L’économie spatiale : vers l’industrie et au delà (Etude)

L’économie spatiale : vers l’industrie et au delà ….

 

Résumé :

- Les données sur le secteur spatial sont rarement isolées du secteur aéronautique et / ou de la défense, les études consacrées au secteur sont relativement peu nombreuses ;

- L’activité spatiale peut être décomposée en trois marchés : la conception de satellites, le lancement de satellites et la conception des lanceurs ;

- Le secteur se privatise mais les Etats conservent la main en raison des aspects stratégiques de la recherche et développement ;

- De nouveaux concurrents et de nouveaux débouchés apparaissent, la technologie comme avantage concurrentiel ;

- Les retombées de l'activité spatiale peuvent être directes et indirectes

L’économie spatiale est un secteur relativement peu connu. Les récents succès médiatisés de récupération d’un lanceur (fusée) après une mise en orbite par deux entreprises américaines, SpaceX et Blue Origin, ont mis en avant la compétition technologique du secteur spatial. Ce secteur ouvre de nombreux débouchés pour le reste de l’économie et malgré son faible poids dans le PIB, il reste stratégique pour les Etats. Le marché global du secteur spatial, en pleine mutation, est marqué à la fois par une réorganisation des filières et par le recul constant des budgets de Défense des Etats, incitant des coopérations bi ou multilatérales.

Il existe davantage de données disponibles et fiables sur le marché des lancements de satellites que sur les autres segments, nous solliciterons davantage d’exemples de ce segment. Nous commencerons par une présentation de la structure du secteur spatial international et les déterminants de l’activité. Puis nous verrons les perspectives du secteur avant de terminer sur son aspect entrainant et ses retombées dans l’économie en s’appuyant sur l’exemple de l’écosystème spatial européen.

1.    Structure de la filière spatiale

1.1   Structure

L’activité spatiale mondiale peut se décomposer en trois marchés distincts :le militaire & défense, le scientifique et le commercial. Tous les segments ne sont pas ouverts à la concurrence comme le montre le tableau ci-dessus.

Les deux premiers sont institutionnels et / ou stratégiques et recouvrent les programmes gouvernementaux ou militaires et les applications scientifiques (observation de la terre, météorologie...). Ces deux marchés restent captifs, de la conception jusqu’au lancement, mais peuvent néanmoins prendre la forme de contrat de long terme entre des entreprises privées et les Etats. Le programme Galileo, initié par la commission Européenne, en est un exemple. En effet, l’Union Européenne (UE) va se doter de son propre système GPS grâce à 30 satellites. La production des satellites jusqu’à leur lancement représente un contrat de 3,4 Mds €.

Le marché commercial reste le seul véritablement ouvert à la concurrence. Ainsi, la conception est  partagée par les grands groupes Européens et américains (Airbus, Boeing, Safran, Lockeed, Eutelsat, Thales,…). Le segment fabrication du lanceur et mise en orbite est désormais un seul et même marché. Eurospace estime le chiffre d’affaires de l’industrie spatiale européenne à 7,25 Mds € en 2014, dont 3,5 Mds € pour la conception des satellites commerciaux  et 1,3 Mds € pour les activités scientifiques. Le lancement de ces satellites (télécommunications (Internet, téléphonie, télévision, etc.) est partagé entre deux entreprises privées : Arianespace et Space-X qui détiennent 50 % du marché chacune. Une partie reste néanmoins captive. Du fait des enjeux géopolitiques et économiques, des nations maitrisant les technologies du spatial comme la Chine ou la Russie, envoient eux-mêmes des satellites de télécommunications. 104[1] satellites ont été lancés avec 87 lancements en 2015, contre 92 pour 115 satellites[2] en 2014. La valeur de ce marché reste difficile à évaluer car de nombreuses données ne sont pas disponibles à cause de leur caractère stratégique. Toutefois, l’addition du chiffre d’affaires d’Arianespace et de Space-X donne une estimation intéressante de sa taille puisqu’il englobe une partie des marchés militaire et scientifique des pays de l’OCDE plus le marché commercial mondial. Arianespace a atteint un chiffre d’affaires annuel de 1,4 Mds € en 2014 et en 2015, celui de Space X a été évalué à 800 MUSD pour l’année 2014.

