Faut-il s'inquiéter pour les énergies renouvelables ? (Partie 2) (Note)

Faut-il s’inquiéter pour les énergies renouvelables ?

Partie 2: les énergies renouvelables sont-elles une alternative « crédible » aux énergies fossiles ?

Résumé :

·         Le développement du secteur des énergies renouvelables est clairement sur une pente ascendante, la baisse constante de leur coût de production les rendant de plus en plus compétitifs vis-à-vis des énergies fossiles (charbon et gaz naturel) – et ce, même en l’absence de subventions publiques ;

·         De plus, les énergies vertes ne subissent pas la volatilité des prix ni les incertitudes propres aux énergies fossiles (pétrole en particulier) ; en revanche, elles bénéficient d’un soutien politique fort au lendemain de la COP21, ainsi qu’une croissance amorcée sur les marchés en développement ;

·         Toutefois, l’absence de visibilité à long-terme sur les prix comme sur les quantités de pétrole disponibles doit nous inciter à considérer le développement des énergies renouvelables comme un processus de long terme.

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Version française

Au sein de la première partie de cet article, nous avons montré qu’il n’existe pas de lien observé entre les prix du pétrole et le développement des énergies renouvelables, et que par conséquent la transition énergétique n’est pas censée être « ralentie » par de faibles prix du pétrole. Toutefois, nous pouvons aller plus loin en nous demandant si la transition énergétique pourrait être tout simplement ralentie par les énergies fossiles – et ce quel que soit leur prix. Une étude des avantages comparatifs de chaque type d’énergie (coût, rendement, disponibilité, enjeux géopolitiques, etc.) est alors nécessaire afin de déterminer si les énergies renouvelables sont une alternative crédible aux énergies fossiles, et si leur développement sur le long terme peut s’envisager de manière positive.

Les renouvelables deviennent structurellement de moins en moins chers

Le coût de construction de leurs installations a toujours été le plus gros obstacle à leur développement jusqu’à présent, pesant inévitablement sur les investissements dans le secteur. Cependant, le développement de nouvelles technologies (« smart grids », nouvelles techniques de conversion de la biomasse ou de stockage de l’électricité), la forte démonstration de soutien des régulateurs (normes de portefeuilles renouvelables, crédits d’impôt, tarifs de rachat,…) et la concurrence accélérée entre les acteurs, représentent autant de facteurs encourageant une croissance rapide des énergies renouvelables.

En conséquence, d’après la société de consulting McKinsey et le US National Renewable Energy Laboratory (NREL), le coût de l’énergie éolienne a chuté de 58 % depuis 2009, grâce à des matériaux moins chers et à une meilleure efficience[1]  . Pour ce qui est du solaire, le coût des systèmes photovoltaïques résidentiels et commerciaux a chuté à un rythme de 6 à 7 % par an entre 1998 et 2013, allant même jusqu’à 12 à 15 % par an entre 2012 et 2013. Si ce rythme se poursuit, d’après l’étude, les renouvelables seront compétitifs avec les énergies fossiles dès 2020 dans la majorité des états américains.

Un autre facteur de confiance pour le développement du secteur est que des améliorations en termes de coûts et d’efficience des énergies renouvelables sont encore largement attendues dans le futur, là où les technologies d’extraction et de transformation des énergies conventionnelles (pétrole, gaz et charbon) ne connaissent que peu d’innovations, dans un secteur faisant face à des régulations de plus en plus strictes qui font augmenter ses coûts. Concernant les énergies renouvelables, les économies d’échelle (particulièrement sur les « soft costs » comme les systèmes de permis, les accords de licence et la maintenance) et les dérégulations de marché (ex : baisse des droits de douane sur les modules fabriqués en Chine) devraient diminuer efficacement les coûts.

