Ne pas parvenir à un accord entre le Mexique et les États-Unis pourrait coûter cher (Note)

Résumé :

•        Les réunions pour la mise à jour de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) se prolongeront sûrement au premier semestre de 2018 ;

•        L’objectif prioritaire de l’administration américaine est la réduction du déficit commercial ;

•        Le Mexique devrait trouver des nouveaux marchés pour leurs exportations dans le but de réduire sa dépendance aux États-Unis ;

•        La mise en œuvre des droits de douane au niveau des taux de la nation la plus favorisée sur les exportations du Mexique vers les États-Unis a des conséquences non négligeables.

Le premier but de cette note est d’expliquer l’état actuel du processus de mise à jour de l’ALENA, tout en se basant sur l’étude des rapports bilatéraux entre les économies mexicaine et américaine, tant sur des aspects commerciaux que financiers. Le deuxième objectif est d’offrir une réponse quantitative au possible impact que la construction de barrières aurait sur les importations mexicaines [1] .

Un chemin long et sinueux

« L’ALÉNA est probablement le pire accord commercial jamais conclu, mais il est sans aucun doute le pire accord conclu par ce pays. »

Donald Trump lors du débat présidentiel avec Hillary Clinton le 26 septembre 2016.

Des élections américaines à la situation actuelle

Les élections présidentielles tenues aux États-Unis l’année dernière ont supposé un point de non-retour vers l’ouverture d’un processus de mise à jour de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) qui est entré en vigueur en 1994. Le Président Donald Trump a concentré une grande partie de sa campagne autour de la promesse de réduire le déficit commercial avec le Mexique, la relocalisation des entreprises ou la récupération des emplois caractéristiques du Rust Belt.

Les propositions présentées dans un premier temps par la nouvelle administration pour atteindre ces objectifs étaient la sortie du traité, l’imposition des droits de douane très élevées ou des ajustements fiscaux à la frontière sur les exportations mexicaines. Ces plans ne violaient pas uniquement les dispositions du traité, mais entraient aussi en contradiction avec les normes de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Dans un premier temps a aussi été mentionnée la possibilité de l’établissement des mesures qui mettent en difficulté les exportations mexicaines ou dissuadant leurs importations, telles que de nouvelles normes ou taxes aux entreprises américaines ayant une partie de leur production externalisée au Mexique.

Les pourparlers formels ont finalement commencé en août, après l’entrée en scène de Robert Lighthizer (Représentant du Commerce des États-Unis). La conclusion des rencontres était prévue pour la fin de 2017. Cependant, les réunions se prolongeront sûrement au premier semestre de 2018, s’approchant des élections générales mexicaines de juillet ou jusqu’aux élections américaines de mi-mandat de novembre. Ceci peut conditionner dans une certaine mesure le rythme des discussions. Selon les récents sondages pour les prochaines élections générales mexicaines, le parti politique du Président actuel ne devrait pas briguer un nouveau mandat. À cet égard, Ildefonso Guajardo (Secrétaire de l’Économie du Mexique) a exprimé son désir, pendant la première semaine d’octobre, de parvenir à un accord lors du premier semestre de 2018.

Pendant la deuxième semaine d’octobre a eu lieu à Washington la quatrième tour des pourparlers pour la mise à jour du traité. Les discussions ont été marquées par la récente tension provoquée par la proposition américaine d’inclure la clause sunset. Cette disposition rendrait nécessaire le renouvellement de l’accord tous les cinq ans. Cette proposition n’a pas été bien reçue ni par la délégation canadienne, ni par la délégation mexicaine, ni par la Chambre de Commerce des États-Unis, ni par les autres associations entrepreneuriales américaines. À la suite de ces derniers évènements, le peso mexicain s’est déprécié de 4,4 % face au dollar pendans les deux premières semaines d’octobre.

Le déficit commercial des États-Unis

L’objectif prioritaire de l’administration américaine est la réduction du déficit commercial avec le Mexique qui a augmenté depuis 1994. Pour le côté mexicaine, I. Guajardo ne s’est pas opposé à la réduction de l’excédent commercial avec les États-Unis, pourvu que la correction ait son origine dans un plus grand échange de biens et services et non pas dans l’adoption des droits de douane ou d’autres restrictions.

