Balance des paiements et taux de change: une discussion des liens

Résumé:

- un précédent article montrait pourquoi un déficit du compte courant de la balance des paiements met une pression à la dépréciation de la monnaie d'un pays

- un contre-argument pourrait être que l'excédent financier résultant créée une pression à l'appréciation de la monnaie de ce pays

- cet article montre que ce n'est pas le cas et que ce contre-argument n'est pas valide

- la confusion à l'origine de cet argument est analysée

- l'article montre également qu'une augmentation des flux de capitaux vers un pays ne se traduit aucunement mécaniquement par un excédent du compte financier, tout en mettant pour autant une appréciation à l'appréciation de la monnaie d'un pays.

NB: L'auteur remercie V.L. et J.A. de BSi Economics pour leur feedback utile sur cet article.

L’argument (avancé par certains concernant un précédent article) est le suivant : une balance courante déficitaire nécessite forcément qu’un des autres postes de la balance des paiements soit excédentaire, la balance des paiements étant par définition équilibrée. On pense nécessairement à un excédent du compte financier dans ce cas. L’intuition est la suivante : si les citoyens dépensent plus vis-à-vis du reste du monde (via les importations par exemple) que ce qu’ils obtiennent en revenus du reste du monde (via leurs exportations par exemple), alors c’est forcément qu’ils empruntent au reste du monde: on ne peut dépenser plus que l’on a sans emprunter. Le solde net des emprunts faits au reste du monde apparaît dans le compte financier de la balance des paiements, et sera donc excédentaire dans ce cas. Or lorsqu’un pays a plus de flux de capitaux entrants (nous permettant d’emprunter au reste du monde) que de flux de capitaux sortants, il semblerait que la monnaie s’apprécie. Ainsi un compte financier excédentaire compenserait la dépréciation induite par un compte courant déficitaire. Ce raisonnement semblant logique contient en fait une erreur conceptuelle, consistant à penser que les flux de capitaux entrants créent en soit un excédent du compte financier de la balance des paiements.

Comment un déficit du compte courant se traduit par un excédent du compte financier

Commençons par le début, c'est-à-dire par voir comment un compte courant déficitaire se traduit par un excédent du compte financier de la balance des paiements, en prenant l’exemple de la balance des paiements des Etats-Unis.

Prenons un exemple simple et général d’une entreprise américaine qui réalise une importation pour 90€ (disons 100$) de produits européens. L’écriture dans la balance des paiements américaine va être la suivante:

Achats d’euros [1] (« vente » de dollars et achat d’euros)

Compte financier « autres investissements »

Compte financier « autres investissements »

Actifs - Dépôts bancaires     +100

Passifs – Dépôts bancaires     -100

Achat du produit (importation et « vente » des euros en échange):

Compte des transactions courantes

Compte financier « autres investissements » - Passifs

Importation    -100

Passifs – Dépôts bancaires     +100

Au final, la balance de transactions courantes est en déficit, et le compte financier en excédent. Considérez non pas un individu mais l’ensemble des résidents d’un pays, vous comprenez que la contrepartie directe d’un déficit de la balance de transaction courante est naturellement un excédent du compte financier [2] . En outre, l’achat d’euros dans ce cas va bien contribuer à créer une pression à la hausse de l’euro et à la dépréciation du dollar, comme expliqué dans notre précédent poste.

Pourquoi un afflux de capitaux ne se traduit pas mécaniquement par un excédent  du compte financier

Prenons l’exemple de flux de capitaux prenant la forme simple de citoyens européens investissant dans des titres de dette américains[3] , et focalisons-nous toujours sur la balance des paiements américaine. Avant d’acquérir des titres en dollars, les non-résidents (européens ici donc) devront d’abord acquérir des dollars contre des euros[4] . L’écriture associée à cette opération est la suivante: dans le sous compte « autres investissements » du compte financier, le poste « Passifs - Dépôts bancaires » va être débité pour refléter l’augmentation des avoirs en euros (il y a une « importation » d’euros), et le poste « Actifs - Dépôts bancaires » crédité pour refléter l’acquisition de dollars par des non-résidents (comme si les américains avaient exporté leur monnaie et importé de la monnaie étrangère):

Etape 1: Achats d’euros (« vente » de dollars et achat d’euros)

Compte financier « autres investissements »

Compte financier « autres investissements »

Actifs - Dépôts bancaires     +100

Passifs – Dépôts bancaires     -100

Le compte financier n’aura donc pas bougé après cette première étape.En outre, puisque les européens auront demandé davantage de dollars en échange desquels ils auront offert des euros, cela va créer une pression à l’appréciation du dollar.