Dans son rapport Levelized Cost of Energy Analysis 9.0[2] , le leader des services financiers Lazard affirme donc logiquement que malgré d’importantes baisses dans le coût des énergies fossiles, certaines technologies renouvelables (éolien et solaire en premier lieu) continuent d’être compétitives dans certains scénarios, sans même prendre en compte les externalités environnementales et sociales, ni même les subventions publiques. Cette compétitivité vient du fait que l’analyse typique coût-bénéfice de long-terme d’une installation de production d’énergie correspond à la production énergétique sur la durée de vie de l’installation. Sur ce point, les coûts futurs des renouvelables vont continuer à diminuer, du fait entre autres de l’impossibilité matérielle de leur pénurie. Les énergies renouvelables comme le solaire sont même déjà nettement plus compétitifs[3] que les énergies fossiles dans les quelques marchés (essentiellement au Moyen-Orient et au Japon post-Fukushima) où une proportion non-négligeable de l’énergie est produite via des dérivés du pétrole (seulement 5 % à l’échelle mondiale). Le rapport 2014 de la International Renewable Energy Agency (IRENA) va également dans cette direction[4] , en concluant que le coût de générer de l’énergie renouvelable est maintenant égal ou inférieur à celui des énergies fossiles dans de nombreuses parties du monde, et restera financièrement compétitif même si les prix du pétrole restent faibles.

Un rapport optimiste de Bernstein Research résume ces observations en affirmant que, contrairement aux énergies fossiles qui reposent sur une industrie extractive où les coûts ne sont voués qu’à croître, les énergies vertes sont une technologie au sein de laquelle les coûts sont voués à décroitre. Si aujourd’hui les parts de marché des deux industries sont comparables, celles des énergies renouvelables seront donc amenées à augmenter comparées à leurs concurrentes fossiles[5] . De nombreux investisseurs voient aujourd’hui dans les énergies renouvelables une opportunité de marché – indépendamment de l’évolution (imprédictible) du prix du pétrole – les baisses de coûts auto-entretenues ainsi que leurs avantages spécifiques pour les investisseurs (voir ci-dessous) montrant que nous sommes au bord d’un « point de bascule »[6] des énergies renouvelables, qui commencent seulement à révéler leur plein potentiel.

La situation actuelle des prix du pétrole peut même être particulièrement propice aux énergies renouvelables, comme le résume Angus McCrone, analyste senior au sein de Bloomberg New Energy Finance affirme également que la situation actuelle est particulièrement propice pour les énergies vertes : « Il y a une autre conséquence à la baisse des prix du pétrole. Un pétrole bon marché devrait être un stimulant  pour la confiance des consommateurs et la croissance économique dans les régions importatrices comme l’Europe, l’Inde, le Japon et la Chine. Ceci pourrait, à son tour, stimuler la demande d’énergie, réduire les préoccupations politiques en matière de facture énergétique, et augmenter le potentiel pour de nouveaux investissements dans les énergies renouvelables »[7] .

Les énergies renouvelables possèdent également de nombreux attraits pour les investissements et placements de portefeuille

En effet, pour les investisseurs cherchant à constituer un portefeuille robuste en énergies, les énergies renouvelables ont pour avantage de comporter moins d’incertitudes du fait que leur prix est voué à diminuer à moyen et à long terme. Lié principalement à une demande soutenue des consommateurs (qui n’est pas vouée à diminuer, les marchés émergents en particulier montrant de plus en plus d’intérêt) et des initiatives politiques ambitieuses (avec un coup d’accélérateur suite à la COP21), le prix des énergies vertes est nettement plus « prévisible » et moins « risqué » que celui du pétrole.

