Politique monétaire de la BCE et taux de change (Note)

Politique monétaire de la BCE et taux de change

Résumé :

·        Un euro faible présente plusieurs avantages pour la Zone euro : améliorer la compétitivité prix des exportations, augmenter les marges des entreprises exportatrices ou encore générer de l’inflation importée ;

·        En contribuant à la formation d’un « environnement des taux d’intérêt » faibles, avec la politique de taux d’intérêt négatifs et le QE, la BCE poursuit notamment comme objectif de maintenir des pressions baissières sur le taux de change ;

·        Les annonces des principales Banques centrales jouent également un rôle significatif sur le niveau de l’euro, particulièrement en agissant sur les anticipations des marchés financiers.

Depuis plusieurs années maintenant, la Banque Centrale Européenne (BCE) joue un rôle central et décisif dans la Zone euro. Même si elle intervient toujours dans le cadre de son mandat, qui vise à s’assurer du maintien de la stabilité des prix en Zone euro, la BCE ne cesse de redoubler d’inventivité et d’efforts pour sortir définitivement la Zone euro de la stagnation économique qu’elle traverse.

Les outils conventionnels à sa disposition (les taux d’intérêt) ou les outils non conventionnels qu’elle a lancés suscitent actuellement des interrogations de la part du grand public et même parfois des professionnels issus du monde de la finance. Dans cet article, nous proposons d’exposer les principaux mécanismes et intuitions derrières ces outils, pour comprendre comment ils se complètent et / ou interagissent entre eux afin de répondre aux enjeux économiques du niveau de l’euro.

Pourquoi souhaiter un euro faible ?

Dans un précédent article sur BSI Economics, les raisons de disposer d’un euro faible ont été présentées. Une dépréciation continue et soutenue de l’euro améliorerait la compétitivité prix des exportations hors de la Zone euro (55 % des exportations en moyenne en France selon l’INSEE) et permettrait aux entreprises exportatrices de gagner des parts de marché à l’international et voir leurs marges progresser[1] . Cependant, un euro faible a tendance à augmenter le coût des importations, mais dans le contexte actuel où les prix des matières premières, et surtout celui du pétrole, restent à des niveaux peu élevés, un effet change positif pour les entreprises pourrait être attendu en cas de dépréciation de l’euro. De plus, une dépréciation de l’euro en renchérissant le coût des importations permettrait de stimuler l’inflation (taux d’inflation qui a fait son retour en territoire négatif en février 2016 à -0,2 %), via de l’inflation importée.

Quel impact des politiques monétaires non conventionnelles ?

Le principal canal de la politique monétaire en Zone euro passe actuellement par le taux de change. Une politique monétaire expansionniste a un impact direct sur la valeur de la monnaie. En injectant des liquidités, la BCE maintient donc des pressions baissières sur l’euro par un mécanisme relativement simple : le stock de liquidités (libellées en euro) en circulation augmente et sa valeur a donc tendance à baisser. Ce mécanisme de base se retrouve au centre des politiques monétaires usuelles mais également non conventionnelles.

Le QE (quantitative easing), un des outils que la BCE a lancé en mars 2015, ne poursuit pas comme objectif direct de faire baisser la valeur de l’euro mais les rachats massifs d’actifs (80 Mds € de rachats mensuels d’actifs financiers) sur le marché  secondaire constituent une injection de liquidités de grande ampleur, qui se traduit à terme par une dépréciation de l’euro. De manière moins directe, en favorisant la baisse des rendements obligataires souverains de la Zone euro sur des maturités de plus en plus longues, le QE contribue à maintenir des pressions baissières sur le taux de change en favorisant l’émergence d’un « environnement des taux d’intérêt » faibles.

Avec un taux de refinancement bas (0 % depuis mars 2016), les banques de la Zone euro peuvent se refinancer à court terme à moindre coût auprès de la BCE, lors de ses opérations hebdomadaires d’open market. Un taux de refinancement bas facilite ainsi l’accès à la liquidité centrale pour les banques en besoin de liquidités et augmente (au moins théoriquement) la quantité d’euros en circulation, jouant à la baisse sur le cours de l'euro. Cependant, le taux de refinancement n’a qu’un effet très marginal[2] dans le contexte actuel de liquidités excédentaires.

