La titrisation au secours de l’union financière Européenne ? (Note)

Résumé :

·        S’inscrivant dans une volonté d’approfondissement de l’Union Economique et Monétaire, la Commission Européenne réfléchit actuellement à la création de titres adossés à des obligations souveraines ;

·        Le passif de ces titres serait composé d’un panier d’obligations souveraines, il existerait cependant une distinction entre la tranche junior et la tranche senior ;

·        Cette proposition apparait comme une réelle alternative aux Eurobonds précédemment envisagés, dans la mesure où elle n’implique pas une mutualisation des risques ;

·        Le cadre technique de cet ambitieux projet devra être précisé d’ici 2020, ainsi qu’une stratégie visant à convaincre le public et les investisseurs du bien-fondé du recours à la titrisation. 

Le Comité Européen du Risque Systémique (CERS) s’interroge quant à la création de titres adossés à des obligations souveraines (« Sovereign Backed Securities » ou SBS en anglais). Dans un récent document de réflexionet s’inscrivant dans une démarche d’approfondissement de l’Union Economique et Monétaire, ces titres vont plus loin que les Eurobonds, refusés catégoriquement par l’Allemagne. Sur le papier, en mutualisant les dettes, de telles obligations pan-européennes devaient offrir un taux plus faible que celui auquel l’Allemagne emprunte.

Néanmoins de réels problèmes de faisabilité se posent, et le succès d’une telle entreprise implique que les excédents budgétaires des Etats les plus solvables couvrent les déficits des moins bon élèves. Les SBS apparaissent alors comme une réelle alternative, dans la mesure où ils n’impliquent pas de mutualisation des dettes. Ces derniers reposeraient en fait sur la construction d’un véhicule de financement – et donc l’émission de dette (le passif), auquel serait adossé un panier d’obligations souveraines européennes (l’actif). Un tel schéma implique un processus de titrisation, fortement critiqué lors de la récente crise des subprimes.

Qu’est-ce que la titrisation ?

La titrisationrepose sur un principe fondateur de la finance : la diversification. L’idée sous-jacente est simple : il s’agit d’agréger une multitude d’actifs afin de constituer le collatéral d’un prêt. C’est précisément l’approche qui avait été adoptée lors de la crise des subprimes : des milliers de prêts hypothécaires furent agrégés puis écoulés auprès de banques et d’investisseurs. En théorie, un tel « millefeuille » permet de diluer le risque, notamment en cas d’évènement de crédit de l’un des émetteurs. Ainsi si un défaut a lieu, ce dernier n’affecteraqu’une partie infime du collatéral. Le processus de titrisation permet donc de réduire le risque associé à ces actifs, dans la mesure où grâce à la diversification, le risque du portefeuille final est plus faible que la somme des risques de chacun de ces actifs utilisés comme collatéral. Dans le cas des SBS (l’actif) proposés par le CERS, le passif serait un portefeuille diversifié d’obligations souveraines.

Néanmoins, dans un souci de répondre à une demande hétérogène en termes de profil rendement-risque et dans une volonté d’imiter les Etats-Unis en termes d’offre d’actif sans risque, une dichotomie serait introduite au sein de ces SBS, une partie junior s’opposerait ainsi à une partie senior :

·         La composante junior comporterait la tranche la plus risquée à hauteur de 30 % : elle serait en première ligne dans l’absorbation de chocs, tel qu’un éventuel défaut souverain d’un pays. Une décomposition de cette tranche elle-même n’est pas exclue, avec une partie « first loss » (aussi appelée « equity »), qui comme son nom l’indique sera la première impactée en cas d’évènement de crédit, et une partie mezzanine[1]  ;

·         A l’inverse, la tranche senior serait plus liquide et devrait tendre vers un risque quasi-nul. Ainsi, ce tranchement des SBS permettrait de satisfaire la demande d’investisseurs aux profils de risque variés. L’idée intrinsèque est de créer un actif sans risque à partir d’un portefeuille d’actifs, dont certains sont risqués, (hétérogènes car avec des dettes de qualité variable au sein de la zone), et donc bien celle de la diversification du risque.

Les avantages des SBS

Le portefeuille de référence devrait contenir la dette émise par le gouvernement central de chacun de pays membre de la Zone euro. Les états non-membres, comme la Suède, pourraient aussi décider d’y prendre part s’ils voulaient émettre de la dette en euro. La clé de répartition pourrait ainsi dépendre du PIB ou bien de la population du pays, l’idée étant de refléter la contribution à l’économie au sein de la zone,  dans le même esprit que les contributions de chacun au budget de l’Europe.

Les SBS présenteraient ainsi les mêmes avantages que les Eurobonds, tout en s’affranchissant d’une mutualisation des dettes, le point bloquant jusqu’à présent pour les Etats les plus solvables et notamment l’Allemagne. La création de tels titres, adossés à des obligations Européennes devrait notamment permettre d’homogénéiser les conditions de financements en sein de la zone, et ainsi limiter la « fragmentation financière », entre l’Europe « centrale » et « périphérique ». Si actuellement les flux de capitaux reçus par les pays périphériques dépendent très fortement de la conjoncture, ces derniers pourraient désormais participer à l’offre d’actif sans risque sur les marchés.