Une fois les dollars acquis, l’achat de titres américains est possible, et ces achats de titres vont donner lieu à l’écriture suivante : le compte « Actifs – Dépôts bancaires » va être débité (vente des dollars) et le compte « titres de dettes » (dans la catégorie bien connue « Investissements de portefeuille ») va être crédité.

Etape 2: Achat du titre (exportation d’un « IOU » (titre de dette) et « vente » des dollars en échange):

Compte financier « autres investissements »

Compte financier « Investissement en portefeuille »

Actifs - Dépôts bancaires     -100

Titre de dette    +100

Au final, les flux de capitaux vont créer un excédent du sous-compte « Investissements de portefeuille » et un déficit du sous-compte « Autres investissements » : le compte financier de la balance des paiements n’aura pas bougé [5] . Cet exemple permet bien de montrer que des flux de capitaux « basiques », bien qu’ils mettront une pression sur le change (puisque les dollars sont plus demandés dans notre exemple ici), ne se traduiront pas par un excédent du compte financier.

Conclusion:

Ainsi, nous voyons bien que:

- un déficit de balance courante met bien une pression à la dépréciation du change [6] .

- le mécanisme n’est pas contrebalancé mécaniquement par un quelconque autre effet qui suivrait automatiquement.

Ce que cet article montre bien également est que la balance courante n’est pas le seul facteur de pression sur le change. Des flux financiers importants vers un pays ne se verront souvent pas directement par l’observation d’un excédent du compte financier, mais pèseront potentiellement beaucoup sur le change (puisqu’ils impliquent par définition une demande plus forte de monnaie étrangère). Les indicateurs de sous-compte du compte financier peuvent aider à prévoir la pression sur le change, raisons pour laquelle certains économistes se focalisent sur de tels postes ou sur les flux bruts (Blanchard et al. (2015)) pour évaluer l’évolution du change à court terme.

Documents intéressants pour aller plus loin:

Blanchard, Adler et Carvalho Filho (2015) Can Foreign Exchange Intervention Stem Exchange Rate Pressures from Global Capital Flow Shocks?

IMF, Balance of Payments Manual (page 108) https://www.imf.org/external/pubs/ft/bopman/bopman.pdf

Notes:

[1] L’entreprise pourrait aussi emprunter les euros, dans ce cas c’est l’actif du compte « dettes » du compte financier qui sera crédité (exportation de « IOU »).

[2] En théorie la contrepartie pourrait venir d’un autre compte de la balance des paiements (compte de capital, erreurs et omissions, avoirs de réserves), en pratique il est très souvent question du compte financier, ce que nous considérons aussi ici par simplification.

[3] Le raisonnement serait exactement le même avec des achats d’actions ou autres.

[4] S’ils ont déjà des euros, l’étape 2 s’applique directement: cela ne change rien au raisonnement. Simplement dans ce cas nous ne pouvons plus parler vraiment de « flux de capitaux » mais plutôt de simple réallocation d’un portefeuille déjà en monnaie étrangère.

[5] Voir la note de bas de page 11 de Blanchard et al (2015) ici pour une explication quasi-similaire.

[6] Pression que l’on retrouve en général sur le moyen terme. Pourquoi sur le moyen terme et pas le court terme ? Une raison simple et intuitive est que lorsque les entreprises exportent ou importent un produit, le paiement n’arrive en général pas tout de suite, il n’est pas rare qu’il prenne quelques mois. Ainsi, la pression sur le change n’arrive pas tout de suite. Au contraire d’un achat d’actif qui en général est accompagné d’un transfert d’argent immédiat.

Julien Pinter est chercheur en Economie monétaire à l'Université de Minho. Il était auparavant chercheur invité à l’Université de Harvard et à la Charles University de Pragues. Il est docteur diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur des questions liées aux politiques monétaires, aux régimes de change et à la communication des banques centrales. Il a des expériences de travail à la Banque Centrale Européenne et à la Banque de France en particulier. Il a été visiting researcher à l'Université d'Amsterdam, a travaillé à l'Université de Bruxelles Saint-Louis et étudié à l'Université de Stockholm.

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