Au contraire, les énergies fossiles – pétrole en premier lieu – sont extrêmement variables et imprévisibles (à court terme, une part importante du prix du pétrole dépend des décisions politiques des producteurs de pétrole, et à long terme personne ne peut prédire quand le « peak oil » va survenir). Le principal problème avec les prix du brut est qu’ils ne dépendent pas seulement de la loi de l’offre et de la demande, mais également des changements politiques et sociaux au sein des pays producteurs (au cours des 20 dernières années, le prix du baril est ainsi passé d’un minimum de 16 USD en décembre 1998 à un maximum de 143 USD en Août 2008). Cette incertitude amène à un manque de précision dans les projections des futurs prix du pétrole. De même, les conséquences économiques de cette volatilité et des incertitudes qui en découlent peuvent être importantes : à court terme, il y a peu d’options pour réduire la consommation de pétrole[8] , ce qui peut causer d’importantes distorsions économiques dans le cas d’oscillations brutales du prix du brut : décalages des investissements, nouvelles allocations des ressources, chute des dépenses de consommation et de l’emploi. Ces incertitudes, ajoutées au désir étendu d’indépendance énergétique (voir plus bas), encouragent de nombreux Etats à accélérer leur transition vers des énergies propres, et les investisseurs à s’orienter vers les énergies propres (cela se voit notamment par le développement récent de nouveaux véhicules financiers attractifs, notamment les « YieldCos » qui acheminent des dividendes vers des investisseurs dans des projets d’exploitation de renouvelables, et qui cumulent maintenant plusieurs centaines de milliards USD[9] ).

La situation actuelle rend les choses plus difficiles encore pour les acteurs du pétrole, du fait que le prix bas du pétrole (et donc la rentabilité annoncée amoindrie des projets de forage et d’exploration) les force à trouver des moyens d’en réduire les coûts de production et freine les projetscoûteux dans le secteur (pétrole de schiste, sables bitumeux, offshore,…). D’après la société de conseil en énergie Wood Mackenzie, environ 200 milliards USD d’investissements dans des projets pétroliers et gaziers auraient ainsi été ajournés depuis le début de la chute des prix du pétrole. Des innovations technologiques (entrepôts virtuels pour suivre les stocks, technologies numériques telles que l’identification par fréquence radio ou l’utilisation de drones,…) sont développées afin d’améliorer l’efficience au sein de ces industries. L’avantage de tous ces éléments pour le secteur des énergies renouvelables est qu’il peut bénéficier de ces avancées technologiques au sein de ses propres processus de production. Un pétrole et un gaz bon marché peuvent même aider au développement des énergies renouvelables via les coupes dans les subventions à la consommation des énergies fossiles que de nombreux gouvernements ont pris l’opportunité d’appliquer quand les prix du pétrole ont diminué. Lorsque les prix du pétrole ré-augmenteront, ces coupes vont donc donner un avantage comparatif aux énergies propres.

Cependant, le principal risque pour investir dans les énergies propres reste celui d’un ralentissement du soutien gouvernemental dans ce secteur, du fait que les Etats restent les plus gros investisseurs dans les énergies vertes. En Grande Bretagne, suite aux élections parlementaires de mai 2015, une décision de supprimer les subventions dans le solaire et la biomasse a conduit à un ralentissement majeur des investissements privés dans ces secteurs. L’exemple britannique montre bien que le développement des énergies renouvelables peut être menacé par les risques politiques. Toutefois, ces risques de retrait de la question écologique des agendas politiques sont de moins en moins présents, l’enjeu climatique étant de plus en plus publiquement considéré comme une priorité globale, les engagements globaux comme la récente COP21 sont à ce titre caractéristiques.

De nombreuses lois sont mises en place afin d’encourager le développement de nouvelles formes d’énergies, et en contrepartie, les énergies fossiles sont de plus en plus pénalisées par les régulateurs (notamment via les mécanismes de tarification du carbone). L’exemple de l’accord USA-Chine sur le changement climatique (les Etats-Unis s’engagent à émettre 26 à 28 % de carbone en moins en 2025 comparé à 2005, et la Chine s’engage à ce que les sources d’énergie propres comptent pour 20 % du mix énergétique en 2030 comparé à moins de 5 % actuellement) montre bien que de nombreux pays s’engagent irrémédiablement vers des politiques plus « vertes », quelle que soit l’évolution future des prix du pétrole. La période actuelle de faibles prix du pétrole est même vue comme une opportunité par de nombreux politiciens et régulateurs pour mettre en place des mécanismes de « taxe-carbone » du fait que celle-ci serait amortie par la faiblesse des prix du pétrole.