Un des aspects clefs également mis en avant est la diversification du portefeuille des investisseurs qui détiendraient ces titres, et notamment des banques. En effet, aujourd’hui  leur passif est étroitement lié à leur pays d’origine (avec une préférence domestique dans les décisions d’investissements, notamment en termes d’allocation obligataire), ce qui accroit le risque de transmission entre un Etat et ses institutions financières en cas de choc. Ainsi en cas de dégradation de la situation économique d’un pays, le fait qu’actuellement les banques domestiques détiennent une large partie de cette dette peut sembler préoccupant. L’introduction des SBS atténuerait donc cette interdépendance au niveau d’un pays et offrirait une meilleure diversification à l’échelle européenne des bilans bancaires, réduisant ainsi le risque systémique.

Par ailleurs, un des objectifs affichés de cette entreprise à la création d’un actif sans risque avec la tranche senior des SBS, et ce afin de concurrencer les US T-bills. En effet malgré un rôle prépondérant dans l’économie mondiale, l’Europe n’a pour l’instant pas réussi à s’unifier assez, et notamment sur un plan fiscal, pour offrir une alternative aux investisseurs. La demande pour des tels actifs est croissante et nourrie par les régulateurs. Il est aussi avancé que la naissance d’un actif sûr, émis dans de larges volumes devrait améliorer la liquidité. Enfin, l’intervention de cette entité ad-hoc, directement sur le marché primaire devrait conduire à plus de transparence, un bon point en faveur d’une dédiabolisation des Collateralized Debt Obligations (CDO).

Des zones d’ombres

Sur un plan plus technique, il convient de trouver l’entité émettrice « ad-hoc » adaptée. Encore beaucoup d’incertitudes résident à ce sujet à en croire le livre blanc sur l’UEM paru récemment qui mentionne une «entité commerciale ou une institution ». Une chose est sûre, pour des questions d’indépendance, la BCE ne pourrait pas endosser ce rôle dans la mesure où elle pourrait elle-même être acheteuse des SBS. Si théoriquement cette dernière ne devrait donc pas être responsable de la création de ces nouveaux véhicules de financement, on peut toutefois imaginer qu’en cas de scénario adverse, cette dernière prenne des mesures de soutien à l’Euro (similairement au programme de rachat d’actifs en cours) ce qui pourrait être source d’aléa moral. Par ailleurs, la répartition 30 / 70 % pour  la tranche junior et la tranche senior respectivement parait encore un peu arbitraire et devra émaner d’une analyse approfondie des scénarios en matière de défaut souverain.

Si les partisans des SBS mettent en exergue une amélioration de liquidité, il convient toutefois de reconnaitre que deux effets opposés puissent être à l’œuvre. En effet l’émission de SBS en large volume pourrait constituer un bon signal en termes de liquidité. Même si pour le moment les propositions garantissent la circulation de 2/3 des obligations gouvernementales de chaque pays, on peut craindre que l’apanage qui sera fait sur les obligations européennes, déjà élevé en raison des mesures de rachat d’actifs, ne détériore in-fine la liquidité du marché. Ainsi, il existe un risque non négligeable de raréfactions des obligations souveraines plus « classiques » sur un marché d’ores et déjà tendu.

Par ailleurs, intégrer les pays les moins solvables au panier d’actifs constituant le collatéral pourrait décourager les investisseurs les plus frileux, qui pourraient toujours préférer détenir une obligation allemande plutôt qu’un tel CDO, pour lequel aucune méthode de valorisation n’est d’ailleurs développée. Ainsi pour les rendre substituables aux yeux des banques, des mesures réglementaires préférentielles seront peut-être nécessaires afin soutenir la détention des SBS (qui pourraient par exemple être acceptés par la BCE en Repo comme suggéré par un groupe d’économistes). Concernant les pays les moins solvables, un risque de polarisation opposant la part de la dette à l’actif du SBS et ces obligations traditionnelles émises par le gouvernement central qui continuent à circuler sur le marché, n’est pas à sous-estimer.

Enfin, la création de tels SBS doit bel et bien s’accompagner d’une volonté politique d’encadrement, pour éviter toute dérive (comme une redéfinition surprise de la clé de distribution pour faire face à des chocs ponctuels) et rassurer l’opinion publique. En effet, les titres adossés à un large millefeuille de dettes, et plus généralement la titrisation, sont souvent montrés du doigt comme la cause de la crise de 2008. L’Europe aura donc la lourde tâche de dé-diaboliser les SBS.

Conclusion

Les SBS, des titres adossés aux obligations souveraines traditionnelles sont proposés par le CERS dans une volonté d’union financière accrue au sein de la zone. Ces derniers permettraient notamment de réduire l‘interdépendance entre les bilans des banques et la solvabilité de leur pays d’origine. Avec un seuil choisis judicieusement, la tranche senior pourrait même constituer un actif sans risque, satisfaisant ainsi l’ambition de l’Europe de concurrencer les bons du Trésor américains.

L’horizon du lancement, annoncé en 2020 est assez lointain pour concevoir un cadre technique et réglementaire solide, La question de légitimer le recours à la titrisation, décriée depuis 2008 auprès du grand public requerra une grande pédagogie. Il sera probablement plus compliqué de convaincre les investisseurs à se détourner de la dette allemande, au profit de ces instruments inédits.


[1] Un CDO est généralement divisé en plusieurs tranches, aux profils de risque différents. On trouve ainsi la tranche senior, mezzanine puis  first loss, Dans le cadre des SBS, la partie junior serait donc composée de la tranche mezzanine et first loss.

Diplômée de Cardiff University et de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Lauren Stagnol est en thèse au sein du laboratoire EconomiX (CNRS). Elle évolue actuellement au sein d’un service de recherche quantitative dans la gestion d'actifs. Ses principaux domaines d'intérêts portent sur l’économétrie appliquée, le marché obligataire et le design d’indices alternatifs sur cette classe d’actifs.

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