BCE : Chronique d’une prolongation annoncée (Note)

Actualité : La réunion de politique monétaire de la BCE le 8 décembre sera un rendez-vous majeur. L’autorité monétaire devrait en effet procéder à un ensemble d’annonces concernant l’évolution de sa politique monétaire en 2017.

Pourquoi la BCE doit-elle annoncer de nouvelles mesures le 8 décembre prochain ?

Trois facteurs devraient pousser la BCE à ajuster sa politique monétaire.

En premier lieu, son programme d’assouplissement quantitatif (QE) est appelé à durer « jusque fin mars 2017 ou au-delà si nécessaire ». Or l’inflation, attendue autour de 1,3 % en milieu d’année prochaine, devrait rester largement en-deçà de l’objectif en 2017, ainsi qu’en 2018. Une prolongation du QE semble donc requise, d’autant plus qu’à l’approche de mars 2017, une absence d’annonce de la part de l’institution de Francfort aurait pu susciter des tensions sur les marchés et provoquer un resserrement indésirable des conditions financières.

Deuxièmement, la BCE doit modifier les paramètres de son QE pour en assurer la soutenabilité. Elle risque en effet de se retrouver confrontée dès la mi-2017 à une pénurie de bons du Trésor éligibles à l’achat, notamment pour l’Allemagne, la Finlande et le Portugal, du fait des contraintes dont le QE est assorti (interdiction d’achat de titres dont le rendement est inférieur au taux de dépôt, limite de 33 % par émission et émetteur souverain et ventilation des achats selon la clef de répartition du capital). La remontée récente des taux a certes permis de réduire la part des titres souverains dont le rendement est inférieur au taux de dépôt. Elle a néanmoins entraîné une baisse des cours de ces titres, permettant à la BCE d’acquérir un montant nominal supérieur pour un même volume d’achat, au risque d’atteindre les limites plus rapidement. Les achats de la BCE sont d’ailleurs élevés en comparaison avec les émissions. Ainsi, au rythme actuel, l’Eurosystème est en train d’acquérir quelque 190 milliards €  par an de titres allemands, dont près de 130 milliards €  de dette souveraine. En comparaison, les émissions allemandes devraient être de 154 milliards € en termes bruts et de - 16 € en termes nets en 2016. Ceci aggrave la pénurie d’actifs sans risque dans un contexte d’excès de demande pour ce type de titres[1] .

Enfin, les bénéfices de l’hétérodoxie monétaire tendent à être décroissants, contrairement à leurs coûts. Les taux d’intérêt négatifs et l’aplatissement phénoménal des courbes ont pénalisé la profitabilité des banques et alourdi le coût de leurs fonds propres. Ils constitueraient une menace pour la stabilité bilancielle des assureurs et caisses de retraite s’ils en venaient à perdurer. La BCE devra ajuster sa politique de telle sorte à en minimiser les retombées pernicieuses et en améliorer la transmission.

Sources : Bloomberg, PBF, BSI Economics

Sources : Bloomberg, PBF, BSI Economics

Que pourrait annoncer la BCE le 8 décembre prochain ?

Il serait optimal pour l’autorité monétaire de chercher à maintenir un niveau exceptionnel de soutien monétaire sur  2017, tout en maximisant la flexibilité de son QE et en minimisant ses effets secondaires. Dans cette perspective, la BCE devrait :

1.      Renforcer la « forward guidance » : Pour éviter tout accès de volatilité, Mario Draghi devrait tenir un discours très accommodant et renforcer la« forward guidance » pour rassurer les marchés quant au maintien du soutien monétaire.

2.      Maintenir les taux de référence constants : Il semble aussi très probable que les taux de référence qui ont atteint un « plancher économique » soient maintenus à leurs niveaux actuels, et qu’ils ne soient plus abaissés à défaut d’un choc d’envergure sur la croissance, l’inflation ou le change.

3.      Renforcer le « credit easing » : Cette stratégiepourrait être accentuée, pour stimuler une dynamique de crédit encore hésitante, à travers par exemple une prolongation des opérations de TLRO au-delà de mars 2017, un rallongement de leur maturité, ou l’intégration des prêts immobiliers dans le calcul du benchmark.

