Innovations et changement climatique : quel rôle pour les États ? (Note)

Innovations et changement climatique : quel rôle pour les États ?

Résumé :

- L’innovation est un élément incontournable de la transition vers la « croissance verte » ;
- Les États ont pris des engagements forts dans la lutte contre le réchauffement climatique ;
- Deux éléments fondamentaux échappent à l’auto-régulation par le marché : la dépendance du chemin et les externalités technologiques ;
- Une taxe adéquate stimule la production mais également l’innovation en faveur de l’environnement.

La COP 21 qui s’est tenue à Paris en décembre 2015 a été marquée par des engagements forts de la part des 184 pays participants (voir à cet effet un article sur le site de BSI Economics de Thao Pham). Ces derniers visent en priorité la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et la transition vers des modèles de développement faiblement émetteurs de GES.

Au delà de la garantie de la propriété intellectuelle, deux éléments bien souvent ignorés échappent à l’auto-régulation par le marché et justifient l’intervention des État: la path dependencyet les externalités technologiques (Aghion et al. 2012).

L’innovation, un élément clé de la transition vers des modèles de croissance durable

Le développement de nouveaux modèles de croissance, en particulier de modèles de croissance durable, repose en grande partie sur l'innovation (OECD, 2011, 2012). Les travaux de Schumpeter (1939) ont largement popularisé le concept de destruction créatrice selon lequel l'innovation, en faisant émerger de nouveaux entrepreneurs et de nouvelles idées, favorise l'émergence de nouveaux business modelstout en détruisant les innovations et technologies dépassées.

Généralement, le marché et la concurrence sont au cœur du processus d'innovation, où le prix joue le rôle fondamental de signal. Du côté de l’offre comme de la demande, les agents se réfèrent directement à ce signal pour former leurs décisions d'investissement ou de consommation. Dans ces conditions, les entreprises peuvent se révéler frileuses à l’idée d’investir dans les innovations vertes tant le marché n’offre pas de signal clair permettant d’évaluer la rentabilité à long terme de leur production (Espagne E., 2015). Ce mécanisme peut in fineconduire à sans cesse repousser les décisions d’investissement qui conduiraient à un cercle vertueux d’innovations vertes. À plusieurs reprises depuis 2011, l'OCDE a donc souligné le rôle clé des Etats dans ce processus créateur.

Graphique 1 : Dépenses publiques en R&D : énergie et environnement

moyenne des pays de l'OCDE

Sources : OCDE, 2011. BSI Economics

L'intervention des État se justifie par deux éléments clés : la path dependency et les externalités technologiques

En sciences sociales, le concept de path dependence, ou « dépendance au sentier », traduit l'idée que toute nouvelle dynamique d'évolution dépend en partie des évolutions et innovations réalisées par le passé. Il en découle une certaine rigidité quant aux nouvelles perspectives à venir. Parmi les raisons de cette dépendance au sentier : les coûts d'accumulation du stock de capital et de savoir. Dès lors, un changement brutal de technologie ou de sentier de développement peut s'avérer trop coûteux pour être sérieusement considéré par les acteurs du marché. Dans le cas de la lutte contre le changement climatique, les incitations générées par le marché conduisent à un niveau trop faible de green innovations, ainsi qu'à des montants de R&D en faveur des technologies polluantes trop élevés. Ces market failuresproviennent en grande partie de la faible prise en compte du coût social des émissionsde GES pour la société. En particulier, la R&D tend à davantage s'orienter en faveur d'une amélioration des technologies existantes (comme l’optimisation des moteurs à énergie fossiles) plutôt qu'à s'investir dans le développement prospectif de technologies totalement nouvelles.

Graphique 2 : Nombre de brevets Cleanet Dirty déposés 1978-2005

Sources : Aghion et al. (2012). BSI Economics

Seul l'État peut intervenir pour corriger ces trajectoires et initier de nouveaux sentiers de développement. Comment ? D'une part en finançant la recherche fondamentale (voir graphique 1), d'autre part en corrigeant le signal-prix du marché qui créera le cadre incitatif nécessaire.

Ainsi, du côté théorique Aghion et al. (2012) considèrent l'impact de l'introduction d'une taxe carbone sur la dynamique d'innovation de l'industrie automobile. En modifiant le signal-prix, l'introduction d'une taxe sur les carburants conduirait les entreprises à innover davantage en faveur des technologies « propres ». Concrètement, le renchérissement du prix des carburants modifie les incitations auxquelles font face les constructeurs automobiles puisque les consommateurs vont prendre en compte lors de leur achat le sur-prix du carburant dans les coûts à supporter. La modification du cadre incitatif n'impacte pas seulement la demande de véhicules moins polluants ou hybrides, il modifie la dynamique d'innovation et permet de s'extraire de la dépendance au sentier des grey innovations .  