Le Graphique 1 montre la part des quatre pays avec lesquels les États-Unis ont le plus grand déficit commercial. La composition du déficit commercial avec le Mexique peut être explorée dans le Graphique 2.

Fabriqué aux États-Unis

Une des exigences principales détaillées par les États-Unis est l’augmentation du pourcentage de composants d’origine nord-américaine utilisés pour la fabrication d’automobiles. Les fonctionnaires du Département de Commerce des États-Unis ont partagé en septembre les résultats d’une étude à ce sujet, qui alertait que le pourcentage de composants américains employés pour la fabrication d’automobiles au Mexique est passé de 26,5 % en 1995 à 18,1 % en 2011. À cet égard, Wilbur Ross (Secrétaire du Commerce des États-Unis) a proposé que, pour eviter la taxation, 50 % de la valeur finale d’une automobile étiquetée comme américaine doit être de fabrication nationale. Eduardo Solís (Président de l’Association mexicaine de l’industrie automobile) a répondu peu après que les études réalisées par son organisation ont conclu qu’actuellement 39,5 % de la valeur finale d’une automobile étiquetée comme mexicaine comporte des composants de fabrication américaine. Finalement, W. Ross a également proposé que 85 % de la valeur finale des automobiles produites sur le continent soit de fabrication nord-américaine, par rapport à 62,5 % actuel. Cela a été motivé par la participation croissante de pays tiers dans la fabrication d’automobiles au Mexique, qui est passé de 13,2 % en 1995 à 29,5 % en 2011.

La plus faible participation des États-Unis dans le processus productif de son partenaire commercial apparaît aussi dans l’industrie manufacturière dans son ensemble. Dans ce cas, la participation américaine aux manufactures mexicaines est descendue à 15 % en 2011, par rapport à 21 % en 1995.

Que peut-on attendre dans un proche avenir?

Les affaires susceptibles de provoquer un désaccord sont la modification des mécanismes de résolution de litiges, l’établissement d’une limite au nombre de contrats avec le gouvernement fédéral américaine dont les entreprises mexicaines et canadiennes peuvent être adjudicataires ou les conditions de travail des employés mexicains. Cependant, R. Lighthizer a annoncé que les pourparlers sur les politiques de concurrence se trouvent à un stade avancé.

L’administration mexicaine a manifesté à plusieurs reprises qu’elle préférait ne signer aucun accord si les conditions lui semblaient désavantageuses. Lors d’une comparution au Sénat mexicain pendant la deuxième semaine d’octobre, Luis Videgaray (Secrétaire des Affaires étrangères du Mexique) a déclaré que le maintien du traité sera conditionné à la préservation de l’intérêt national. Cependant, lors d’une réunion annuelle du Fonds Monétaire International, tenue aussi pendant la deuxième semaine d’octobre à Washington, Agustín Carstens (Gouverneur de la Banque centrale du Mexique) s’est montré positif en déclarant qu’il attendait un résultat satisfaisant des réunions des négociations, qui puisse faire de l’accord une convention juste pour les trois pays. Malgré tout, les autorités mexicaines sont conscientes que, au-delà du résultat final des pourparlers, il est indispensable de trouver de nouveaux marchés pour leurs exportations dans le but de réduire l’importante dépendance de son voisin du nord.

Les équipes de travail continuent à avancer à la rédaction d’un nouvel accord en marge de la rhétorique politique ou des tactiques de négociation et en dehors de l’exposition médiatique. Toute modification des termes de l’accord devra être soumise à la ratification par les parlements de chacun des trois pays signataires. Le traité précise que si un pays membre veut sortir, il doit d’abord informer les autres signataires de son intention et ensuite attendre 6 mois avant de pouvoir rendre sa décision effective.

L’impact de la construction de barrières commerciales sur les importations mexicaines

Une relation étroite

La prise d’effet du traité a supposé l’élimination de presque tous les droits de douane existants entre les pays signataires. Auparavant, les exportations mexicaines vers les États-Unis devaient faire face à des droits de douane de 2,5 % dans le secteur automobile, 3,1 % dans l’industrie auxiliaire automobile, 12 % sur les produits agricoles et de 17,9 % dans le secteur textile. Le traité a permis aux entreprises de relocaliser leur production sur le continent nord-américain afin de profiter des avantages comparatifs qu’offre chacune des trois économies.