4.      Prolonger le QE : Il est probable que le QE soit prolongé de 6 mois, voire de 9, jusqu’en décembre 2017, soit au lendemain des élections allemandes La BCE devrait chercher à faire durer sa présence sur les marchés qui a valeur d’assurance pour les investisseurs (le fameux « Draghi put »), notamment dans une année où les échéances électorales sont nombreuses. Ceci aura le mérite de continuer à réduire le coût de la dette souveraine pour des Etats dont l’endettement reste stratosphérique, et d’alléger le besoin pour des mesures d’ajustement budgétaire.

Comment les paramètres du QE seraient-ils modifiés ? 

1.      La clef de répartition : Un abandon de la règle de ventilation actuelle semble difficile compte tenu de la configuration institutionnelle de la zone euro. Par contre, la BCE pourrait s’autoriser des écarts ponctuels par rapport à cette clef de répartition.

2.      Le taux de dépôt : Des achats ponctuels en-deçà du taux de dépôt semblent davantage probables qu’un abandon de cette règle qui pourrait pousser les taux courts à la baisse en supprimant le plancher indicatif.

3.      La limite d’achat : Une hausse de la limite d’achat à 50 % pour les émissions non assorties de clauses d’action collectives (CACs) ou les émetteurs notés AAA semble également probable.

4.      Autre mesures : La BCE a fait preuve d’une capacité d’innovation significative. La probabilité de mesures non anticipées reste élevée. Certaines options exotiques comme l’acquisition de dettes bancaires ou le ciblage des taux, à la BoJ, semblent très difficiles dans la configuration institutionnelle actuelle de la zone euro.

La réduction du montant des achats est-elle probable ?

Les ajustements techniques et la remontée des taux devraient permettre à la BCE de gagner du temps. Néanmoins, une réduction du montant, le fameux « tapering » semble probable pour deux raisons :

1.      Le degré de soutien monétaire non-conventionnel justifié par une inflation nulle n’est pas celui que nécessite une inflation légèrement supérieure à 1 %.

2.      L’arbitrage bénéfices-coûts de la politique monétaire non-conventionnelle plaiderait pour une réduction de l’intensité du soutien.

Néanmoins, un « tapering » qui dit son nom pourrait induire un resserrement indésirable des conditions financières. Mais la BCE a une capacité d’innovation très étendue. Ainsi, un éventuel « tapering » pourrait être contrebalancé par le remplacement de l’approche calendaire du QE (« jusqu’en mars 2017 ») par une approche « data dependent » (jusqu’à ce que l’inflation atteigne X %), un procédé similaire à celui de la Fed. La BCE pourrait aussi procéder à un « tapering » déguisé. Par exemple, elle pourrait intégrer le réinvestissement des tombées de son portefeuille qui devraient intervenir à partir de mars 2017 dans l’enveloppe globale des achats. Elle pourrait également supprimer la référence à un montant mensuel et le remplacer par une enveloppe annuelle dont l’exécution sera modulée en fonction de l’évolution des données ou des conditions de marché. Une forme de réduction du montant des achats pourrait intervenir dès décembre. Mais il est également possible que la BCE reporte cette annonce à janvier ou mars 2017, pour éviter tout accès de volatilité sur les marchés. Est-ce que ces derniers ont déjà intégré cette éventualité dans la formation des prix ? Rien n’est moins sûr, d’où la difficulté de l’exercice de communication auquel doit se livrer la BCE en décembre, comme au cours des prochains mois.


[1] Voir Safe Asset Scarcity and Aggregate Demand, Caballero, Farhi et Gourinchas, janvier 2016, https://ideas.repec.org/a/aea/aecrev/v106y2016i5p513-18.html

Titulaire d’un magistère en Banque-Finance-Assurance et d’un master en Economie internationale et Développement de Paris Dauphine, Mahmoud Harb évolue actuellement dans la gestion d’actifs comme économiste et enseigne l’analyse conjoncturelle en Master 2 à Paris Dauphine. Il a travaillé comme économiste en banque d’investissement et au Programme des Nations Unies pour le Développement et a enseigné la macroéconomie et les finances publiques dans plusieurs universités. Ses principaux sujets d’intérêts portent sur les marchés de taux, la théorie du cycle, la politique monétaire, le risque pays et les liens entre croissance et développement financier.

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