Enjeux du capital-investissement en France (Etude)

Résumé :

·        Les capitaux propres continuent de se renforcer sur la période récente, mais à un rythme plus ralenti que les années précédentes ;

·        Les besoins en fonds propres des entreprises de croissance semblent être relativement bien couverts par le capital-risque ;

·        Les segments risque et développement apparaissent relativement bien développés en France, cependant sur les segments aval et sur des opérations de grande envergure, la France accuserait toujours un retard significatif par rapport aux autres grands marchés ;

·        Il apparaît important de favoriser l’émergence de fonds de de taille plus importante afin de répondre aux enjeux à venir.

Légèrement en berne en 2014, le marché du capital-risque (accompagnement de la croissance d’entreprises innovantes en création ou non encore rentables) a renoué avec la croissance en 2015 (à cet effet, voir un précédent article faisant l’état de lieux du capital investissement en France sur le site de BSI Economics). Cependant, le segment du capital-risque reste largement dépendant de l’intervention publique, sous l’effet de l’action structurante de Bpifrance sur les segments amont du capital-investissement et de la mise en plac d’incitations fiscales favorables au financement des PME, notamment innovantes[1] .

Plusieurs défis demeurent néanmoins encore présents. Nous pouvons notamment citer :

-        L’accompagnement et développement de PME voire d’ETI innovantes[2] : La faible taille des fonds ne leur permet pas d’investir des tickets très importants. Or, les investissements d’envergure en capital-risque/développement technologique en phase « aval » sont une alternative essentielle pour permettre aux entreprises françaises de devenir des leaders mondiales ;

-        L’intégration et l’attractivité du marché européen du capital-investissement : une stratégie transfrontalière permettrait notamment aux gestionnaires de bénéficier d’un flux d’affaires plus large ;

Cette note tente de préciser les enjeux qualitatifs et quantitatifs du marché du capital investissement.

1)    Des besoins en fonds propres des entreprises encore assez difficiles à déterminer

Déterminer le besoin et le déficit éventuel de financement en fonds propres des PME reste difficile puisque si une estimation des besoins suppose d’évaluer simultanément l’offre et la demande de capitaux propres, seule la résultante est observée. Dans son rapport sur le financement des entreprises et de l’économie française[3] , Paris-Europlace estime le besoin en fonds propres intermédié des entreprises françaises autour de 15 Mds € en 2015.

Lorsqu’il est comparé à l’endettement, le niveau de fonds propres fournit une indication sur le degré de robustesse d’une entreprise et sur sa capacité à faire face à des chocs externes. La Banque de France[4] estime les besoins en fonds propres d’une entreprise comme le volume de fonds propres à solliciter pour ramener son endettement à un plafond de 200 % de ses capitaux propres[5] . Cela constituerait ainsi une norme admise pour conclure à la soutenabilité, à moyen terme, de la dette souscrite par cette entreprise. Sur le segment des PME, elle estime un besoin supplémentaire de 19 Mds € au total.

Ce calcul doit être interprété avec précaution puisque, d’une part, certaines spécificités sectorielles et organisationnelles autorisent des niveaux d’endettement soutenable différenciés ; et d’autre part, cette démarche amène à traiter de la même façon des entreprises pourtant très  différentes : des entreprises en difficulté qui ont consommé une part importante de leur fonds propres et des entreprises qui ont un besoin de fonds propres potentiellement élevé (croissance, etc.). Pour celles-ci, outre constituer une garantie des créanciers, le rôle des fonds propres est aussi de financer une partie de leurs investissements.

Plus factuellement, les capitaux propres des PME auraient progressé en moyenne de 10 Mds € par an sur la période 2007-2011. Sous l’hypothèse qu’une part de 50 % de ces fonds propres est accessible aux investisseurs (c.-à.-d. la part du capital non issue des mises en réserve des bénéfices, cf. graph. 1), il ressort qu’un volume d’environ 5 Mds € de fonds propres des PME est accessible à des financements extérieurs, dont le capital-risque et développement.

Les capitaux propres continuent de se renforcer sur la période récente, mais à un rythme plus ralenti que les années précédentes (+2,6 % pour l’ensemble des entreprises en 2013 après +2,8 % et 4 % en 2012 et 2011). La croissance annuelle apparaît plus dynamique pour les PME (+5,6 % après -0,6 %). A noter toutefois la mise en réserve et le report à nouveau joue un rôle plus important dans le renforcement des capitaux propres que le résultat généré. Cette pratique, déjà observée avant la crise, s’est confirmée après, permettant une résilience des fonds propres en moyenne[6] . D’un point de vue prospectif, cette tendance pourrait se poursuivre si les mises en réserve et reports à nouveau seraient concurrencés par d’éventuels versements de dividendes.

Graphique 1 : Variation des capitaux propres des PME et de leurs composantes (2006-2013), en %

2)    Le capital-risque et le capital-développement, à destination des PME de croissance, apparaissent suffisamment provisionnés en France

Une approche normative des « besoins » de financement intermédiés consiste à analyser les taux de pénétration du capital-investissement sur les différents marchés nationaux (mesurés comme les montants investis sur une année donnée rapportés au PIB). Si cette approche ne permet pas à proprement parler d’estimer les besoins de financement des PME, elle permet d’évaluer la marge de progression du capital-investissement en France vis-à-vis de marchés de capital-investissement plus matures (Suède, le Royaume-Uni, les États-Unis et Israël).

