L’influence des groupes d’intérêts immobiliers

Résumé :

- L’influence des groupes d’intérêts immobiliers est capable de maintenir les prix de l’immobilier à un niveau supérieur aux fondamentaux

- Des conflits d’intérêts entre les soutiens à la croissance urbaine et leurs opposants sont susceptibles d’influencer les prix de manière significative

- La taxe régulatrice (prix effectif – prix sur un marché concurrentiel) peut expliquer jusqu’à 50% de la hausse des prix de l’immobilier

- Les zones d’activités, comme La Défense (Paris) ou La City (Londres) disposent d’une taxe faible relativement à leur agglomération

Cette contribution soumet une analyse économique aux groupes d’intérêts immobiliers. Des groupes capables d’influencer l’offre de logements en agissant sur la croissance urbaine.

De nombreux groupes ont en effet intérêt à impacter les marchés immobiliers par la mise en place de « Urban Growth Controls » pour encourager une modification du droit et des réglementations immobiliers, et de la manière dont ils sont appliqués.

Par exemple, l’obtention d’un permis de construire peut être tributaire d’une taille minimale de construction imposée par parcelle de terrain. Cette mesure contraint l’offre de logements neufs et maintient les prix au-dessus du niveau d’équilibre concurrentiel. C’est le principe de la « Regulatory Tax » qui correspond à la différence entre le prix effectif du marché et son prix si le marché était concurrentiel.

Les groupes d’intérêts favorisant un ralentissement de la croissance urbaine

On distingue trois types de groupes d’intérêts : les individus ne souhaitant pas « payer le coût » d’une croissance urbaine, les propriétaires résidents et les propriétaires fonciers de terrains déjà développés.

Le premier groupe renvoie aux individus ne souhaitant pas « payer le coût » d’une croissance urbaine en raison d’une détérioration de la baisse de la qualité de vie. Cette détérioration peut être due à des travaux de construction ou à des effets de congestion liés à l’augmentation de la population.

Pour défendre leurs intérêts, ces individus vont soit créer un groupe d’intérêt, soit sanctionner politiquement, lors des processus électoraux,  le décideur politique local à l’origine des projets de croissance urbaine.

De ces deux formes d’actions peut résulter une extension des frontières des zones urbaines[1] ou pour les villes dont la taille sont limitées, un arrêtde la croissance urbaine.Cela se traduit par une limitation de l’offre de logements neufs maintenant les prix immobiliers à un niveau supérieur à son prix d’équilibre.

Cette résistance du premier groupe d’intérêt va être particulièrement appuyée par les résidents propriétaires. Ces derniers ont les mêmes incitations à protéger leur qualité de vie qu’un résident locataire, mais ils en ont également une autre : protéger la valeur de leurs biens.

Selon Fischell (2001), les propriétaires ont de très fortes incitations à contrôler les équipes municipales afin de s’assurer qu’aucun projet ne réduise la valeur de leur bien immobilier. Or, une croissance urbaine non maitrisée nuirait aux prix.

Les propriétaires de terrains développés, ont également intérêt à soutenir l’introduction d’urban growth controls. Ces derniers sont des producteurs « standards » dont le prix (les prix immobiliers, la rente ou les loyers qui leurs sont reversés) dépend de l’offre et de la demande. Une restriction de l’offre et le blocage de l’entrée de nouveaux compétiteurs leur assurent un prix d’équilibre plus favorable. Les Urban Growth Controls, peuvent donc s’analyser comme des quotas (Richer 1995).

Ce groupe de propriétaire, ainsi que sa contrepartie, les propriétaires de terrains non développés, sont cruciaux pour comprendre l’instauration d’Urban Growth Control ; depuis Hilbert & Robert-Nicoud (2006) ils sont appelés les « Influential Landowners ».

Face à ces trois groupes, deux autres s’opposent et cherchent au contraire à favoriser la croissance urbaine : les propriétaires de terrains non développés et ceux composant la « Growth Machine ».