Le Mexique a enregistré un excédent commercial avec les États-Unis qui a atteint 67,1 milliards de dollars en 2016. Les États-Unis ont été récepteurs de 81 % des exportations mexicaines, en dessous de 83,4 % enregistré en moyenne depuis l’entrée en vigueur du traité. En termes relatif, ce chiffre a représenté 28,9 % du produit intérieur brut (PIB) mexicain. De son côté, le Mexique a été émetteur de 13,2 % des importations américaines, poursuivant une tendance à la hausse depuis le 7,3 % enregistré en 1994. Ceci l’a consolidé comme le deuxième exportateur vers les États-Unis après la Chine et surpassant le Canada l’année dernière pour la première fois.

L’économie mexicaine a accumulé 1,6 % du stock d’investissement direct à l’étranger (IDE) américain. En termes relatif, ce chiffre a représenté 8,4 % du PIB mexicain. En ce qui concerne la décomposition de cette donnée, l’industrie manufacturière a représenté 33,8 % du total, les holdings non bancaires 24,4 %, l’industrie minière 12,5 % et le secteur financier 11 %. Cependant, le Mexique a perdu de sa pertinence dans le stock d’IDE américain après avoir enregistré son sommet de 3,6 % en 2001.

Le Graphique 3 montre la forte dépendance du Mexique envers les États-Unis par rapport à d’autres pays latino-américains, aussi bien au niveau des exportations qu'au niveau d’IDE. La décomposition des exportations que présente le Graphique 4 donne le détail du niveau de dépendance de chaque secteur d’activité mexicain par rapport aux États-Unis.

Demande d’importations

Pour pouvoir disposer d’une estimation détaillée sur l’impact de la mise en œuvre des droits de douane sur les exportations de biensdu Mexique vers les États-Unis, les pertes associées à cette barrière commerciale ont été calculées pour différents secteurs d’activité. L’article de Kee, Nicita et Olarreaga (2008) est le point de départ. Le document analyse les effets de ces restrictions sur la production par l’estimation de l’élasticité de la demande d’importations. Leur travail est particulièrement intéressant pour l’important nombre de pays inclus, le haut niveau de décomposition des produits commercialisés et leur classification dans un système standardisé reconnu.

L’élasticité de la demande d’importations est interprétée comme le changement en pourcentage de la quantité d’importations d’un produit lorsque le prix de ce produit augmente de 1 %, toutes choses étant égales par ailleurs. En d’autres termes, cette mesure indique à quel point la demande d’un produit importé est sensible lorsque son prix augmente, c’est-à-dire, la quantité qui n’est plus achetée parce que son nouveau prix décourage les consommateurs. Les élasticités de la demande d’importations des États-Unis calculées par les auteurs indiquent une moyenne de -3,4 avec un écart type de -1,1 et une moyenne pondérée de -1,3.

Les auteurs identifient dans leur analyse quatre caractéristiques de l’élasticité de la demande d’importations :

•        premièrement, les biens homogènes sont plus élastiques que les hétérogènes [2] ;

•        deuxièmement, plus la production est décomposée, plus la demande d’importations est élastique.

•        troisièmement, les grands pays ont tendance à avoir une demande d’importations plus élastique, compte tenu de la disponibilité de substituts de production nationale ;

•        quatrièmement, les pays plus développés ont tendance à avoir une demande d’importations moins élastique à cause, principalement, de la plus grande présence de biens hétérogènes dans leur demande d’importations ;

Quels secteurs seraient les plus touchés ?

Il convient de souligner que tant le Mexique que les États-Unis s’avèrent être les pays avec le plus de pertes associées à l’adoption des droits de douanedans l’exercice présenté par les auteurs. À cause de l’importante dépendance des exportations du Mexique vers les États-Unis, l’élasticité de la demande d’importations américaine peut être prise comme une bonne première approche afin de calculer les effets que pourrait avoir sur l’économie mexicaine le fait de faire face à une augmentation des coûts d’exportation aux États-Unis.

Si les relations commerciales entre le Mexique et les États-Unis n’étaient plus régies par le traité actuel, en tant que membres de l’OMC, les deux pays devraient appliquer la clause de la nation la plus favorisée. La clause prévoit qu’un pays membre de l’OMC ne peut pas imposer plus de restrictions que celles déjà attribuées à un pays tiers avec lequel un accord commercial est signé. Cette législation s’inspire des principes fondamentaux du commerce international de réciprocité et de non-discrimination.