Si l’on ne tient compte que des stades amont du capital-investissement (c.-à.-d. hors opérations de transmission, notamment de type LBO) à destination du financement du développement et de la croissance des PME, les écarts de taux de pénétration en France par rapport à d’autres pays généralement considérés comme plus matures en termes de développement du capital-investissement apparaissent peu élevés.

Jusqu’en 2009, la part du capital-innovation et du capital-développement français (0,12 % du PIB en 2009, voir graph. 2) était similaire à celle observée au Royaume-Uni (0,11 % du PIB en 2009), mais inférieure à celle constatée en Suède (0,15 % du PIB en 2009) et aux États-Unis (0,19 % du PIB en 2010). Toutefois, la relative résistance des investissements observée en France contraste avec celle observée dans les autres pays[7] . A partir de 2013, le taux de pénétration du capital-risque et développement observé en moyenne en France (0,13 %) pourrait même ainsi être supérieur à celui observé en Suède (0,08 %) et au Royaume-Uni (0,09 %).

Le besoin en fonds propres des entreprises de croissance semble avoir ainsi été relativement bien couvert par le capital-risque et développement ces dernières années, du fait notamment des dispositifs publics mis en place[8] , notamment pour ce qui concerne les petits tickets (l’investissement moyen est de l’ordre de 2 M€ en 2014).

Graphique 2 : Taux de pénétration du capital-risque et développement[9]

Sources : EVCA, AFIC, NCVA, PwC, Israël : 0,36 % en 2013 et 0,42 % en 2014.

Note : Montants investis sur le marché national en  % du PIB

3)    Des grandes opérations en revanche relativement peu nombreuses en France

Le marché du capital-investissement français dans son ensemble est, relativement à la taille de l’économie française, moins développé que les marchés plus matures précédemment cités. Il est en revanche plus développé qu’en Allemagne. En 2014, le financement du capital-investissement à destination des entreprises françaises représente environ 0,41 % du PIB contre 0,25 % en Allemagne, et respectivement 0,4 % et 1,3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, voire 1,6 % en Israël. Par ailleurs, le taux de pénétration du capital-investissement en Suède a baissé ces dernières années à 0,3 % du PIB en moyenne depuis 2013 contre 0,8 % fin 2011. En montant, l’écart moyen du taux de pénétration français par rapport à la moyenne de ces marchés se chiffrerait à environ 10 Mds € en 2014[10] .

Les segments risque et développement apparaissent relativement bien développés en France. En revanche sur les segments aval[11] et sur des opérations de grande envergure, que la France accuserait un retard significatif par rapport à ces marchés (pour comparaison, l’investissement moyen est de l’ordre de 5,5 millions € / an sur les segments risque et développement aux Etats-Unis en 2014, NVCA)

Les causes avancées pour expliquer ce manque sont à la fois à chercher du côté de la demande et du côté de l’offre pour ce type de financement :

·        Du côté de la demande, le nombre d’entreprises « cible » pour le « gros » capital-innovation (tours de table de l’ordre de 50-100 millions €) serait faible. Certains dirigeants de PME de croissance préfèreraient le rachat et l’adossement à un grand groupe plutôt que la croissance autonome ; d’autres seraient au contraire réticents à se laisser accompagner par le capital-investissement, qui peut engendrer un risque de perte du contrôle de l’entreprise par les dirigeants historiques. Ceci contribuerait in fine au faible nombre d’ETI présentes en France, dont certaines sont aussi des « cibles » potentielles de la partie haute du segment du capital-transmission (opérations en capital de 100 millions € à 1 Md €).

·        Du côté de l’offre pour ce type de financement, la capacité globale d’investissement relativement réduite des fonds nationaux limiterait leur participation à ces opérations d’envergure.

4)    Des enjeux à la fois quantitatifs et qualitatifs

En définitif, les enjeux concernant le capital-investissement en France peuvent être apréhendés de deux manières différentes :

·        Enjeux quantitatifs : Le marché du capital-investissement français à l’image du tissu productif national composé majoritairement de TPE-PME est un marché majoritairement composé de tickets de petites tailles (taille des fonds reçus par les entreprises financées). En 2014, 56 % des entreprises financées ont reçu moins d’1 million d’euros (52 % en moyenne sur la période 2009-2014) et 80 % moins de 3 millions d’euros. Les tickets supérieurs à 15 millions d’euros concernaient seulement 5 % des entreprises en 2014, mais 67 % des montants injectés par les membres de l’AFIC. Il apparaît donc important de favoriser l’émergence de fonds de taille plus importante[12].

·        Enjeux qualitatifs : Sur les segments les plus en amonts le dynamisme est alimenté par la présence d’acteurs publics tandis que sur les phases les plus en aval la présence d’investisseurs, au-delà du seul apport de fonds, constitue un aspect essentiel de la valeur ajoutée par la qualité de l’accompagnement (participation aux choix stratégiques de développement décidés par les entreprises).