1.2 Les déterminants de l’économie spatiale

L’activité et la dynamique du secteur spatial sont influencées par plusieurs facteurs, qu’ils soient macroéconomiques comme les dépenses publiques allouées au spatial par les Etats ou microéconomiques comme la privatisation croissant du secteur et des débouchés.

 1.2.1 Déterminants macroéconomiques

Le marché mondial de la seule industrie aérospatiale est estimé à 477,1 Mds[3] USD employant 1,7 millions de personnes dans le monde. Le top 20 mondial des entreprises du secteur aéronautique et défense a atteint un chiffre d’affaires de 370,7 Mds USD en 2013, soit +2,7 % de croissance annuelle.

L’industrie spatiale est très liée à celles de l’aéronautique et de la défense qui affichent conjointement une croissance d’environ 3,0 % en 2015[4]  ; croissance portée par l’augmentation du trafic aérien mondial. Le budget total des Etats Unis consacré uniquement au spatial, premier budget au monde, est d’environ 40 Mds € par an (60 Mds USD, 0,39 % du PIB en 2007 si l’on additionne l’ensemble des budgets des agences publiques consacrées au spatial). La Russie se place deuxième avec 6 Mds €, suivie de l’Europe avec 6 Mds € également (soit moins de 0,03 % du PIB[5] ) puis la Chine avec 5 Mds €. Si l’on regarde le budget spatial par habitant, les Etats-Unis restent premiers avec 46 €, puisla France avec 30 €,  16 € pour l’Allemagne et 6 € pour le Royaume-Uni. En 2015, le CNES dispose d’un budget de 2,2 Mds € (+7,2 % par rapport à 2014) dont 763 millions € de l’ESA[6] .

La dépense publique joue un rôle clé sur la dynamique du secteur. Les gouvernements et leur agence spatiale sont à la fois du coté de la demande (acheteurs de satellites et de lancements) et du côté de l’offre puisque les agences spatiales travaillent de concert avec les entreprises privées nationales du secteur. Le secteur est mis sous pression par le recul des budgets militaire et de défense des Etats, notamment celui des Etats Unis[7] . Les taux de change sont également clés dans l’industrie spatiale au même titre que dans celle de l’aéronautique en général. C’est un secteur exportateur et donc sujet aux coûts de fabrication et facturation.

1.2.2 Déterminants microéconomiques

La privatisation transforme l’industrie spatiale. En effet, l’arrivée de SpaceX a contraint les européens à réorganiser la filière spatiale ; la société américaine ayant cassé les prix de mise en orbite et fabricant ses propres lanceurs. L’entreprise bénéficie également d’importants contrats avec la NASA lui permettant d’abaisser le coût de lancement commercial. Du coté européen, la joint venture Airbus Safran Launchers a récemment racheté les parts du CNES dans Arianespace[8] afin de confier une part plus importante de l’activité au secteur privé.

Toutefois, si le coût des lancements devient un critère important dans le choix des clients, la compétence des équipes et la fiabilité du lanceur utilisé restent des facteurs prépondérants. En effet, plus un lanceur est fiable plus faible est le coût de l’assurance. Aussi, certaines entreprises n’assurent-elles pas leur satellite en raison des garanties de fiabilité du lanceur sélectionné.

2.    Les perspectives d’un secteur en plein évolution : concurrence technologique

2.1  Les acteurs

La concurrence s’intensifie suite à l’arrivée d’acteurs privés mais aussi de nouveaux pays comme la Chine. Le marché de la conception de satellites prend de plus en plus d’importance grâce aux nombreuses applications possibles et à la nécessité de rationaliser les coûts. Le marché commercial, de la conception jusqu’à la mise en orbite, est destiné à devenir de plus en plus concurrentiel. En effet, ce segment apparait comme un relais de croissance pour les sociétés qui se concentraient exclusivement sur les satellites militaires et institutionnels. De plus et à l’opposé du marché militaro-institutionnel, ce segment est en croissance avec des besoins toujours plus importants de la part des câblo-opérateurs. Le développement de projets de connexion internet global ou de tourisme spatial offre des potentiels importants. La technologie est au cœur de la compétition, la R&D est donc un facteur clé sur ce marché à forte valeur ajoutée.