L’exercice réalisé pour cette note a un caractère statique, c’est-à-dire, l’estimation suppose que les évènements ont lieu à un seul moment au cours du temps [3] . Les pertes ont été calculées pour 2018 en supposant que l’adoption des droits de douane prend effet le premier jour de l’année. Ces droits de douanecorrespondent à celles de la clause de la nation la plus favorisée de l’OMC. Le profil commercial actuel des États-Unis impliquerait un taux moyen pondéré de 3,3 %. Les résultats obtenus sont triés par secteur d’activité en utilisant la même classification construite pour cette note. Les unités ont été convertis en dollars réels sur la base de l’année 2010. Pour cela, il a fallu estimer les prévisions de déflateurs.

Les exportations de véhicules seraient les plus perdantes, 3,1 milliards de dollars, les machineries 2,9 milliards et l’agriculture 2,5 milliards. Dans une moindre mesure, les exportations de textile diminueraient de 0,7 milliard, tandis que les produits chimiques et les sidérurgiques 0,5 milliard chacun. Finalement, les exportations minières seraient réduites de 0,1 milliard. En termes relatif, ces chiffres représentent des pertes respectivement de 3,6 %, 1,8 %, 9 %, 11,2 %, 4,5 %, 3 % et 0,8 %.

Ces résultats ne devrait pas être l’arbre qui cache la forêt. La réalité est que certains produits devraient faire face à des droits de douane clairement impossibles à assumer. En conséquence, les exportations de ces produits disparaitraient complètement. Cela donne une idée de la surexposition de différents secteurs d’activité, mettant ainsi en évidence des vulnérabilités importantes à différents chocs ou changements dans le cycle économique.

Conclusion

Le déficit commercial des États-Unis n’a pas son origine dans l’accord de libre-échange, mais dans des déséquilibres macroéconomiques comme, par exemple, ceux dérivés d’un pays qui épargne moins qu’il n’investit. D’autre part, le commerce international ne doit pas nécessairement être un jeu à somme nulle. Malheureusement, ces idées répandues ne semblent pas avoir trouvé leur place dans les négociations.

Les pourparlers continueront d’emprunter une route longue et sinueuse dans le but de ne pas finir par construire des barrières commerciales là où il n’y en a pas. Comme nous avons pu le montrer quantitativement, ne pas parvenir à un accord pourrait coûter cher.

Références :

Kee, Hiau L., Alessandro Nicita, and Marcelo Olarreaga. 2008. “Import Demand Elasticities and Trade Distortions”, The review of economics and statistics, MIT Press, 90(4): 666-682.


[1] La note contient des prévisions estimées à partir des données du FMI et de la FRED. Sauf indication contraire, les données sur le commerce international ont été extraites de UN Comtrade et les données d’investissement de la CNUCED et le BEA. Finalement, les données tarifaires ont été consultées dans l’OMC.

[2] Les produits homogènes sont des substituts parfaits, les consommateurs différencieront donc les produits en termes de prix et non leurs caractéristiques. Les auteurs ont calculé pour leur exercice que les produits miniers et agricoles sont les plus élastiques alors que les véhicules et la machinerie (communément considérés comme des biens hétérogènes) sont les moins élastiques.

[3] Cependant, une formulation dynamique qui inclut également d’autres facteurs pertinents pour l’analyse pourrait décrire le processus de réponse dans le temps qu’implique le choc de l’adoption des droits de douane. Néanmoins, les résultats peuvent s’interpréter comme le scénario le plus adverse possible, toutes choses étant égales par ailleurs.

Diplômé de la Barcelona Graduate School of Economics et de la Universidad Carlos III de Madrid en économie, il a également bénéficié d'un échange à Maastricht University. Il est basé à Paris, où il a travaillé comme chargé d'études chez Allianz, après avoir évolué comme économiste au sein du service d'études économiques et financières de BBVA à Madrid. Ses domaines d'intérêts portent sur les conditions économiques et financières, en particulier sur les questions concernant la zone euro, les principales économies latino-américaines et le commerce international.

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