Marché des changes et interventions des Banques centrales (Note)

Résumé :

·         Un régime de change flottant implique la confrontation de l'offre et la demande de la monnaie entre les différentes devises sur le marché des changes et ne présuppose pas l’intervention d’une Banque centrale pour influer sur le cours de sa monnaie.

·         L’autorité monétaire peut cependant être amenée à intervenir pour rectifier des variations trop rapides du taux de change ou atténuer une appréciation ou une dépréciation trop importante de sa monnaie.

·         Les Banques centrales disposent pour cela classiquement de deux instruments : les taux d’intérêt et les réserves de change.

·         Toutefois, les interventions des Banques centrales aboutissent à des résultats variables. 

Un régime de change flottant implique la confrontation de l'offre et la demande de la monnaie entre les différentes devises sur le marché des changes. Contrairement à un système de change fixe, où la Banque centrale s’engage à défendre la valeur de sa devise, un régime de change flottant ne présuppose pas l’intervention de la Banque centrale pour influer sur le cours de sa monnaie. La politique monétaire peut ainsi être dédiée à d’autres fins domestiques, comme le soutien à l’activité, le contrôle de l’évolution des prix, ou encore la stabilité financière.

Toutefois, dans le cas d’un régime de change flottant, la Banque centrale peut être amenée à intervenir pour rectifier des variations trop rapides du taux de change ou atténuer une appréciation ou une dépréciation trop importante de sa monnaie. Exceptionnelles par le passé, les opérations des Banques centrales sur le marché des changes tendent désormais à se multiplier depuis le début des années 2010, malgré la libéralisation continue de ce marché et sa taille. Le volume échangé sur le marché des changes se situe à environ 5 100 milliards de dollars par jour (Banque des règlements internationaux – déc. 2016). Ces interventions des Banques centrales sont à la fois observées dans les pays émergents, en Russie, en Inde, en Turquie, mais également dans les pays développés que ce soit en Suisse, en Suède ou au Danemark.

Les cas de flottement pur des changes sont relativement rares. Le contrôle de la volatilité d’une devise recouvre un enjeu de compétitivité sur le plan commercial – éviter une appréciation défavorable aux exportations – et un enjeu financier du point de vue de l'endettement – toute dépréciation accroît mécaniquement l'endettement, celui-ci étant surtout contracté en devises dans les pays émergents et en développement. Pour intervenir sur le marché des changes, les Banques centrales disposent classiquement de deux instruments : les taux d’intérêt et les réserves de change. Toutefois, les interventions des Banques centrales aboutissent à des résultats variables. Leurs capacités à peser sur le marché des changes sont notamment contingentes aux leviers financiers dont elles disposent et à leur crédibilité institutionnelle.   

1. La modulation du taux directeur reste un instrument utile pour influer sur le taux de change, mais cela comporte un coût significatif

Le taux d’intérêt modulé par une Banque centrale correspond, de manière très schématique, au prix d’emprunt d’une monnaie. Dès lors, il est possible de conceptualiser l’interaction du taux d’intérêt du taux de changes selon une logique d’offre et de demande. Le taux d’intérêt est ici entendu comme le taux directeur qui commande le canal des taux mobilisés par la politique monétaire. Une Banque centrale peut aussi modifier d’autres taux (taux repo, taux reverse repo, taux de dépôt, etc.) pour influer sur le cours de sa monnaie, mais ces derniers évoluent classiquement en symétrie avec le taux directeur.

Une hausse du taux d’intérêt implique un renchérissement du prix d’emprunt d’une monnaie d’un pays ou encore une baisse de l’offre de cette monnaie, ce qui tendrait à provoquer une appréciation de cette monnaie sur le marché des changes, les investisseurs étant à la recherche de rendements élevés. Inversement, une baisse du taux directeur induit une augmentation de l’offre de monnaie ce qui devrait conduire à une dépréciation de sa monnaie par rapports aux autres devises.

En d’autres termes, une Banque centrale peut donc influer sur le taux de change via son taux directeur. Si la Banque centrale relève son taux, la monnaie aura tendance à s’apprécier. En abaissant son taux directeur, la monnaie aura tendance à se déprécier.

