La notation souveraine des agences et ses enjeux

Résumé

- La notation financière comble les asymétries d’informations sur le marché des obligations et détermine en théorie le taux d’intérêt entre investisseurs et emprunteurs.

- La notation souveraine peut avoir un impact significatif sur les variations de taux d’intérêt pouvant provoquer ainsi des tensions sur la solvabilité d’un pays.

- La méthodologie opaque des agences semble leur laisser une marge d’appréciation subjective significative du risque souverain.

- Pourtant, il semble dorénavant que les marchés n’attendent pas les annonces des agences pour évaluer le risque et appliquer des taux insoutenables aux mauvais élèves. 

 

Les agences de notation ont été très fortement critiquées pendant la crise financière de 2008 pour leur mauvaise appréciation du risque relatif aux titres financiers immobiliers, dits « produits structurés subprimes ». La meilleure note AAA avait été attribuée à ces titres, dans leur grande majorité, et pourtant la valeur de ces actifs s’est effondrée à mesure que les prix immobiliers ont chuté. Au plus fort de la crise de la dette en Europe, les agences de notation ont été accusées d’accélérer la faillite de la Grèce et d’amplifier les difficultés d’accès aux marchés financiers de certains pays périphériques (Portugal et Irlande notamment et dans une moindre mesure Italie et Espagne). Leur méthodologie et leur rôle sur les marchés sont aujourd’hui sérieusement remis en question.

Agence de notation, de qui parle-t-on?

L’industrie de la notation est composée de trois acteurs majeurs (Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings) dont les parts de marché s’élèvent pour les deux premières à 40% et pour la troisième à 10%. Leur mission consiste à combler les asymétries d’informations sur les marchés financiers entres investisseurs et emprunteurs (entreprises et gouvernements notamment). Elles remplissent donc une mission à double intérêt, satisfaisant ainsi à la fois les créanciers et les débiteurs, puisque les deux parties vont profiter d’une information facilitant la transaction. Les agences monnayent leur savoir-faire d’une part auprès des agents économiques et financiers souhaitant externaliser l’analyse du risque de contrepartie et d’autre part auprès des émetteurs de titres recherchant à recourir aux marchés des obligations pour se financer. Dans le cas de la notation souveraine, il s’agit ainsi d’offrir aux investisseurs une information exhaustive et exacte sur la capacité et la volonté d’un pays à rembourser ses créanciers. Ce besoind’information s’est d’ailleurs accentué avec la globalisation des marchés et l’internationalisation des détenteurs de dettes publiques. Puisque les investisseurs peuvent acheter des dettes émises par des pays étrangers, la notation est une source de comparaison nécessaire dans leur choix d’allocation géographique.

La notation des agences est donc une information cruciale dans la détermination du taux d’intérêt dont l’émetteur devra s’acquitter sur les marchés de capitaux. Il y a une corrélation inverse entre la notation et le taux d’intérêt payé par l’émetteur. La meilleure notation (AAA), fait état d’un titre sûr et liquide avec une probabilité de défaut nulle. Un émetteur bien noté va donc jouir d’un accès privilégié aux marchés financiers et bénéficier d’un coût de l’endettement faible. En revanche, plus la note de l’émetteur est faible,  plus ses conditions d’accès aux marchés sont difficiles et les taux d’intérêt auxquels il doit se financer sont importants, les investisseurs exigeant une prime de risque élevée. Ces titres sont de fait moins liquides c’est-à-dire ne peuvent s’échanger facilement entre investisseurs, le risque de défaut étant omniprésent. Le tableau ci-dessous donne un aperçu de l’échelle de notation des agences. Celle-ci distingue les catégories « Investissement » (peu de risque de défaut) et « Spéculative» (risque de défaut significatif). Au sein même de cette échelle de notation existent des sous catégories de rating (+ et -) portant ainsi à 21 le nombre de notations existantes. De plus, les agences accompagnent leur notation d’une information sur les perspectives (outlook) de changement de notation à court et moyen terme. Cette information atteste des anticipations sur l’évolution de la solvabilité des émetteurs. Une perspective négative fait peser un risque de dégradation ultérieure de l’émetteur, si sa situation économique et financière ne s’améliore pas (inversement pour une perspective positive). Début 2013, en Zone Euro, seule la Finlande était notée AAA accompagnée d’une perspective stable chez les trois agences.