Conclusion

Si les segments les plus amonts du capital investissement apparaissent bien couverts en France, soutenant un nombre important d’entreprises (1er marché d’Europe sur celui du capital risque), le financement d’opérations de croissance de grande envergure reste en revanche en deçà des niveaux observés sur des marchés plus matures.

A titre d’illustration, en comparaison internationale, le taux de pénétration du capital investissement reste éloigné des taux observés aux Etats-Unis ou en Israël. C’est donc sur les segments aval, visant à accompagner le changement d’échelle d’entreprises, que la France accuserait un retard significatif par rapport à ces marchés. A cet égard, au-delà du maintien d’une capacité d’investissement suffisante, les principaux enjeux pour le secteur apparaissent aujourd’hui plus qualitatifs (qualité des équipes, taille des fonds, fonctionnement transversal du métier…).


[1] Les dispositifs FCPI et FIP constituent un canal important d’investissement en fonds propres dans les PME en particulier innovantes, en donnant une incitation aux particuliers de souscrire à ces fonds dédiés. En baisse continue depuis 2008 (baisse cumulée de 44 %), la collecte des FCPI et FIP a progressé en 2013 (683 millions € après 628 M€, +9 %).

[2] Le nombre d’ETI avoisine les 5000 en France, contre près de 9000 en Allemagne et 6000 en Italie (source : Crédit Agricole).

[3] « Le financement des entreprises et de l’économie française : pour un retour vers une croissance durable », rapport du groupe de travail FINECO de Paris EUROPLACE, décembre 2012. La méthode utilisée repose une hypothèse de croissance de capital-investissement de 5 % l’an (correspondant au  taux moyen observé entre 2005 et 2008) de 2010 (année de référence) à 2020. Ceci a pour corollaire une augmentation du taux de pénétration du capital-investissement en France pour atteindre à l’horizon 2020 le niveau actuel de celui des pays plus matures.

[4] « Les PME en France en 2011 : malgré une activité bien orientée, la rentabilité stagne et les structures financières demeurent hétérogènes », bulletin de la Banque de France, n°189, 3ème trimestre 2012.

[5] Les capitaux propres correspondent aux fonds en provenance des actionnaires, des réserves et des bénéfices.

[6] Source : Rapport de l’observatoire des entreprises sur la situation économique et  financière des PME (janvier 2014).

[7] Eudeline & al En France, l’investissement des entreprises repartira-t-il en 2014 ? (2014)

[8] i) Appel à projet « incubation et capital-amorçage des entreprises technologiques » lancé en 1998,

ii) La création du Fonds national d’amorçage, issu du programme des investissements d’avenir, vise à poursuivre cette initiative.

iii) La mise en place, à partir de 2013, de la Banque publique d’investissement (Bpifrance) qui a rapidement joué un rôle structurant sur les segments amont du capital-investissement, avec des parts de marché croissantes. Mode d’intervention privilégié de Bpifrance (2/3 de l’actif sous gestion), l’activité de fonds de fonds a permis en 15 ans d’irriguer et structurer le marché français du capital-investissement, en particulier le capital-risque

[9] Ces montants doivent être interprétés avec précaution du fait de différences méthodologiques importantes dans le calcul des agrégats. La définition AFIC du capital-rique est rapprochée de la définition EVCA du venture capital qui regroupe seed, start up, early stage, later stage ; la définition AFIC du capital-développement est rapprochée de la définition EVCA du growth capital. La segmentation américaine est un peu différente : venture capital reprend les segments seed, early stage, expansion, later stage où "expansion" ne correspond pas tout à fait au "développement" de l’AFIC.

Définition NVCA de “expansion stage” : ”the stage of a company characterized by a complete management team and a substantial increase in revenues” ; définition AFIC de “capital-développement” : “the company has reached its breakeven point and create profits. Funds will be used to increase its production capacities and its sales force, develop new products, finance acquisitions and/or increase its working work. Have been included in this stage, financing relay.”

[10] Sur la base d’un taux de pénétration du capital-investissement cible de 1 pt de PIB, soit un investissement proche de 20 Md€.

[11] Qui représente, hors période de crise, 60 % à 80 % du volume du capital-investissement en France. En 2013, seulement 2 opérations de capital-innovation de plus de 15 millions € ont eu lieu sur 469 opérations réalisées et 5 opérations de capital-développement de plus de 30 millions € sur 802 opérations.

[12] Boosting digital startup financing in Europe.

Stéphane Dahmani est Directeur Economie à l’ANIA (Association des industries alimentaires). Auparavant il était économiste, pendant 5 ans, à la Direction Générale du Trésor. Il a notamment eu en charge la réalisation de prévisions macroéconomiques au sein du service des Politiques macroéconomiques et des affaires européennes. Plus récemment, il était le responsable du suivi des entreprises françaises et rapporteur au sein de l’Observatoire du financement des entreprises, auprès de la Médiation du crédit.

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