Un taux de dépôt négatif a un impact décisif sur le taux de change. Actuellement le taux de dépôt est de - 0,40 %, suite à la dernière réunion de la BCE du 10 mars 2016. Un taux de refinancement faible combiné à un taux de dépôt également faible, voire négatif, favorise la création d’un « environnement de taux d’intérêt » faibles. En effet, ces deux taux d’intérêt servent de taux de référence, par conséquent en étant extrêmement bas ils maintiennent des pressions baissières sur l’ensemble des taux d’intérêt au sein de la Zone euro. Ainsi, un « environnement de taux d’intérêt » faibles rend la Zone euro moins attractive pour les capitaux étrangers. En effet les flux de capitaux internationaux sont souvent guidés par une recherche de rémunération forte et donc par des taux d’intérêt élevés. Les pays faisant face à une entrée importante de capitaux voient mécaniquement leur taux de change s’apprécier. Mais dans le cas contraire, des taux d’intérêt faibles (surtout quand ils sont inférieurs ou égaux à 0) semblent moins attractifs et attirent dès lors moins de capitaux internationaux, le taux de change ne s’apprécie donc pas. Dans un contexte où les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont en train de rentrer dans une phase de normalisation de leur politique monétaire avec une hausse (très) progressive de leurs taux d’intérêt, les flux de capitaux sortants qui ont lieu depuis plusieurs années dans les pays émergents pourraient davantage se rediriger vers ces économies plutôt qu’en Zone euro. Cette divergence de choix de politique monétaire pourrait jouer en faveur d’une dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar.

Comment les annonces de la BCE jouent sur le niveau de l’euro ?

La communication reste un des outils clés des Banques centrales pour affirmer leur crédibilité et sert à orienter les marchés financiers sur la conduite de la politique monétaire. En fonction du vocabulaire utilisé par la BCE (où chaque mot est minutieusement pesé) et de la situation économique de la Zone euro (même si cela n’entre pas directement dans le mandat de la BCE), les marchés financiers anticipent les prochaines annonces et actions de la BCE. Ces anticipations « provoquent » des décisions stratégiques opérées avant donc même les annonces (d’où l’expression, « le marché l’a déjà pricé ») et après les annonces. Ces décisions ont un impact décisif sur le niveau de l’euro : de manière directe par les flux générés par les transactions financières (sur l’ensemble de la gamme des actifs financiers : obligations, actions, devises, swap de taux, etc.) et de manière un peu moins directe via la confiance qu’inspire l’action de la BCE.[3]

Ce raisonnement est valable dans l’absolu et l’est tout autant au vu des annonces et des actions de la BCE relativement à celles des autres grandes Banques centrales (la FED ou la BoJ par exemple). Par exemple, les incertitudes liées à a croissance économique aux Etats-Unis ont poussé la FED à plusieurs fois repousser la hausse des taux fed funds en 2015, contribuant à une stabilité du change euro-dollar alors que la parité, à un dollar pour un euro, pouvait être espérée pour fin 2015, alors qu’elle oscille toujours autour des 1,10 actuellement. Pour tendre vers la parité euro-dollar, le calendrier des hausses des taux américains pour 2016 sera donc autant à surveiller que les annonces de la BCE.

Conclusion

La combinaison des différents outils de la politique monétaire est nécessaire afin d’actionner tous les leviers possibles et tendre vers une parité euro-dollar. Les mécanismes présentés ci-dessus sont à la base des variations de la valeur de l’euro. Selon le Consensus MacroNetwork, 56 % des économistes sondés considèrent que la parité euro-dollar sera atteinte courant 2016. Les comportements symétriques des grandes Banques centrales joueront un rôle décisif dans la détermination du niveau de l’euro et la BCE devra également se montrer particulièrement attentive aux « humeurs » de marchés financiers pour concilier son mandat avec les objectifs poursuivis.


[1] Par soucis de simplification, nous n’aborderons pas la nécessité de spécialisation à l’export sur des biens dont l’élasticité de la demande aux prix est élevée pour bénéficier d’un effet change positif en cas de dépréciation de l’euro.

[2] La baisse récente du taux de refinancement relève davantage de l’effet signal et son utilité est plus à chercher du côté du lancement de nouveaux TLTRO (des prêts de long terme de 4 ans accordés par la BCE aux banques).

[3] Cependant ici, il convient de faire remarquer que la stabilité du taux de change sur le court terme ou son appréciation dans certains cas aient les faveurs des investisseurs (pour ne pas subir un effet change négatif sur leurs transactions), c’est pourquoi quand les annonces de la BCE ne sont pas à la hauteur de leurs espérances (ou de leurs intérêts propres), ils ont tendance à « vendre » de l’euro, jouant ainsi à la baisse sur son cours.

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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