Les interventions des banques centrales sont amplifiées dans une certaine mesure par les stratégies  dites de Carry trade. Les investisseurs cherchent à tirer profit des écarts de taux d'intérêt existant entre les différentes devises en empruntant dans une devise à taux très bas (par exemple, l'euro aujourd'hui) pour replacer les fonds empruntés dans une devise à taux d’intérêt plus fort, comme c’est le cas par exemple, en Turquie et en Russie. Un différentiel de taux d’intérêt positif aura tendance à entraîner une entrée de capitaux, et donc à exercer une pression à la hausse sur le taux de change.

Le Carry trade expose un investisseur à un double risque de change (le risque d'appréciation de la devise d'emprunt et le risque de dépréciation de la devise de placement) et à un risque que le différentiel de rendement s’inverse. Ces stratégies sont importantes car elles expliquent certains mouvements sur le marché des capitaux et des devises, notamment le taux de change du Yen depuis 2004. Le large différentiel de taux d’intérêt entre certains pays émergents et les Etats-Unis, en lien avec la politique d’assouplissement de la Fed et le surplus de liquidité mondiale qu’une telle politique a généré, a stimulé un important afflux de capitaux depuis entre 2010 et mai 2013 vers les pays émergents.

Le taux directeur est donc une variable importante pour le marché des changes et un instrument utile pour les banques centrales, mais il comporte toutefois un coût non négligeable. En effet, il impose à la Banque centrale de focaliser sa politique monétaire sur le taux de change au détriment des autres objectifs habituels que sont le contrôle de l’inflation, le soutien à l’activité économique ou encore la stabilité financière. L’objectif le plus généralement convenu d’une Banque centrale est de parvenir à des conditions de financement permettant une utilisation pleine des facteurs de production tout en évitant l’apparition de tensions monétaires et financières.

En relevant son taux directeur pour influer sur le taux de change, une Banque centrale peut renchérir le coût du crédit et impacte donc le financement de l’économie dans son ensemble. En le baissant pour influer à la baisse sur le taux de change, la Banque centrale prend le risque d’alimenter des tensions inflationnistes, voire la création de bulles financières.

2. Pour surmonter les contraintes propres à l’utilisation du taux d’intérêt, la Banque centrale peut intervenir sur le taux de change grâce à ses réserves de devises   

Ce second instrument que sont les réserves de change relève aussi d’une logique de l’offre et de la demande. En cas d’appréciation non souhaitée de sa monnaie, la Banque centrale peut vendre une certaine quantité de de celle-ci en l’échangeant contre d’autres devises, ce qui implique une augmentation de l’offre de sa monnaie sur les marchés des changes. Ces ventes auront pour effet de peser à la baisse sur le cours du change et donc de réduire l’appréciation de sa monnaie.  

Inversement, en cas de dépréciation non désirée, la Banque centrale peut acheter une certaine quantité de sa monnaie grâce à ses réserves en devises, ce qui contribue à une baisse de l’offre de sa monnaie sur le marché des changes. Ces achats auront pour effet de peser à la hausse sur le cours du change et donc de réduire la dépréciation du taux de change.

Seulement, le bilan de la Banque centrale doit par définition être équilibré. Toute variation de l’actif doit être compensée d’un même montant du côté du passif. Le bilan d’une Banque centrale peut être schématisé ici de la manière suivante :

Les achats par une Banque centrale d’une certaine quantité de sa monnaie en puisant dans ses réserves de change auront pour effet de réduire dans le même montant sa monnaie en circulation, ce qui revient dans une certaine mesure à augmenter le taux d’intérêt avec des conséquences potentiellement néfastes pour une économie en bas de cycle.

En d’autres termes, les achats ou ventes de devises par la Banque centrale impliquent une variation de la base monétaire susceptible de perturber l’économie dans son ensemble.  