Graphique 3 : Simulation d'une augmentation des prix des carburants de 40% (sans et avec impact de -0,5% sur le PIB)

Sources : Aghion et al. (2012). BSI Economics

Le second élément clef qui échappe à l'auto-régulation par le marché est l'existence d'externalités de technologies (spilloversen anglais). Par définition, l'économie est en présence d'externalités lorsque la décision d'un agent,  par exemple une entreprise, a un effet direct sur les profits ou les bénéfices d'un autre agent, une firme ou des individus, positivement ou négativement, sans que cette interaction ne soit valorisée par le marché.

La R&D en particulier se caractérise par un fort potentiel en externalités positives. L'avènement de nouvelles technologies impulse une nouvelle dynamique à tous les concurrents, sans quoi ils s'excluent du marché, tout en apportant de nouvelles connaissances. L'idée sous-jacente est qu'il existe un cercle vertueux de l'innovation. Aghion et al. (2012) définissent lesspillovers pool(les bassins de retombées technologiques) d'un pays comme la somme du stock total de brevets que possèdent les firmes, pondéréepar le nombre d'inventeurs de ces firmes. La logique voudrait donc qu'en présence de nombreux inventeurs de green technologiesle stock total de green technologiesaugmente. Cependant, le concept d'externalité de technologie et sa validation empirique s'avèrent bien plus puissants : une augmentation de 10 % du green spillover pool augmente les green innovationsintra-firme de 2,7 % tandis qu'une augmentation similaire du grey spillover pool réduit les green innovationsintra-firme de 1,7 %. Il existe donc un réel effet d'entrainement que le marché ne valorise pas de lui même.

La dynamique à l'oeuvre semble suivre les recommandations de l'OCDE

Quelle est la tendance? La dynamique à l'oeuvre confirme l'implication croissante des États dans les innovations en faveur de l'environnement. Trois pays asiatiques misent particulièrement sur l'environnement (la Corée, l'Inde et la Chine), pour lesquels les dépenses en green technologyont bondi de plus de 400 % entre 2000 et 2011, 1200 % pour la Chine, lorsque les dépenses globales pour l'innovation ont augmenté de 200 % pour la Corée et l'Inde, et  600 % pour la Chine. À noter que globalement les BRIICS (Brésil, Russie, Inde, Indonésie, Chine, Afrique du Sud) sont en moyenne bien positionnés par rapport aux autres pays de l'OCDE, puisque du groupe seule la Russie sous-performe en termes d’investissement dans les green technologies.     


Graphique 5 : Dynamique des 'green' innovations : BRIICs et OCDE

Sources : OECD, Green growth innovation indicators, BSI Economics

Note de lecture : dans les pays marqués en vert, la croissance des innovations vertes est plus rapide que la croissance totale des innovations.

Conclusion

Le rôle central de l’innovation a une nouvelle fois été abordé dans le rapport “Transition par l’innovation” remis par l’Observatoire du Long Terme en février 2015. Il souligne en particulier que « la réduction des gaz à effet de serre peut-être accomplie à un coût inférieur aux estimations habituellement présentées » et que cela passe par la « [mise] en place d'un contexte favorable au développement des « innovations vertes » abordables ». Ces conclusions convergent vers  celles de l'Eurobaromètre 2015 « opinion public sur les innovations futures » : les citoyens européens considèrent que les barrières à la diffusion des innovations sont davantage financières que technologiques (p. 48).

Dans cette quête de la croissance verte, les États sont des acteurs  incontournables. Leur intervention doit permettre de soutenir la recherche fondamentale et la mise en place de politiques publiques incitatives afin d'insuffler de nouveaux sentiers de développement technologiques tout en assurant la prise en compte des externalités technologiques que le marché peine à valoriser.

Références :

Aghion, P., Dechezleprêtre, A., Hemous, D.,Martin, R., &Van Reenen, J. (2012).Carbon taxes, path dependency and directed technical change: evidence from the auto industry (No. w18596).National Bureau of Economic Research(NBER).

Espagne, E. (2015). La transition bas carbone par l’innovation,CEPII.

Eurobarometer Qualitative Studies (2015).PublicOpinion on futur innovations, sciences and technologies,European Commission.

Observatoire du Long Terme(2015).Transition par l'innovation.

OECD (2011), Towards Green Growth, OECD Publishing

OECD (2012), « Transitioning to green innovations and technology » in OECD Science,Technology and Industry Outlook, 2012 Publishing.

Benjamin Michallet est doctorant à l'École d'Économie de Paris, rattaché au Centre d'économie de la Sorbonne. Il intervient en parallèle comme expert en modélisation et analyse socio-économique au sein du cabinet Goodwill Management. Ses principaux centres d'intérêts sont à la croisés de l'économie de l'environnement, de l'économie politique des institutions et de l'économie de la croissance. Il enseigne à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne ainsi qu'à Sciences Po.

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