Les groupes d’intérêts favorisant une accélération de la croissance urbaine

Ces propriétaires de terrains non développés souhaitent maximiser la valeur de leur terrain qui est principalement déterminée par leur constructibilité. Ces propriétaires de terrains non développés apparaissent comme des producteurs limités dans leurs activités en raison de l’imposition de quota de nouveaux logements. Ils vont donc chercher à empêcher l’instauration du contrôle urbain.

Le concept de « Growth Machine » a été défini par Molocht (1976) pour regrouper des entreprises, établissements ou actifs tirant profits de la croissance urbaine. La « Growth Machine » constitue le dernier groupe d’intérêt impliqué dans la bataille de la croissance urbaine. Bien que composé d’acteurs hétéroclites, les acteurs suivant sont traditionnellement associés à la « Growth Machine »:

- les entreprises de construction pour qui l’imposition de contrôles urbains représente un frein à l’activité.

- le secteur bancaire pour qui la croissance urbaine encourage la croissance des prêts immobiliers et de leurs portefeuilles clients

- les actifs inoccupés et les syndicats qui associent la croissance urbaine à la création de nouveaux emplois.

Comment mesurer l’influence des groupes d’intérêts immobiliers ?

La littérature scientifique se heurte à deux difficultés pour mesurer l’influence des groupes d’intérêts sur le marché immobilier.

- la première difficulté est de mesurer efficacement l’ensemble des contrôles urbains qui peuvent prendre des formes différentes entre deux villes. Un problème d’autant plus dur à résoudre qu’à règlementation identique, deux villes peuvent différer dans l'application de cette règlementation.

- La seconde difficulté est de mesurer l’influence des groupes d’intérêts. Cette variable n’est pas directement observable. Par exemple, utiliser la taille d’un groupe comme estimation est susceptible de créer des problèmes de causalité inverse[2] .

Pour répondre à ces défis, les économètres ont développé deux approches complémentaires.

La première approche est de sélectionner un « Urban Growth Control ». Cette variable peut être le nombre de terrains déclarés « constructibles » par une commune ou encore la taxe locale d’équipement. Une fois la variable sélectionnée, on mesure l’impact de la présence de groupes d’intérêts sur celle-ci. Cette relation étant utilisée pour déterminer l’influence du groupe d’intérêt sur les « Urban Growth Control » et donc la croissance urbaine et les prix des marchés immobiliers. Les deux principaux résultats de cette littérature sont les suivants:

- les propriétaires fonciers exercent une influence importante- 

- l'influence des résidents propriétaires est largement plus contrastée[3] .

Cette littérature a également permis de dégager quelques fait stylisés, en particulier:

- une plus forte concurrence politique serait synonyme de moins de constructions.

- les villes à gauches sur l’échiquier politique imposeraient davantage d’«Urban Growth Control ».

- les  villes les plus endettées accepteraient plus de mises en chantier.

La seconde approche vise à mesurer la « Regulatory Tax ». La méthodologie est la suivante, en dehors de toute régulation, le prix d’un logement devrait être celui de son terrain et son coût de construction. On peut ainsi estimer le prix auquel aurait été vendu un logement en l’absence de régulation ; on obtient le niveau de la « Regulatory Tax » en comparant le prix obtenu et le prix réel d’un logement.

On obtient trois grands résultats propres aux Etats-Unis compte-tenu des études empiriques limitées à ce sujet:

- Glaeser et al. (2005) montrent que les prix immobiliers dans Manhattan sont 50% plus élevés que si la concurrence seule prévalait

- Cheung et al. (2009) montrent que l’augmentation de la taxe régulatrice explique au moins la moitié de l’évolution des prix entre 1995 et 2005 dans certaines régions des USA. Cette « taxe » peut atteindre plus de 100 000 euros dans certaines localités américaines.

