Quel multiplicateur fiscal doit retenir le FMI pour rendre les politiques de consolidation fiscale plus efficaces?

L’effet des politiques d’austérité sur l’activité économique a t-il été sous-estimé? Le document de travail d’Olivier Blanchard et Daniel Leigh publié en janvier 2013 démontre que les mesures entreprises se sont fondées sur des prévisions économiques sous-estimant l’effet multiplicateur des réformes fiscales.


Dans l'abstract de ce document de recherche, qui reflète uniquement l'avis des auteurs et non pas celui du FMI, les deux auteurs expliquent que les consolidations fiscales (mesures visant à augmenter les recettes fiscales et diminuer les dépenses publiques) ont entrainé une baisse de croissance du PIB plus forte qu'attendue. "We find that, in advanced economies, stronger planned fiscal consolidation has been associated with lower growth than expected, with the relation being particularly strong, both statistically and economically, early in the crisis."


La question principale de l'impact des mesures d'austérité sur la croissance réside dans le choix du multiplicateur fiscal, qui représente la variation du PIB en réponse à une variation de des dépenses publiques. Par exemple, si le multiplicateur fiscal considéré dans le modèle est égal à 0,5, cela signifie qu'une baisse des dépenses publiques de 10 milliards d'euros entraînera une baisse du PIB de 5 milliards d'euros. Si le multiplicateur fiscal est défini comme étant égal à 2, cela signifie qu'une baisse de 10 milliards de dépenses publiques implique une baisse du PIB de 20 milliards.


Le choix du niveau du multiplicateur fiscal a un impact crucial sur la variation du PIB. Toutes choses égales par ailleurs, plus le multiplicateur fiscal est élevé, plus l'austérité aura un impact important sur la croissance de l’activité économique. L’importance de l’impact restant toutefois relatif aux conditions imposées sur l’économie (effet sur les secteurs économiques, agents touchés par les mesures fiscales).


Comment déterminer la taille du multiplicateur fiscal ?
 Le multiplicateur fiscal est calculé de manière empirique, c'est à dire en regardant sur différentes périodes et dans différents pays, comment a varié le PIB à la suite d'une variation des dépenses publiques. Comme le précisent Blanchard et Leigh dans la conclusion de leur papier, il n'existe pas une valeur du multiplicateur fiscal qui soit applicable dans tous les pays pour toutes les périodes. Les mauvaises prévisions du FMI sont donc dues à un changement de valeur du multiplicateur fiscale entre l’avant et l’après crise.
"However, our results need to be interpreted with care. As suggested by both theoretical considerations and the evidence in this and other empirical papers, there is no single multiplier for all times and all countries. Multipliers can be higher or lower across time and across economies. In some cases, confidence effects may partly offset direct effects. As economies recover, and economies exit the liquidity trap, multipliers are likely to return to their precrisis levels. Nevertheless, it seems safe for the time being, when thinking about fiscal consolidation, to assume higher multipliers than before the crisis."

En effet, selon les perspectives économiques du FMI d’octobre 2008 et sur une période de 1970 à 2007 portant sur les 21 économies les plus avancées, le multiplicateur fiscal était en moyenne de 0,5. Celui-ci ce serait en fait établi à un niveau supérieur à 1 depuis 2007 ce qui implique, pour un pays ayant planifié une consolidation fiscale de 100 milliards d'euros, et alors que le FMI prévoyait une baisse du PIB de 50 milliards (multiplicateur de 0,5), que la baisse réelle du PIB a été d'environ 100 milliards (multiplicateur égal à 1).
Le FMI, comme, comme la Commission européenne ou l’OCDE a donc sous-estimé la valeur du multiplicateur fiscal. Le graphique ci-dessous résume cela, en montrant l'erreur de prévision de croissance par point de consolidation fiscale. Seul l’OCDE, dans un rapport de décembre 2010, avait évoqué un multiplicateur fiscal proche de 1.

Il y a seulement deux ans, le FMI prévoyait pour la France une croissance du PIB de 2% en 2012 et 2,2% en 2013 (World Economic Outlook, avril 2010). En octobre 2012, la croissance du PIB français anticipée était à 0 ,1% en 2012 et 0,4% en 2013. Similairement, l’Espagne a connu une récession de 1,4% contre une croissance du PIB de 1,5% anticipée en avril 2010.


Trois justifications d’une sous-évaluation du multiplicateur fiscal
La première raison porte sur la faiblesse de la production et des revenus qui affecte la consommation et l’investissement Les consommateurs auraient ainsi des effets non ricardien puisque leur consommation, dans le cadre d'une hausse d'impôt, dépendrait de leur revenu actuel et non futur (pas de « lissage de leur consommation »). De même l’investissement dépendrait des profits actuels et non anticipés. Ces deux facteurs justifieraient un multiplicateur fiscal supérieur à 1 (Eggertsson, Krugman, 2012).

La seconde raison porte sur le caractère récessif des économies. Une économie en récession avec de fortes dépenses publiques fait évoluer le coefficient multiplicateur de 0 à 2,5 (Auerbach, Gordonichenko 2012). Il y aurait donc une dynamique de l’effet multiplicateur selon l’importance et la durée de la récession économique dans un pays.

La troisième justification concerne les politiques monétaires de taux d’intérêt nul. Si les politiques monétaires sont conventionnelles et les taux d’intérêt bas, alors l’effet multiplicateur est correctement évalué. En revanche, dans un schéma non-conventionnel où les taux d’intérêt seraient anormalement bas, pour des raisons différentes de l’activité économique, alors l’effet multiplicateur atteindrait un coefficient de 1,6 (Christiano, Eichenbaum, Rebelo, 2011).

Conclusion
Fonder des prévisions de croissance économiques sur des relations ex-ante à la crise suppose que les relations ex-post à la crise resteront stables. Le document d’Olivier Blanchard et Daniel Leigh impliquera ainsi des effets d’apprentissage essentiels qui seront mis à profit pour l’élaboration des prochains plans d’aide. De plus le degré de symétrie des chocs économiques et financiers, notamment dans la zone euro, a eu un rôle majeur : la crise économique grecque est l’une des principales sources de la crise économique chypriote. Un paramètre supplémentaire à intégrer dans le calcul du multiplicateur pour l’élaboration du programme de consolidation fiscale à Chypre, et qui devrait donner lieu au cinquième plan d’aide attribué par le FMI à un pays de la zone euro.


Article corédigé avec Arthur Jurus

Références
Alan Auerbach, Yuriy Gorodnichenko, “Fiscal Multipliers in Recession and Expansion”, Fiscal Policy after the financial crisis, University of Chicago Press.
Gauti Eggertsson, Paul Krugman, “Debt, deleveraging, and the liquidity trap”, Quarterly Journal of Economics, pp. 1469-513.
Lawrence Christiano, Martin Eichenbaum et Sergio Rebelo, “When is the government spending multiplier large?”, Journal of Political Economy, Vol.119, pp.78-121.
Olivier Blanchard et Daniel Leight, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF
Working Paper, janvier 2008.
FMI, « World Economic Outlook », Octobre 2008.
FMI, « World Economic Outlook », Octobre 2012.

 

Diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en finance de marché, Thomas Renault est Maître de Conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Assistant d'enseignement et de recherche en économie et finance à l'IESEG Paris et fondateur du blog Captain Economics, ses centres d’intérêts portent principalement sur les marchés financiers et la microstructure des marchés.

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