Le capital des banques centrales : comment est-il déterminé ? (Note)

Résumé :

Aujourd’hui plus qu’hier, les banques centrales sont exposées à des risques de pertes importantes. Cet article s’intéresse aux « coussins de protection » des banques centrales contre ces pertes, et plus exactement à la manière dont ils sont en général déterminés dans l’univers des banques centrales ;

Le premier constat qui ressort est que le niveau de capital des banques centrales est généralement déterminé par la loi organique sur les statuts de celle-ci et reste donc inerte ;

Le deuxième constat permet d’observer que d’autres coussins de sécurité existent (réserves de réévaluation, provisions) et que les banques centrales ont en général plus de discrétion pour fixer le niveau de ceux-ci ;

Le troisième constat est que la recapitalisation des banques centrales n’est pas toujours prévue par la loi organique : c’est le cas de 45 % des 82 banques centrales analysées dans Pinter (2017) par exemple.

Les banques centrales, comme les entreprises, possèdent un « capital ». La plus grande partie du temps, ce capital est détenu par le gouvernement [1] . De par les intérêts générés par les actifs achetés avec ce capital de départ, le capital d’une banque centrale permet à celle-ci de s’assurer un revenu de base suffisamment important pour couvrir ses dépenses opérationnelles (salariés, dépenses de fonctionnement ect...) sans recourir à la création monétaire. Il permet aussi d’amortir les pertes en cas de coup dur. Mais comment est fixé ce niveau de capital ? Pourquoi certaines banques centrales ont un niveau de capital très élevé en proportion de leur actif alors que d’autres ont un montant très faible ?

Le « capital » au sens strict : un compte rigide à la hausse

La plupart du temps, le montant du « capital » au sens strict est déterminé par la loi qui détermine les statuts de la Banque Centrale. Par exemple, on peut lire dans la loi de 2005 sur le statut de la Banque Centrale du Maroc que le capital de la Banque centrale « est fixé à 500 millions de dirhams ». On peut lire encore dans le « National Bank Act » de 2003 qui fixe les statuts de la Banque centrale de Suisse que le capital de la Banque centrale de Suisse doit être fixé à « 25 millions de Francs suisses ». Depuis 1984, date de l’Acte, le capital de la banque centrale est toujours resté à ce niveau, ce qui est visible également sur le graphique 1.

Graphique 1 : Passif de la banque centrale de Suisse, niveau de « capital » (au sens strict) toujours constant

Le capital au sens strict est donc très souvent inerte, fixé par une loi très ancienne. Pour couvrir d’éventuelles pertes, les banques centrales ont donc généralement d’autres outils à leur disposition.

Réserves, compte de réévaluation, provisions : d’autres comptes souvent eux flexibles à la hausse pour une banque centrale

Le premier est un compte simple de « réserves », servant aussi à éponger d’éventuelles pertes, dont le niveau est souvent fixé avec une certaine autonomie. Ce compte de réserves est généralement construit à partir des profits que font les banques centrales chaque année. Concrètement, au lieu de redistribuer les profits à l’Etat, la banque centrale les conservepour elle, dans son compte de « Réserves ». Pour la plupart des banques centrales, la loi mentionne clairement la mécanique à suivre : en général les banques centrales doivent allouer une certaine proportion des profits au compte « Réserves », jusqu’à ce que ce dernier ait atteint un certain niveau. Le niveau peut-être le même niveau que celui du capital par exemple, ou être fonction du montant des actifs détenus par la banque centrale (cas plus rare). Par exemple la Bundesbank doit d’abord mettre en réserve 20 % de son profit dans son compte de « Réserves statuaires » tant que ce compte n’a pas atteint le niveau du capital. Une fois ce niveau atteint, soit les profits continuent d’être retenus par la banque mais dans une proportion plus faible, soit ils sont entièrement redistribués au Trésor (cas de la Bundesbank).

Un deuxième outil, séparé du compte de « Réserves » pour certaines banques centrales (inclus dans celui-ci pour d’autres), est le « compte de réévaluation ». Il capture les profits non-réalisés, par exemples ceux provenant des mouvements des prix de l’or ou des réserves de change. Ces profits sont en effet pour la plupart du temps non distribués au Trésor, et restent donc en « réserve » dans ce compte.