2.2 Lanceur réutilisable : l’avantage clé

Le secteur est en mutation et les moyens dédiés à la recherche et développement constituent un facteur clé de succès pour les années à venir. En effet, les acteurs de ce marché s’orientent vers le développement de lanceur réutilisable, une technologie qui n’est pas encore maitrisée mais qui devrait permettre de baisser les coûts de façon substantielle. 

SpaceX continue de développer son lanceur Falcon 9 pour le rendre réutilisable. La société a récemment réussi l’exploit de récupérer sa fusée en un seul morceau mais la remise en service pourrait s’avérer plus difficile et plus couteuse que la fabrication d’un nouveau lanceur. En 2013, la société américaine United Launch Alliance[9] (ULA) a présenté son propre modèle de lanceur réutilisable d’un cout de 200 millions €. Cette fusée sera 100 % « made in USA » et devrait être opérationnelle en 2019.              

De son côté, Airbus a dévoilé un programme de recherche sur la technologie des lanceurs réutilisables ; le plus avancé s’appelle Adeline[10] et fonctionnerait comme un drone. Les européens estiment qu’une entrée en service d’un tel dispositif n’interviendrait pas avant 2025 jugeant qu’Ariane6[11] est déjà une réponse à la concurrence. Ce nouveau lanceur doit diviser par deux les coûts de lancement d’un satellite. Le secteur spatial est une excellente illustration de concurrence par la recherche d’un avantage technologique qui entraine l’ensemble de la filière dans une dynamique de croissance et d’innovation.  

3.    L’industrie spatiale européenne : un moteur de l’économie

Le secteur spatial induit de nombreuses retombées. Elles peuvent être directes, comme des emplois et une balance commerciale excédentaire mais elles peuvent aussi être indirectes et ne pas être perceptibles par le grand public.

3.1  Des retombées directes…

Le modèle d’industrie spatiale européen est un bon exemple d’écosystème à forte valeur ajoutée. En Europe, le chiffre d’affaires atteint 7,25 Mds €[12] en 2014 dont 3,1 Mds[13] à l’export. La filière employait38 000 personnes en 2014.  Les dépenses consacrées à la R&D sont importantes mais aucun chiffre fiable n’est disponible. Les besoins en infrastructures, en services, en main d’œuvre hautement qualifiée et sa consommation sont les principales courroies d’entrainement du secteur sur le reste de l’économie.

Pour terminer, les rentrées fiscales sont importantes dans un secteur en croissance dont une grande partie des activités sont localisées en France. L’Insee a calculé dans une étude datant de 2008[14] un multiplicateur de production de 0,27 car de nombreux sous traitants ne sont pas basés en Guyane, qui accueille le port spatial européen. Celui de la valeur ajoutée est de 3,1, il est plus important car le dénominateur est faible. Le multiplicateur emploi est élevé 10,7 car le port spatial est situé dans ce département. Celui ci emploie 1 700 personnes et le CNES estime à 9 000 le nombre d’emplois induits. De plus, le CNES investit 39 millions € sur la période 2014 -2020 pour le développement de la Guyane.

Une étude de l’OCDE a calculé un multiplicateur de 4,4[15] pour la Norvège, une unité monétaire de subvention engendrerait 4,4 unités de plus de chiffre d’affaires pour la filière.

3.2  …et indirectes et pas toujours quantifiables

L’innovation et les progrès technologiques engendrent d’importantes retombées dans l’économie, mais ces effets ne sont pas toujours palpables ou même quantifiables.

Les programmes de recherche militaire sont à l’origine de nombreuses innovations mais leurs applications se cantonnent au domaine militaire exclusivement. Ce marché contribue réellement à l’économie une fois qu’il y a eu transfert de la technologie vers les marchés scientifique et commercial. Outre les commandes publiques directes de marchandises et des programmes de recherche communs, les retombées de la recherche militaire sont indirectes sur l’économie. C’est le transfert et la recherche d’applications nouvelles de la technologie qui créeront de la valeur ajoutée. Le GPS est un programme initialement militaire puis transféré aux secteurs scientifique et commercial qui ont trouvé de nouveaux débouchés. La possibilité de géolocaliser une voiture, son smartphone ou utiliser une application plan sont des services qui sont apparus grâce à un programme d’origine militaire.

