Bonus-Malus AGIRC-ARRCO : quelle solution choisir ? (Note)

Résumé :

·       L’accord national interprofessionnel sur les régimes de retraite complémentaires AGIRC-ARRCO signé par les partenaires sociaux le 30 octobre 2015 prévoit la mise en place d’un système de bonus-malus (appelé coefficient de solidarité) ;

·       En effet, face aux déficits enregistrés ces dernières années et aux réserves qui s’épuisent, la volonté des signataires est d’assurer la pérennité financière du régime de retraite complémentaire via, entres autres, un encouragement à la poursuite d’activité ;

·       Devant les différentes possibilités qui lui sont offertes, un salarié souhaitant recourir au choix le plus intéressant financièrement, toutes choses égales par ailleurs, devrait opter pour un départ à la retraite à taux plein le plus tôt possible.

L’ensemble des salariés a l’obligation de cotiser à deux régimes de retraites par répartition. Le premier, appelé « régime de base » est une branche de la Sécurité Sociale gérée par l’Etat. Le second défini comme un régime de retraite complémentaire correspond aux régimes AGIRC et ARRCO. Il est placé sous la responsabilité des partenaires sociaux (syndicats de salariés et patronaux) et présentant des déficits financiers récurrents. Le régime de retraite ARRCO (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) s’adresse à tous les salariés du secteur privé. Le régime de AGIRC (Association générale des institutions de retraite des cadres), créé dès 1947, complète ce premier uniquement pour les cadres du secteur privé.

En contrepartie des cotisations prélevées automatiquement auprès de leur employeur et finançant les pensions des retraités actuels, chaque salarié acquiert au fur et à mesure de sa carrière professionnelle des droits qu’il exercera à son départ à la retraite.

Dans le cadre des négociations paritaires (menées par les organisations syndicales et patronales),
visant à garantir la pérennité financière du régime AGIRC-ARRCO, un accord national interprofessionnel a été paraphé par les partenaires sociaux (hors FO et CGT) le 30 octobre 2015. Il vise par exemple à fusionner les deux régime de retraites complémentaires (AGRIC et ARRCO) ou à augmenter plus faiblement les pensions des retraités les années futures (mesure appelée « sous-indexation des pensions »).

Le système de bonus-malus

Le présent article consiste à apporter un éclairage sur l’article 12 de cet accord, entrant en vigueur le 1er janvier 2019, et consistant en la création :

·       d’un coefficient de solidarité applicable à tous les salariés retraités remplissant les conditions du taux plein de régime de base[1] consistant à réduire les prestations perçues de 10 % pendant les trois premières années de retraite et au maximum jusqu’à 67 ans. Certains aménagements sont prévus pour les retraités les plus modestes. En effet, ce système de coefficient de solidarité est atténué (les « pénalités » sont diminuées de moitié) pour les retraités bénéficiant d’un taux de CSG[2] réduit. Par ailleurs, il ne s’applique pas aux retraités exonérés de CSG ainsi qu’aux personnes reconnues comme « invalides ».

·       d’une majoration de 10 % de la pension versée par l’AGIRC-ARRCO pendant un an pour les salariés retraités ayant prolongé leur activité professionnelle durant deux années au-delà de la date à laquelle les conditions du taux plein sont remplies dans le régime de base. Si les salariés retraités ont prolongé leur activité professionnelle de trois ou quatre années, la majoration de la pension atteint respectivement 20 % et 30 %.

En synthèse, les impacts de ce nouveau système de « bonus-malus » pour un salarié né le 1er janvier 1957 et disposant de 41,5 années de cotisations (régime à taux plein) au 1er janvier 2019, sont :

Source : BSI Economics

Ainsi, on peut s’interroger sur la meilleure solution rationnelle que pourrait prendre cet individu type toutes choses égales par ailleurs[3] et hors mécanisme de réversion (variable suivant la situation familiale et aux très faibles impacts) via une méthode de valorisation actuarielle de chaque option proposée.

Plusieurs options possibles pour effectuer un choix

Chaque option (départ à la retraite à 62 ans, 63 ans …., 67 ans) est évaluée actuariellement comme étant la somme des flux futurs probabilisés (à l’aide d’une table de mortalité) et actualisés (au taux sans risque pertinent). En effet, d’une part chaque versement futur de retraite est conditionné au fait que le bénéficiaire soit toujours en vie. Il est possible de déterminer à l’aide de statistiques établies nationalement (table de mortalité) la probabilité qu’une prestation de retraite soit versée à chaque âge. D’autre part, l’actualisation (au taux sans risque) vise à prendre en compte la valeur temporelle de l’argent : 1 € d’aujourd’hui ne vaut pas 1 € de demain.

Enfin, il convient de considérer une revalorisation des pensions versées (les mesures de sous revalorisation entérinées dans l’accord du 30/10/2015 s’éteignent après 2018) afin de maintenir le pouvoir d’achat des retraités.