Pour contourner ce problème, la Banque centrale peut acheter des titres souverains domestiques, dits opérations d’open market, pour « stériliser »[1] l’effet sur la base monétaire de la baisse des réserves de changes. La Banque centrale parvient ainsi à obtenir un bilan équilibré sans impact sur la base monétaire : 

Inversement, si la Banque centrale souhaite acheter des devises en échange de sa monnaie pour tenter de contrer une appréciation de celle-ci, elle peut céder des titres souverains libellés dans sa monnaie d’un montant équivalent pour équilibrer son bilan. L’augmentation des réserves de changes n’entraîne alors aucun surplus de liquidité non désiré au sein de la base monétaire.

3. Les interventions des Banques centrales aboutissent toutefois à des résultats variables 

Les intervenants sur le marché des changes, en recherche continu de signaux pour s’orienter, sont sensibles aux mesures prises par les Banques centrales et sont susceptibles de les amplifier. L’expérience montre toutefois que la modulation du taux directeur ou des réserves pour tenter d’influer sur le marché des changes produit des résultats mitigés.

Toutes les Banques centrales n’ont pas toutes la même capacité financière mais aussi institutionnelle pour recueillir l’adhésion du marché et peser sur le marché des changes. Compte tenu du volume négocié sur le marché des changes d’environ 5 100 milliards de dollars par jour (Banque des règlements internationaux – déc. 2016), certaines Banques centrales – surtout dans les économies de petites et moyennes tailles – peuvent peiner à atteindre le levier financier critique pour peser sur le marché des changes.

Il en est de même des capacités institutionnelles qui varient d’une Banque centrale à l’autre. La communication et la crédibilité des Banques centrales s’avèrent aussi décisives que l’ampleur des interventions. Les investisseurs agissent dans le sens de l’autorité monétaire, voire amplifient les orientations souhaitées, seulement si les interventions sont crédibles et lisibles. L’effet surprise a également un impact plus significatif que des interventions régulières parfois dans des directions opposées qui à forcent de se répéter se banalisent aux yeux des investisseurs et perdent leurs effets escomptés. Il en va également de l’indépendance, du mandat accordé à la Banque centrale et de son positionnement institutionnel. Ainsi, la Banque centrale turque est régulièrement contrariée dans ses interventions visant à limiter la dépréciation de la Livre turque via une hausse des taux, par le gouvernement du pays qui fait pression sur la Banque centrale afin d’obtenir une baisse des taux susceptible de soutenir la croissance. Cette situation brouille le message de la Banque centrale auprès des investisseurs.

Les Banques centrales peinent également parfois à peser sur les mouvements des changes et à convaincre les investisseurs de leurs interventions, car les mouvements sur le cours de change reposent parfois sur des facteurs sous-jacents sur lesquelles elles n’ont pas de prise directe. Le franc suisse et le Yen sont des cas emblématiques, puisque ces deux monnaies sont considérées comme des valeurs refuges. En cas de fortes incertitudes ou épisodes de crise, les investisseurs cherchent à acquérir ces monnaies, puis tendent à les délaisser en cas d’apaisement de la situation politique et économique. Autre exemple déjà évoqué, le cas récent de la Turquie, où les tensions politiques et géopolitiques ont entraîné une dépréciation de la Livre turque malgré les interventions répétées de la Banque centrale.

Conclusion

Ainsi, les Banques centrales disposent deux outils pour intervenir : le canal des taux d’intérêt et les réserves de changes. Ces deux mécanismes relèvent essentiellement d’une logique d’offre et de la demande de la monnaie contre les autres devises.


[1] Stériliser une intervention signifie retirer la liquidité injectée dans le système dans le cadre de cette intervention. En général ce concept est utilisé dans le cadre des interventions de change : la Banque centrale achète des devises dans le but d'empêcher l'appréciation de sa monnaie, et comme elle ne veut pas ajouter de la liquidité dans le marché elle retire cette dernière. Référence : BSI - La stérilisation des interventions des banques centrales : concept, modalités et interrogations dans le cadre de l'OMT de la BCE

Diplômé de Sciences Po Grenoble et de la London School of Economics en économie politique internationale, Jean-Baptiste Brasseur évolue actuellement au sein de la Direction générale du Trésor, après une expérience au sein de la Banque de France. Ses principaux centres d’intérêts portent sur le marché des changes, le secteur bancaire et la politique monétaire.

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