Quelle est leur méthodologie dans la notation souveraine?
L’expertise des agences se base sur une combinaison d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs donnant lieu in fine à une appréciation subjective du risque souverain. Les comités de notation peuvent donc de manière discrétionnaire ajuster la note d’un pays à partir des résultats de leurs modèles de rating. Les données utilisées dans ces modèles économétriques appartiennent à quatre grandes familles :

Les performances économiques font état de la capacité d’un pays à générer de la croissance (variables retenues : croissance, inflation…). L’étude des finances publiques permet de juger la trajectoire et la soutenabilité à terme de la dette publique (dette publique, déficit public, service de la dette…).  L’analyse des risques externes cherche à mesurer l’intégration et la dépendance des pays vis-à-vis de l’extérieur dans les échanges de biens et de capitaux (balance des paiements, dette détenue par les non-résidents…). Les perspectives politiques évaluent la flexibilité monétaire et la qualité des institutions au sein de l’économie.

Chaque agence utilise (plus ou moins) les mêmes variables explicatives, seule la pondération des facteurs change. Notons que cette information détaillée sur les modèles quantitatifs utilisés par les agences reste opaque puisque seule Fitch Ratings divulgue publiquement la pondération de son modèle.

Ces modèles sont la base de travail des équipes d’analystes afin d’émettre la note définitive sur un émetteur souverain. Pourtant, en 2010 chez Fitch Ratings[1] , seules 28% des notations issues du modèle correspondaient au rating contemporain des pays, laissant ainsi une part significative au caractère discrétionnaire de la notation. Cette appréciation subjective, notamment dans l’analyse de l’environnement politique, joue donc un rôle crucial dans les décisions de notation. En effet, un pays comme le Royaume Uni bénéficie du AAA (sous perspective négative certes) chez toutes les agences grâce à une politique monétaire ultra accommodante alors que dans le même temps la dette publique atteint près de 100% du PIB, le déficit budgétaire se creuse depuis 2007 et le pays est en récession sur quatre des cinq derniers trimestres ! Cette méthodologie pose donc la question de la capacité prédictive des modèles retenus par les agences.

Selon un rapport[2] du Fonds Monétaire International (FMI) daté d’octobre 2010 : « Depuis 1975, tous les émetteurs souverains ayant fait défaut étaient en catégorie spéculative un an avant. » On peut cependant douter de la capacité des agences à prévoir un défaut à moyen terme quand on sait que la Grèce, l’Irlande ou encore le Portugal étaient notés respectivement A+, AAA et AA– jusqu’en 2009 La Grèce a depuis fait défaut sur sa dette et l’Irlande et la Portugal ont fait appel à l’aide du FMI pour satisfaire à leurs besoins de financement.

Les décisions des agences influencent-elles les comportements des agents?

Une étude réalisée par le FMI[3] , entre 2007 et 2010 sur les pays de la Zone Euro, montre que la dégradation de la notation d’un pays a un impact significatif sur le niveau de taux d’intérêtet sur le niveau de CDS[4] non seulement de l’émetteur dégradé et mais aussi d’autres membres de la zone. Depuis sa création, le degré d’intégration commerciale et financière atteint en Zone Euro renforce la dépendance des membres les uns des autres et de fait, les conséquences des décisions des agences dépassent les frontières. Le meilleur exemple est le cas grec : puisque les détenteurs de la dette publique hellénique sont répartis dans l’ensemble de l’Eurozone, la dégradation de l’Etat grec en catégorie spéculative puis sa mise en défaut a provoqué une onde de choc sur les niveaux de CDS, les niveaux de taux et les indices boursiers de l’ensemble des pays européens.