- Cheshire et Hilbert(2007) montrent que ces règlementations ont un impact sur les logements d’habitation mais aussi sur les locaux professionnels. D’après leurs estimations, la taxe s’élèverait ainsi à 8% du prix des bureaux à Londres (La City exceptée), 4,37% à Francfort, 3,05% pour Paris (La Défense exceptée). Bruxelles serait la ville la moins régulée d’Europe avec une « taxe » à seulement 0,68%. Aussi, les zones d’activités commerciales et gérées selon l’intérêt des entreprises auraient un niveau de taxe moins élevé que d’autres zones de la même localité, comme la City à Londres (4,49%) ou La Défense à Paris (1,67%)[4] .

Conclusion:

Les études économétriques démontrent non seulement que certains groupes influencent le niveau de la croissance de l’urbanisation mais aussi que ces activités ont un effet significatif sur les prix de l’immobilier.

Ainsi, l’activité de ces groupes est un déterminant important dans l’évaluation des prix de l’immobilier. La taxe régulatrice pouvant expliquer jusqu’à 50% des prix immobiliers dans certaines villes.

Notes:

[1] Voir un des rares articles qui modélise cet effet : Matthias Cinyabuguma and Virginia McConnell (2012)

[2] Le secteur de la construction peut fournir une bonne illustration de cette causalité inverse. Si les entreprises de la construction peuvent exercer une influence pour accélérer la croissance urbaine, une forte croissance urbaine va également inciter de nouvelles entreprises du bâtiment à s’implanter dans la ville considérée. Les techniques économétriques standards mesureront une corrélation et non une causalité.

[3] Pogodzinski et Sass (1994) ainsi que Glaser et Ward (2009) concluent même à une influence négative sur les Urban Growth Controls des propriétaires résidents : ils favorisent la croissance urbaine. Un plus fort pourcentage de petits propriétaires diminue le nombre de grands propriétaires louant leurs biens immobiliers. Les Influential Landowners étant moins nombreux, l’activité globale des opposants à la croissance urbaine diminue. Cependant, d’autres études découvrent un effet positif, ou nul. Il est donc difficile d’établir une conclusion consensuelle.

[4] Cela ne signifie pas des prix moins élevés. Simplement que la partie de ces prix expliquées par l’influence de lobbies et aux diverses contraintes imposées au marché immobilier est plus faible.

Références :

William A. Fischell, Municipal Corporations, Homeowners and the Benefit view of property taxation, 2000.

Glaeser Gyourko and Saks, Why Manhattan so expensive?, Journal of Law and Economics ,Vol. 48, No. 2, October 2005   (2005)

Edward L. Glaeser, Bryce, A. Ward, The Causes and Consequences of land use regulation: Evidence from greater Boston, Journal of Urban Economics, 2009.

Christian A. Hilber, Frédéric Robert-Nicoud, On the origins of land use regulations: the "influential landowner" hypothesis, working paper 2006.

Molocht, The city as a growth machine, toward a political economy of space, American Journal of Sociology, September 1976.

John M. Quigley, Larry A. Rosenthal, The effect of Land Use Regulation on the Price of Housing: What Do We Know? What Can We Learn?, Cityscape: A Journal of Policy Development and Research, Volume 8, Number 1, 2003.

Jerrell Richer, Explaining the vote for slow growth, Public Choice, 1995.

Albert Solé-Ollé, Elisabet Viladecans-Marsal,Economic and Political Determiants of Urban Expansion: exploring the local connection, IEB Working Paper, 2007.

Albert Solé-Ollé, Elisabet Viladecans-Marsal, Lobbying, Political Competition and Local Land Supply: Recent Evidence From Spain, IEB Working Paper, 2010.

Katharina Schone, Wilfried Koch, Catherine Baumont, Modelling local growth control decisions in a multi-city case: do spatial interactions and lobbying effort matters?, Public Choice, 2010.

 

Diplômé de l'École d'Économie de Toulouse, Christophe est Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux. Ses travaux portent sur les politiques publiques, notamment au niveau local, l'économie urbaine et l'histoire économique. Ses domaines d'intérêts portent sur l'ensemble des politiques publiques.

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