvernement chypriote, près de 7 à 8 milliards euros d’investissement sont ainsi attendus d’ici 2018 (40% du PIB) et le nombre d’emplois créés pourrait approcher l’équivalent de 20% des actifs inoccupés chypriotes à fin 2012 (4000-5000 créations nettes d’emplois). Ces opportunités sont intégrées au plan d’aide comme garantie financière. Ainsi l’exploitation de gaz naturel peut devenir l’une des sources de croissance indispensable à une reprise économique durable et donc favorable à une amélioration de la trajectoire de la dette publique.

Conclusion

Le risque chypriote concerne ainsi moins la capacité de l’économie à définir une stratégie de croissance que la capacité à restaurer la stabilité du système financier en corrigeant les risques bilanciels des principales banques commerciales.

Notes:

[1] l’écart entre les besoins en ressources stables et les ressources disponibles augmente, la croissance des réserves de liquidités est inférieure à la croissance des fuites de liquidité (risque de liquidité), la croissance des fonds propres n’est pas suffisante pour couvrir la hausse des risques de crédit, des risques opérationnels et des risques de marché (risque de solvabilité).

[2] La part des prêts immobiliers garantis par une institution gouvernementale ou un contrat d’assurance privée est de 55% contre 44% en France, 2% en Irlande et 1% en Espagne.

[3] Private Sector Involvement : participation volontaire des créanciers privés à une restructuration de la dette souveraine. 

 

Diplômé de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, de l'Ecole d'Economie de Toulouse et formé au Centre d'études des politiques économiques (ENSAE), Arthur Jurus est directeur des investissements chez ODDO BHF Suisse après avoir été chef économiste de Landolt & Cie, économiste au Crédit Agricole, à la Société Générale, à la Caisse des Dépôts, chez Mirabaud Asset Management et au sein du groupe Edmond de Rothschild. Il a également enseigné à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Intervenant dans différents médias francophones et anglosaxons, Arthur Jurus est vice-président de l'association des stratégistes de Genève (ISAG) et Président de BSI Economics.

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