Une autre ligne de défense qu’ont la plupart des banques centrales est un compte de provisions « ad-hoc ». Ces provisions sont en général fonction des risques, évalués par la banque centrale elle-même. La Bundesbank a par exemple augmenté ses provisions à des niveaux exceptionnels après la mise en place du SMP par la BCE en 2011 (achats de dettes grecques, espagnoles, portugaises, italiennes et irlandaises), les portant à près de 15 milliards. Autant de profits non redistribués au Trésor (Bundesbank, 2015), dont la banque centrale doit donc vivement justifier la pertinence.

Et si une perte apparait, le Trésor doit-il recapitaliser la banque centrale ?

La recapitalisation d’une banque centrale, si celle-ci venait à subir des pertes, n’est souvent pas automatique. Par exemple, si la BCE venait à subir une perte importante, il n’y a pas d’obligation légale pour les Etats de la recapitaliser, ce qui a donné lieu dans le passé à de nombreux débats (Belke, 2010). Il en est de même pour la Banque Centrale de Suisse : ses actionnaires privés et les cantons n’ont aucune obligation de la recapitaliser en cas de perte conséquente.

Pour certaines banques centrales, la situation est différente. Pour certaines comme la banque centrale du Pérou, la loi prévoit que la recapitalisation doit impérativement intervenir dans les 30 jours suivant la perte (Pinter, 2017). Dans d’autres cas, l’institution monétaire a même le droit de prélever directement le montant correspondant à la perte sur le compte du Trésor public. L’analyse menée par Pinter (2017) étudiant les lois de 82 banques centrales montre que dans 45% des cas aucune recapitalisation automatique n’est prévue par la loi. C’est souvent dans les pays où les pertes des banques centrales ont été problématiques dans le passé que l’on retrouve cette obligation de recapitalisation [2] .

Conclusion

Capital, réserves, provisions « ad-hoc » : les banques centrales ont donc souvent divers comptes pour éponger de futures pertes. C’est l’ensemble de ces comptes qu’il faut considérer comme le « capital » de l’institution d’un point de vue symbolique. Si les banques centrales peuvent ajuster certains de ces comptes à la hausse la plupart du temps, leurs marges de manœuvre restent tout de même limitées pour ce faire. Certaines ont connu des pertes importantes dépassant le niveau de ces coussins de protection (cf Pinter (2017) pour des références sur ce sujet). La recapitalisation du Trésor n’est elle pas toujours automatiquement garantie, ce qui peut dans certains cas poser certains problèmes (voir Pinter (2017) ou BIS (2013) pour des discussions sur ce point).

Pour aller plus loin :

Bank of International Settlements, 2013: “Central bank finances”. BIS Working Paper.

Angel Belke, 2010: “How much fiscal backing must the ECB have?”. International Economics.

Bundesbank, 2015: "Bundesbank posts €3.2 billion profit in 2015"

Julien Pinter, 2017. "Central bank financial strength and inflation: an empirical reassessment considering the key role of the fiscal support," CES Working Paper, Université Panthéon-Sorbonne.

Peter Stella, 2002: « Do central banks need capital? ». IMF Working Paper.

Peter Stella, 2008: « Central Bank Financial Strength, Policy Constraints and Inflation ». IMF Working Paper.

https://snbchf.com/2016/12/snb-provisions-currency-reserves/

Notes:

[1] S’il est détenu sous formes d’actions par des particuliers ou des banques, comme cela peut-être le cas en Suisse, en Turquie ou aux Etat-Unis par exemple, ces actions ne donnent droit qu’à très peu de pouvoirs sur la banque centrale, elles n’ont généralement qu’un statut symbolique.

[2] Pour certaines banques centrales, un capital trop faible peut empêcher celles-ci de dégager des profits suffisants pour couvrir leurs coûts, si bien qu’elles ont recours à la création monétaire. Dans certains pays comme au Costa Rica, en Jamaïque ou en Hongrie, certains économistes ont affirmé que le trop faible niveau de capital de ces banques centrales les ont poussé à une création monétaire excessive, les empêchant de contrôler l’inflation à des niveaux convenables (voir Stella (2002), Stella (2008), Pinter (2017) pour plus d’informations et de références sur ce sujet).

Julien Pinter est chercheur en Economie monétaire à l'Université de Minho. Il était auparavant chercheur invité à l’Université de Harvard et à la Charles University de Pragues. Il est docteur diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur des questions liées aux politiques monétaires, aux régimes de change et à la communication des banques centrales. Il a des expériences de travail à la Banque Centrale Européenne et à la Banque de France en particulier. Il a été visiting researcher à l'Université d'Amsterdam, a travaillé à l'Université de Bruxelles Saint-Louis et étudié à l'Université de Stockholm.

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