Le marché scientifique présente des retombées plus visibles dans l’économie. En effet, l’amélioration des prévisions météorologiques a permis de mieux gérer et d’exploiter les ressources naturelles. Les satellites scientifiques permettent également une meilleure surveillance et gestion environnementale des événements climatiques comme les catastrophes naturelles. Une meilleure anticipation et prévision des déplacements et des évolutions de ces événements naturels permettent de minimiser les dégâts humains et matériels dommageables à l’économie.

Le marché commercial est probablement le segment qui génère le plus de retombées. En effet, la télécommunication à grande échelle et haute qualité a été rendue possible grâce au spatial. Une  diffusion plus large et de meilleure qualité permet aux médias d’offrir des services à un nombre beaucoup plus important de clients et donc d’augmenter leur chiffre d’affaires. Le système GPS et son utilisation dans les voitures et dans de nombreuses applications smartphones est devenu effectif grâce à la mise en place de satellites sophistiqués et connectés. Pour terminer, le spatial attire les autres industries pour former des écosystèmes industriels et de recherche. En effet, la capacité d’innovation du secteur incite des entreprises à s’installer à proximité afin de créer des bassins d’emplois et d’innovation. De nombreuses synergies, de mise en commun d’infrastructures, d’économies d’échelles sont possibles même avec d’autres secteurs, boostant ainsi la croissance économique.

Conclusion

Nous avons vu que l’industrie spatiale est composée de plusieurs marchés plus ou moins ouverts à la concurrence. Le secteur est en pleine mutation et la compétition technologique déterminera les positions des différents pays et /ou entreprises du marché. Les nombreux débouchés et son effet entrainant de l’économie en font un secteur stratégique malgré un poids faible dans le PIB.

SOURCE : Eurospace Facts and figures 2014 édition 2015 OCDE étude

https://books.google.fr/books?id=HN_VAgAAQBAJ&pg=PA9&lpg=PA9&dq=les+retomb%C3%A9s+du+secteur+spatial+dans+le+monde&source=bl&ots=HwoYDmc6jt&sig=RFd7cLf8sw-zNtKKWhJf_3lM2s4&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwjEypjyoM_KAhUKWRoKHewTDsIQ6AEIMTAC#v=twopage&q&f=true

http://www.deloitterecrute.fr/sites/www.deloitterecrute.fr/files/etude/2493/etude_aeronautique-et-defense_2015.pdf http://www.asd-europe.org/fileadmin/user_upload/Client_documents/ASD_Contents/2_COMMUNICATION/2.5_Publications/2.5.2_Facts_and_Figures/27439_Facts_and_Figures_2015_web.pdf


[1] Space launch report 2015.

[2] Space launch report 2014.

[3] Chiffre Eurospace agrégé (USA, Russie, Europe, Canada, Japon, Brésil) .

[4] Chiffre Deloitte.

[5] 6 Mds€divisé par PIB UE 2014.

[6] European Space Agency.

[7] Le National Defense Authorization Act signé en 2015 acte une diminution de 30 milliards USD par rapport à 2014,  le budget de la défense s’établit à 585 milliards USD  pour l’année fiscale 2015.

[8] Vente des 34,7 % du CNES pour un montant de 135 millions €.

[9] Joint venture entre Boeing Defense, Space & Security et Lockheed Martin Space Systems.

[10] ADvanced Expendable Launcher with INnovative engine Economy.

[11] Programme de 4 milliards €.

[12]Chiffre Eurospace.

[13]Chiffre Eurospace.

[14]L’étude Insee utilise les données de 2002 et 2003 et concerne les retombées économiques en Guyane.

[15]Chiffre OCDE datant de 2005.

Diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Reims (Neoma Business School) après un échange universitaire à la NHH Norwegian School of Economics. Quentin Blanc est actuellement chargé d'études économiques à l'Institut d'Emission des Départements d'Outre Mer (IEDOM), en Guyane. Il a travaillé à la Banque de France et dans la recherche macroéconomique chez Exane Ltd. Ses domaines d’intérêts portent principalement sur les interactions macroéconomiques, l’économie bancaire et le lien entre les indices de confiance et la dynamique économique.

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