Pourquoi l’EURIBOR a perdu de son sens depuis la crise

Pourquoi l’EURIBOR a perdu de son sens depuis la crise

L’EURIBOR (Euro Interbank Offered Rate - taux offert sur le marché interbancaire) est un taux qui sert de référence pour de nombreux produits financiers et qui est employé par une grande majorité de professionnels de banques ou académiques. Très souvent, on l’interprète de la manière suivante : il serait le taux auquel les banques pourraient emprunter sur les marchés (sans garantie). Ce billet (basé sur un article académique récent) explique que cette interprétation était assez juste avant la crise, mais ne l’est plus depuis. Après la crise de 2008, l’EURIBOR s’est déconnecté des taux auxquels la grande majorité des banques en Zone Euro pouvaient effectivement emprunter de manière non sécurisée: ce taux n’est devenu représentatif que pour une poignée infime de banques, et a donc par conséquent perdu beaucoup de son sens comme taux de référence.

Ce qu’est l’EURIBOR exactement

L’EURIBOR est un taux dont le calcul est basé sur un sondage dans lequel un panel de banques représentatives (20 seulement aujourd’hui, listées ici) déclarent à quel taux elles seraient prêtes à prêter à une banque « de premier choix ». L’EURIBOR est la moyenne des taux qui ont été annoncés lors de ce sondage. Le fait que les banques « de premier choix » soient concernées fait que l’on surnomme parfois l’EURIBOR le « meilleur taux pour les meilleurs banques ».

L’EURIBOR était un bon indicateur des conditions de financement des banques avant la crise, ce n’est plus le cas depuis 2008

Avant la crise, les conditions de financement étaient très homogènes: le marché concevait les banques comme peu porteuses de risque et par conséquent les taux auxquels quasiment toutes les banques pouvaient emprunter sans garantie étaient très proches de l’EURIBOR.

La crise de 2008 a complètement changé la donne. Les banques sont depuis perçues comme beaucoup plus risquées. La figure 1 (de Pinter et Boissel (2016)) montre la moyenne des Credit Default Swaps (CDS) des 10 banques perçues comme les plus risquées ainsi que la moyenne des CDS des 10 banques perçues comme les moins risquées parmi un échantillon de 40 grandes banques européennes. Si avant la crise il n’y avait quasiment aucune différence entre le risque des 10 premières et le risque des 10 dernières (tel que perçu par le marché), depuis 2008 la différence a explosé. Pire, même la moyenne des CDS des 10 banques perçues comme les « moins risquées » s’est significativement éloignée de 0. Autrement dit, les banques perçues comme «  sans risque » sur lesquels s’appuie implicitement le sondage de l’EURIBOR ne sont maintenant qu’une minorité infime de banques (voir aussi l’excellent article de Taboga (2014) sur ce point).

Figure 1: CDS des 10 banques les plus risquées versus CDS des 10 banques les moins risquées

Source : Pinter et Boissel (2016, Economics Letters)

Un indicateur alternatif à l’EURIBOR

Partant de ce constat, une nouvelle étude (Pinter et Boissel, 2016, Economics Letters) a construit un indicateur alternatif à l’EURIBOR. L’indicateur, construit pour 40 banques pour 6 grands pays de la zone Euro, se base sur la simple relation suivante :

Taux d’intérêt pour emprunt sans risque = taux sans risque + prime de risque + prime de liquidité

En prenant en compte ces composantes pour chacune des banques, l’indicateur donne en temps réel une idée beaucoup plus précise que l’EURIBOR sur le taux auquel une banque pourrait emprunter. En agrégeant ces données au niveau national, on se rend compte à quel point l’EURIBOR a considérablement sous-estimé les taux auxquels les banques pouvaient théoriquement emprunter ces 8 dernières années, notamment pour les pays de la périphérie (Figure 2).

Figure 2: EURIBOR versus véritable coût de financement -non sécurisé- (Index de Pinter & Boissel (2016)) pour Italie et Espagne:

Conclusion

L’EURIBOR est devenu dans le monde d’après crise le taux auquel seule une poignée de banques peut emprunter sans garantie, autrement dit l’EURIBOR est devenu un indicateur déconnecté des conditions de financement de la très grande majorité des banques en Zone Euro. A l’heure où en Allemagne ou en Italie certaines banques ordinairement réputées comme sûres deviennent elles aussi perçues comme risquées, il est fort probable que l’EURIBOR ne retrouve pas sa pertinence d’avant crise avant quelques années encore...

Julien Pinter

  @JulienP_BSI

Sources et compléments:

Julien Pinter, Charles Boissel, The Eurozone deposit rates’ puzzle: Choosing the right benchmark, Economics Letters, Volume 148, November 2016, Pages 33-36. (http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0165176516303536

(version longue en CES Sorbonne Working paper ici)

Taboga,   M.   (2014): What  is  a  prime  bank?  A  Euribor-OIS  spread  perspective. International  Finance,  2014,  vol.  17,  pp.  51-­75.

Julien Pinter est chercheur en Economie monétaire à l'Université de Minho. Il était auparavant chercheur invité à l’Université de Harvard et à la Charles University de Pragues. Il est docteur diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur des questions liées aux politiques monétaires, aux régimes de change et à la communication des banques centrales. Il a des expériences de travail à la Banque Centrale Européenne et à la Banque de France en particulier. Il a été visiting researcher à l'Université d'Amsterdam, a travaillé à l'Université de Bruxelles Saint-Louis et étudié à l'Université de Stockholm.

Dans la même catégorie :

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (2/2) (Note)

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (1/2) (Note)

Standard Post with Image

Les Enjeux du Commerce International du Plastique : Défis et Perspectives

Standard Post with Image

Budget européen : vers une évolution, pas une révolution (Policy Brief)