Le système de soutien à l’innovation en France (Note)

Résumé :

·         La R&D et l’innovation sont des facteurs importants de la croissance des économies dites « de la connaissance ». En 2015, la France consacrait 2,2 % de son PIB aux dépenses intérieures de R&D (dépenses de R&D des entreprises, des établissements d’enseignement supérieur et des organismes de recherche), ce qui est légèrement supérieur à la moyenne de l’Europe (2 %) ;

·         Le système de soutien à l’innovation en France est essentiellement basé sur des aides indirectes par le biais du crédit d’impôt recherche (CIR) dont le coût s’élève à 5,5 milliards € en 2015. La plupart des études estiment que le CIR est relativement efficace pour inciter à l’investissement en R&D ;

·         Le système de soutien à l’innovation en France a évolué vers une plus grande complexité. La multiplicité de dispositifs et des acteurs tend à rendre difficile le pilotage de la politique par les pouvoirs publics.

Depuis 1990, les pays développés ont progressivement basculé d’une économie industrielle vers une économie de la connaissance, mondialisée et financiarisée. L’économiste Elie Cohen distingue trois dimensions à cette nouvelle économie : la R&D et l’innovation sont devenues des facteurs importants de la dynamique de croissance, de nouveaux secteurs propres à l’économie de la connaissance se sont développés (exemple : le secteur de la santé numérique) et la part des activités de la connaissance au sein des activités traditionnelles a augmenté. Cette transformation vers l’économie de la connaissance s’accompagne d’une politique de soutien à l’innovation[1] .

L’innovation résulte de choix d’investissements qui sont influencés par les politiques publiques. Dans une acception large, la politique de soutien à l’innovation inclut toutes les politiques qui visent à assurer un environnement favorable au développement d’innovations. De fait, cela comprend aussi bien les politiques de l’éducation et de la recherche, que les politiques du marché du travail, les politiques en matière de concurrence et de propriété intellectuelle, la fiscalité, etc…. Nous nous concentrerons ici sur les politiques de soutien à l’innovation pour les entreprises qui passent par des dispositifs de subventions, d’incitations fiscales et de développement de capital humain.

La Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) distingue trois types d’instruments de soutien à l’innovation en France : les dispositifs directs de subventions, prêts et participations ; les dispositifs de développement du capital humain et de coopération entre acteurs et les dispositifs indirects d’incitations fiscales et d’allégements de cotisations sociales.

1.     Le système de soutien à l’innovation a évolué vers une plus grande fragmentation

En 2015, les mécanismes de soutien à l’innovation de l’Etat et de ses opérateurs publics représentaient 8,5 milliards € alors qu’ils ne s’élevaient qu’à 3,5 milliards € en 2000. En une quinzaine d’années, le paysage a ainsi sensiblement évolué avec le développement d’une réelle politique de soutien à l’innovation, la multiplication des instruments et l’apparition de nouveaux opérateurs.

Les politiques d’innovation se sontréellement développées à partir de la fin des années 1990 grâce à l’approfondissement de la coordination entre la politique de recherche et la politique industrielle. La loi sur la recherche et l’innovation (1999) a été un premier pas pour valoriser davantage les résultats de la recherche publique en autorisant les chercheurs et universitaires à déposer des brevets et à créer des startups. La loi est également à l’origine de l’émergence d’une trentaine d’incubateurs publics pour aider à la création  notamment d’entreprises innovantes à partir de résultats de la recherche publique (exemple : l’incubateur Paris Biotech Santé fondé en 2000 par l’Université Paris Descartes, l’ESSEC, l’Ecole Centrale Paris et l’INSERM).

Les politiques d’innovation ont plusieurs justifications d’un point de vue économique. Tout d’abord, les dispositifs publics visant à inciter les investissements privés de R&D reposent sur l’idée que le niveau d’investissement privé en R&D est inférieur à son niveau socialement optimal. En effet, les entreprises, ne pouvant pas s’approprier tous les bénéfices de leurs investissements de R&D, ont tendance à sous-investir en R&D ce qui bride le potentiel d’innovation à l’échelle nationale. L’intervention publique peut également avoir pour objectif de favoriser les coopérations entre les acteurs, en réduisant les barrières au transfert technologique par exemple ou en capitalisant sur les synergies de la R&D.

Depuis une quinzaine d’années, de nouveaux acteurs sont apparus dans l’écosystème. En plus des acteurs classiques comme l’Etat et ses opérateurs publics, les régions ont pris une place importante en recourant plus régulièrement aux instruments mis à leur disposition par l’Union européenne comme par exemple les subventions du Fonds européen de développement régional (FEDER). En 2015, les subventions en provenance in fine des régions représentaient 15,2 % du total des subventions à l’innovation contre 5,4 % en 2000. Par ailleurs, l’accès aux financements pour les PME s’est amélioré avec la création en 2005 de l’EPIC OSEO pour pallier le manque de financements en période de faible activité économique. La banque publique d’investissement BpiFrance, née de la fusion du Fonds Stratégique d’Investissement, de la Caisse des Dépôts Entreprises et de OSEO, reprendra ce rôle à partir de 2012. En 2010, le Commissariat général à l’investissement (CGI) a été créé avec l’objectif de prendre en charge la gestion du grand programme d’investissements de l’Etat français (PIA : programme d’investissements d’avenir). En 2015, ces programmes d’innovation comptaient pour 57 % du montant total des subventions accordées. Enfin l’agence nationale de la recherche (ANR) a vu le jour en 2005 pour financer des projets de recherche scientifique et notamment développer la recherche partenariale grâce aux instituts Carnot. L’apparition de ces nouveaux opérateurs explique également la multiplication du nombre de dispositifs constatée ces quinze dernières années.

La Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation note que le nombre de dispositifs gérés par l’Etat et ses opérateurs a été multiplié par deux entre 2000 et 2015, passant de 30 en 2000 à 62 en 2015. Cette hausse du nombre de dispositifs s’est traduite par une baisse en moyenne des fonds alloués à chaque instrument. Si la multiplication des instruments permet de couvrir un champ plus étendu et donc d’assurer un soutien plus ciblé aux entreprises, la question du pilotage efficace de l’ensemble de ces dispositifs se pose. Par ailleurs, la hausse du nombre d’instruments s’accompagne d’un rythme plus élevé de renouvellement de ces dispositifs qui peut s’expliquer en partie par la nécessité de s’adapter à un environnement particulièrement changeant. Néanmoins, la complexité et l’instabilité des outils d’aide à l’innovation peuvent être de nature à décourager les entreprises les moins informées et les moins organisées et qui pourtant seraient éligibles à ces dispositifs.

2.     La politique de soutien à l’innovation est essentiellement basée sur les incitations fiscales

Le système de soutien direct (subventions, prêts et participations) a l’avantage de permettre un ciblage des projets d’investissement soutenus et s’adapte parfaitement à une vision stratégique de la politique de l’innovation. Hormis le secteur de la défense, l’aéronautique et l’électronique sont les secteurs qui bénéficient le plus des aides directes. Plusieurs acteurs sont impliqués dans le soutien direct à l’innovation : les régions, les instituts Carnot rattachés à l’ANR, BpiFrance et plus généralement les différents opérateurs en charge des PIA. BpiFrance propose toute une gamme d’aides à l’innovation qui passent par des subventions, des avances remboursables, des prêts à taux zéro, des garanties et des participations en fonds propres.

Le dispositif CIFRE a été lancé en 1981 dans une optique de développement du capital humain. Ce dispositif vise à resserrer les liens entre le monde de l’entreprise et la recherche publique en cofinançant la formation d’un doctorant recruté par une entreprise pour une mission de recherche. Ce contrat doit s’inscrire dans la stratégie de R&D de l’entreprise et se fait en lien avec un laboratoire de recherche. En 2015, le coût annuel du dispositif CIFRE s’est élevé à 52 millions €. Les pôles de compétitivité, créés en 2004, jouent également un rôle important pour accroitre la coopération entre les acteurs. Ces pôles, au nombre de 71, regroupent des entreprises, des écoles et des universités et des laboratoires de recherche. Les projets de R&D collaboratifs qui émergent de ces pôles peuvent recevoir après un appel à projet, des financements publics spécifiques.

Les incitations fiscales représentent la majorité des fonds disponibles pour le soutien à l’innovation (6,4 Mds € en 2015) et sont pour l’essentiel attribuables au crédit impôt recherche (CIR), qui a pris une place prépondérante au cours du temps (5,5 milliards € en 2015 soit 0,26 % du PIB). Le CIR, créé en 1983, est un crédit d’impôt qui incite les entreprises à accroitre leurs dépenses de R&D. Avant 2003, le crédit était accordé uniquement aux entreprises qui augmentaient leurs dépenses de R&D. Entre 2003 et 2008, le niveau de dépense a été inclus dans le calcul du crédit d’impôt au même titre que son évolution. Enfin, depuis 2008, seul le niveau de dépenses en R&D est pris en compte dans le calcul du CIR. Le crédit d’impôt est égal à 30 % des dépenses de R&D lorsque celles-ci sont inférieures ou égales à 100 millions € et 5 % au-delà de 100 millions €. Depuis 2013, en parallèle du CIR, un crédit impôt innovation (CII) a été créé à destination des PME. Celui-ci leur permet de bénéficier d’un crédit d’impôt de 20 % des dépenses nécessaires à la conception et/ou à la réalisation de prototypes ou d’installation d’un produit nouveau. Le dispositif jeune entreprise innovante (JEI) lancé en 2004 propose quant à lui des exonérations de cotisations sociales pour les PME de moins de 8 ans qui consacrent au moins 15 % de leur chiffre d’affaires à la R&D. En 2013, 3100 PME ont bénéficié de ce système.