Il est ainsi possible de mesurer actuariellement l’impact financier de la réforme pour le salarié-retraité en question suivant chaque option choisie :

Source :BSI Economics

Plus le départ à la retraite s’effectue tardivement, plus les prestations totales versées par l’AGIRC-ARRCO diminuent (toutes choses égales par ailleurs). En effet, retarder son départ à la retraite implique de ne pas percevoir de pension pendant la période supplémentaire travaillée.
Ce « manque à gagner » n’est compensé que très partiellement par les mécanismes de minoration et majoration des pensions.

Par exemple, un départ à la retraite à l’âge de 63 ans, ne faisant apparaître ni surcote ni décote de la pension, n’engendre aucun versement de la part de l’AGIRC-ARRCO à 62 ans. La diminution des prestations par rapport à la situation sans système de bonus-malus est ainsi d’environ une pension annuelle. Au contraire, une retraite prenant effet à 62 ans implique un versement la première année (et les deux autres suivantes) d’une prestation égale à 90 % de la pension théorique. Il en résulte une « perte » approximative de 30 % (=3 ans x 10 % de minoration) d’une pension annuelle par rapport à la situation sans sytème de bonus-malus.    

Un départ à l’âge de 64 ans engendre le non versement de pension de 62 à 64 ans (soit deux années de rente) non compensé par la majoration de 10 % de la première prestation de rente annuelle d’où une « perte » d’environ 190 % (2 ans * 100 % de pension annuelle – 10 % de majoration) d’une pension annuelle par rapport à la situation sans sytème de bonus-malus.   

L’ensemble des enseignements tirés de ce cas d’étude peut être extrapolé à tous les autre profils (nés après le 1er janvier 1957 et/ou ne disposant pas du nombre d’annuités nécessaire pour un départ à la retraite à taux plein à 62 ans au 1er janvier 2017) impactés par l’article 12 de cette réforme.

Par ailleurs, quelque soit l’option choisie, l’article 12 impacte négativement le montant des pensions versées (toutes choses égales par ailleurs). En effet, le dispositif de coefficient de solidarité et de coefficients majorants n’est actuariellement pas neutre puisque visant à réduire les déficits du régime AGIRC-ARRCO. Effectivement, les partenaires sociaux ont estimé que ces mesures auront un impact positif sur les comptes du régime de 500 millions d'euros en 2020 et 800 millions en 2030.

Conclusion

En conclusion, toutes choses égales par ailleurs, le choix le plus intéressant financièrement de tout salarié concerné par la mise en œuvre future du système de bonus-malus devrait consister à envisager un départ à la retraite à taux plein le plus tôt possible. En effet, retarder son départ à la retraite impliquerait de ne pas percevoir de pension pendant la période supplémentaire travaillée. Ce « manque à gagner » n’est alors compensé que très partiellement par les mécanismes de minoration et majoration des pensions. D’ailleurs, les décideurs (partenaires sociaux) ont bien anticipé ce raisonnement cartésien de la part des individus concernés par cette réforme. En effet, ils ont estimé que près de 95 % des salariés n’allongeraient pas leur activité professionnelle suite à la mise en place de cette mesure, en dépit d’une pension réduite de 10 % pendant trois ans !

Cependant ce choix s’effectue au détriment de l’équilibre financier du régime AGIRC-ARRCO et donc de la solvabilité des pensions futures versées.

Bibliographie :

Accord national interprofessionnel AGIRC-ARRCO

« Les Cahiers études et statistiques » numéro 1, février 2016, AGIRC-ARRCO

Annexes :

*Liste des hypothèses de calcul :


[1] Le taux plein du régime de base est principalement obtenu une fois que le salarié a atteint un certain âge (62 ans par exemple pour la génération 1957) et dispose d’un certain nombre d’années de cotisations (41,5 années par exemple pour la génération 1957). Il permet de bénéficier d’une pension de retraite du régime général de « base », c'est-à-dire sans surcote ni décote.

[2] La CSG (Contribution Sociale Généralisée) est un impôt universel destiné à participer au financement de la Sécurité Sociale

[3] C’est-à-dire sans prendre en compte les éventuels salaires, majorations de pensions du Régime Général, accroissements de points AGIRC-ARRCO et autres avantages acquis en contrepartie d’une prolongation de l’activité professionnelle après l’âge de 62 ans. En effet, tous ces éléments sont obtenus en échange d’un travail et n’entrent ainsi pas en compte dans l’évaluation actuarielle de la meilleure solution.

Actuaire diplômé de l'Institut de Science Financière et d'Assurances et ancien auditeur de l'IHEPS, Romaric dirige une start-up à mission qu’il a fondée. Il enseigne également en master d'actuariat (ISFA). Ses domaines de spécialisation portent principalement sur l'analyse financière, la stabilité financière, les règlementations prudentielles assurantielles (Solvabilité II) et bancaires, la gestion des risques financiers ainsi que la protection sociale.

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