Conclusion

Les énergies renouvelables n’ont pas souffert de la chute des prix du pétrole, principalement du fait que ces deux produits n’évoluent pas sur les mêmes marchés, donc leurs prix n’ont aucune raison d’être liés (voir première partie). Les énergies vertes sont mêmes sur une pente croissante, leur développement sur les marchés émergents (Asie et Moyen-Orient en particulier[10] ), un soutien politique fort avec des perspectives d’indépendance énergétiques, des coûts décroissants et une prévisibilité des prix qui leur permet de se protéger contre les potentielles incertitudes de marché, les rendant de plus en plus profitables et compétitives comparées aux énergies fossiles.

Cependant, il convient d’être prudent dans ces perspectives qui se veulent dorées pour les énergies renouvelables lorsque le pétrole viendra à manquer. Sans compter les nouvelles techniques d’extraction, il y a assez de réserves connues de pétrole pour les 50 prochaines années, et le gaz et le charbon sont encore plus abondants. Le tant redouté « peak oil » (pénurie de pétrole) n’est peut-être donc pas pour demain. Pour résumer, la transition vers des énergies renouvelables doit être vue comme un processus de long-terme, mais leur résistance à la chute des prix du pétrole est un signe plus qu’encourageant à leur développement futur. Sachant que les pays signataires de la COP21 se sont accordés sur une limitation du réchauffement climatique à un maximum de 1,5°C d’ici à la fin du siècle[11] , ce développement apparait plus que comme une nécessité.


[1] http://www.mckinsey.com/industries/oil-and-gas/our-insights/lower-oil-prices-but-more-renewables-whats-going-on

[2] https://www.lazard.com/media/2390/lazards-levelized-cost-of-energy-analysis-90.pdf

[3] https://www.theguardian.com/sustainable-business/2014/nov/10/crude-oil-texas-renewable-energy-solar-biomass

[4] http://www.irena.org/DocumentDownloads/Publications/IRENA_RE_Power_Costs_2014_report.pdf

[5] http://www.cnbc.com/2014/12/04/will-oils-drop-hurt-renewable-energy.html : « Les énergies renouvelables sont une technologie. Dans le secteur des technologies, les coûts vont toujours en décroissant. Les énergies fossiles sont extraites. Dans le secteur des énergies extractives, les coûts vont (quasiment) toujours croissant. […] Les coûts par unité d’énergie dans les secteurs des renouvelables et des énergies fossiles sont désormais plus ou moins comparables dans de nombreux marchés, mais ils vont dans des directions opposées. Les technologies nouvelles et supérieures ne partagent pas leurs marchés avec des technologies anciennes et inférieures »

[6] http://www.greentechmedia.com/articles/read/tipping-over-the-oil-barrel

[7] https://about.bnef.com/press-releases/oil-price-plunge-clean-energy-real-impact/

[8] http://www.forbes.com/sites/manishbapna/2015/09/02/4-reasons-why-low-oil-prices-mean-its-time-to-shift-to-renewable-energy/2/#1b01ec78d7e0

[9] http://fortune.com/2015/09/05/oil-prices-renewable-energy-yieldcos/

[10] http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-01-09/clean-energy-investment-jumps-16-on-china-s-support-for-solar

[11] http://fusion.net/story/130014/yes-falling-oil-prices-are-derailing-the-future-of-renewable-energy/

Diplômé du Master Diagnostic Economique de l'Université Paris-Dauphine, Sacha travaille actuellement en tant qu’économiste chez IHS Markit, après des expériences d’assistant de recherche en finances publiques internationales au sein d'une agence de notation financière, et d’économiste assistant au sein du service des études économiques de Crédit Agricole SA. Ses centres d'intérêt portent sur l'économie de l'environnement ainsi que sur les problématiques relatives au développement et au risque pays.

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