3.     Les performances du système français restent perfectibles

La France affiche des performances moyennes s’agissant du volume de ses activités de R&D avec un niveau de dépense intérieure de R&D par rapport au PIB de 2,2 % en 2015 (moyenne de 2,1 % dans la Zone euro). Ce niveau est inférieur à l’objectif de 3 % fixé lors des sommets européens de Lisbonne en 2000 et de Barcelone en 2002. L’intensité en R&D de la France a légèrement augmenté ces dernières années malgré les effets négatifs de la désindustrialisation et de l’évolution vers une économie de services. En effet, la part des services dans la valeur ajoutée est passée de 72,7 % à 78,7 % en France entre 1995 et 2014. L’OCDE note que la France investit moins en R&D que ses compétiteurs et notamment l’Allemagne. Une des raisons qui peut être avancée est que la France apparait plus compétitive dans les secteurs peu intensifs en R&D comme le luxe ou l’agroalimentaire, et que la taille du secteur manufacturier en France est relativement réduite (11 % du PIB en 2014 en France contre 23 % en Allemagne).

Comme le note l’OCDE, l’intervention publique en France est très présente à tous les niveaux de la chaîne de production, de la création d’un écosystème pour le développement d’entreprises innovantes au financement de projets. Pourtant, cette forte intervention ne semble pas se refléter dans les performances de la France. Ces résultats en deçà des espérances peuvent s’expliquer par la présence de nombreux freins au développement d’innovations : le manque d’ouverture ou de flexibilité sur le marché du travail et les marchés des produits, une fiscalité sur les entreprises lourde, complexe et qui subit régulièrement des changements d’une année sur l’autre ou les difficultés d’accès au financement pour les entreprises. Sur ce dernier point, il apparait que les financements en capital-risque sont difficiles à obtenir en phase d’amorçage alors qu’à l’inverse ils sont abondants en phase d’expansion (à ce sujet voircet article). De manière générale, l’OCDE estime que l’intervention publique en France n’est pas toujours cohérente et que la multiplicité des dispositifs ne permet pas une orientation stratégique.

Il n’y a pas de consensus parmi les pays développés sur le choix optimal des instruments de soutien à l’innovation. Dans certains pays comme la France, le Canada ou la Corée du Sud, les incitations fiscales prédominent alors qu’en Allemagne, en Suède ou en Finlande, un système basé sur les aides directes (subventions) est privilégié. Ces pays font pourtant tous partie du groupe des pays à forte intensité en R&D. On constate néanmoins depuis une vingtaine d’années, une augmentation du nombre de pays ayant recours à l’instrument fiscal. La France reste le pays le plus généreux pour ce type d’instrument (0,26 % de son PIB), alors que le Canada arrive en deuxième place avec 0,21 %.

Le système de soutien à l’innovation en France a fait l’objet de plusieurs évaluations. Les études se sont cristallisées autour du CIR, qui représente une part très importante des aides (5,5 milliards € sur 8,5 milliards €). Depuis la réforme de 2008 qui a rendu le CIR plus accessible grâce à une simplification administrative, le nombre de PME bénéficiant du CIR a fortement augmenté. Néanmoins, la part des entreprises innovantes reste sensiblement inférieure pour les PME (moins de 250 salariés) que pour les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises (voir graphique ci-dessous). Les études qui ont été menées pour évaluer si le crédit octroyé aux entreprises se substituait à des dépenses de R&D ou s’il permettait d’augmenter effectivement les dépenses de R&D concluent pour la plupart à un effet d’addition des aides aux dépenses de R&D. Autrement dit, un euro d’aide entraine au moins un euro de dépense de R&D. Par ailleurs, la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) créée en 2014, soutient et coordonne différents travaux de recherche en cours pour évaluer les effets globaux du système de soutien à l’innovation.

Conclusion

La France dispose d’un système de soutien public à l’innovation pour les entreprises qui a évolué vers une plus grande fragmentation avec l’apparition de nouveaux acteurs. Le soutien à l’innovation indirect, par le biais du crédit impôt recherche, est devenu au cours du temps le principal outil des pouvoirs publics tandis que la part des soutiens directs (subventions, aides, prêts) a diminué. Enfin une meilleure coordination et lisibilité des dispositifs pourrait permettre d’améliorer les performances de la France.

Bibliographie :

-          Quinze ans de politiques d’innovation en France, rapport de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation. Janvier 2016.

-          L’innovation en France, indicateurs de positionnement international. Edition 2016.

-          Impact de la réforme de 2008 du CIR sur la R&D et l’innovation. Bozio

-          Evaluation de l’impact des aides directes et indirectes à la R&D en France, Lhuillery, Marino, Parrotta. 2013

-          Examens de l’OCDE des politiques d’innovation. France 2014.


[1] L’OCDE définit l’innovation dans le manuel d’Oslo comme« la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production) nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures ».

Diplômé de l’École Normale Supérieure Paris-Saclay et de l’École d'économie de Toulouse, Alexis prépare actuellement une thèse à Helsinki sur les enjeux de l'innovation dans le secteur de la santé. Auparavant, il a travaillé comme économiste à la Direction Générale du Trésor au sein du Service économique de l'Ambassade de France en Finlande.

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