Plus généralement, les décisions des agences peuvent s’avérer cruciales dès lors qu’un émetteur souverain est en passe d’être dégradé en catégorie spéculative. En effet, les investisseurs institutionnels (assureurs, banques, fonds de pension…), qui restent les principaux acheteurs de la dette souveraine, sont contraints par leurs réglementations (Bâle III pour les banques et Solvabilité II pour les assureurs) qui leur imposent de détenir uniquement des titres notés « Investment Grade » (supérieur à BB+). Ainsi, le cas espagnol pourrait être problématique en 2013 puisque le rating est proche de cette frontière (BBB– chez S&P et Moody’s, BBB chez Fitch). Les agents seraient alors dans l’obligation de vendre leurs titres détenus, provoquant une hausse mécanique des taux d’intérêt ibériques et des difficultés pour l’Etat à financer sa dette. La soutenabilité des finances publiques pourrait donc aisément être remise en cause par ce processus auto-réalisateur. 

Toutefois, il semble que l’impact des décisions des agences ne soit pas évident, les marchés financiers  appliquant des niveaux de taux d’intérêtselon leurs propres perceptions du risque sur les gouvernements. En effet, selon Fabrice Montagné, économiste chez Barclays : «Le marché est en général en avance sur les agences de notation et ajuste les prix bien avant la publication des ratings ». Alors que les agences évaluent le risque souverain intrinsèque de chacun des émetteurs – c’est-à-dire sa capacité à rembourser–, les marchés financiers adoptent une vision plus globale puisqu’ils arbitrent leur allocation en comparant le risque sur l’ensemble des émetteurs souverains. Certains pays, jugés sûrs par les investisseurs (pays dits « Centraux » ou « Core »), jouissent donc de leur statut de valeur de refuge alors même que leurs fondamentaux économiques sont mauvais.  En 2011 et 2012, on a pu constater chez les investisseurs un « rallye » (forte hausse de la demande pour ces titres) sur la dette émise par les pays « core » afin de sécuriser leur portefeuille d’actifs financiers à mesure que les tensions sur les pays périphériques se faisaient de plus en plus pressantes. Ainsi, aujourd’hui, malgré la perte du AAA français (chez S&P et Moody’s), l’Etat emprunte à des taux historiquement faibles et cela alors que la croissance et l’activité sont en berne et que les objectifs de réduction de déficit ne seront pas atteints.

Conclusion

La désintermédiation financière (recours accru au marché obligataire afin de se financer) a rendu la mission des agences incontournable. L’information émise par les agences est nécessaire pour la fixation du taux d’intérêt sur le marché des obligations souveraines. Mais elle n’est pas l’unique variable explicative. Aujourd’hui, la dichotomie entre pays sûrs et pays risqués au sein de l’univers d’investissement est un élément plus décisif que la notation elle-même.

De plus, la notation des agences doit s’accompagner d’une contre-expertise interne menée par les équipes économiques. En confrontant les points de vue, les acheteurs de dettes souveraines disposeront d’une information complète pour satisfaire leurs décisions d’investissement.

Références

“Sovereign Rating Methodology”, Fitch Ratings, 2011

“Sovereigns: Methodology and Assumptions”, Standard & Poor’s, 2011

“Sovereign Bond Ratings”, Moody’s Investors Service, 2008

“Sovereign Credit Ratings: Shooting the Messenger?”, House of Lords, 2011

Notes

[1] New Sovereign Rating Model, Fitch Ratings,october 2011

[2] The uses and abuses of sovereign credit ratings, IMF Financial Stability report, october 2010

[3] Sovereign Rating News and Financial Markets Spillovers: Evidence from the European Debt Crisis, IMF Working paper, 2011

[4] CDS : le Credit Defaut Swap est un contrat de protection financière en cas de défaut de la contrepartie

 

Diplômé de l'Université Paris Dauphine en Diagnostic Economique, Jordan Allouche a travaillé comme économiste dans un cabinet de gestion d’actifs, puis au sein de la Direction Générale du Trésor. Il occupe aujourd’hui un poste d’analyste des risques financiers et de crédit au sein d’un fonds de pension. Ses centres d'intérêts portent sur l'évaluation du risque souverain et ses implications en termes d'allocation d'actifs. Jordan Allouche est membre du comité éditorial de BSI Economics.

Dans la même catégorie :

Standard Post with Image

Les Enjeux du Commerce International du Plastique : Défis et Perspectives

Standard Post with Image

Budget européen : vers une évolution, pas une révolution (Policy Brief)

Standard Post with Image

Politique monétaire : la BCE doit redonner de l'air à la zone euro (Tribune)

Standard Post with Image

Genre et précarité énergétique (Note)