Pays Pauvres et Pression Fiscale (Partie 2) (Etude)

Pays Pauvres et Pression Fiscale (Partie 2)

Les performances et les objectifs de la pression fiscale dans les pays à faibles revenus

Résumé :

·        Au cours des dix dernières années, l’Afrique subsaharienne (ASS) a enregistré de réelles améliorations en termes de pression fiscale puisque l’augmentation de ses ressources domestiques a été l’une des plus importantes du monde.

·        Ces performances s’expliquent en partie par une meilleure gestion de l’impôt direct  (sur le revenu, le patrimoine et les bénéfices d’entreprises) et indirect (TVA et autres taxes sur les ventes) dans un contexte d’intégration commerciale croissante conduisant à un tarissement des recettes douanières.

·        Néanmoins, l’évasion fiscale, la corruption, et le manque de moyens des administrations fiscales de certains pays continuent de négativement peser sur les montants collectés. En réponse, des initiatives visant à accroitre les capacités physiques et humaines de ces administrations et à renforcer la coopération fiscale internationale ont récemment été lancées et devraient permettre au pays à faible revenus, et notamment ceux d’ASS, de se rapprocher de leur frontière fiscale sur le moyen-terme.

Depuis près de 50 ans, il est admis que la fiscalité et la capacité à collecter des ressources domestiques constituent des leviers importants pour favoriser le développement économique et social. Dans un précédent article, l’identification de déterminants économiques, sociaux et politiques a permis de comprendre quelles étaient les fondements de la pression fiscale en Afrique subsaharienne. Il convient alors maintenant de se pencher sur la question des performances et des objectifs de la pression fiscale dans cette région afin d’établir un constat et de voir quels objectifs se fixent les pays d’Afrique subsaharienne.

Performances Fiscales en Afrique subsaharienne

Historiquement les pays d’Afrique subsaharienne (ASS) ont (en moyenne) toujours exposé des taux de taxation inférieurs à ceux des pays à faible revenu des autres régions du monde. Cette tendance s’est confirmée sur les années 1990 et 2000. Mais aujourd’hui, bien que possédant en moyenne encore l’un des niveaux de taxation les plus faibles du monde, la région enregistre la progression la plus importante depuis 2000, notamment parmi les pays les plus pauvres (Cf. Graphique 1 ci-dessous). Cette amélioration traduit en partie un effet de rattrapage, les états d’ASS partant de niveaux de taxation plus bas, l’importante marge de manœuvre permet de progresser à un rythme plus soutenu. Néanmoins, le fait qu’à niveau de développement similaire (au sein des pays à faible revenu) l’Afrique subsaharienne ait également enregistré une croissance de ses ressources domestiques plus importante traduit un effort fiscal non-négligeable des autorités Africaines pour mobiliser leurs ressources domestiques.

Graphique 1 : Comparaisons régionales des recettes fiscales parmi les PED

Il serait néanmoins tentant de penser que l’accroissement des ressources domestiques au sein de la région soit dû à la poussée inflationniste des prix des matières premières sur les années 2000 (et début des années 2010) qui aurait ainsi gonflé les revenus domestiques des pays exportant ces ressources. Mais, le graphique 2 présenté ci-dessous indique que si les pays exportateurs de pétrole ont en effet enregistré une hausse de leurs recettes fiscales sur la dernière décennie (notamment le Tchad), cette progression ne semble pas supérieure (en moyenne) à celle observée au sein des pays non-exportateurs de pétrole (bien que la hausse des prix se soit généralisée à d’autres matières premières). De plus, les revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles prennent le plus souvent la forme de redevances ou de droits d’exploitation et ne sont donc pas comptabilisés comme recettes fiscales au sens strict du terme (les taxes). Néanmoins, si la hausse du prix de ces ressources ne semble pas expliquer directement l’augmentation totale des recettes, il est possible que l’accroissement de ces prix ait conduit à booster les bénéfices d’entreprises opérant dans ce secteur, contribuant in fine à faire gonfler le montant des recettes perçues sur leurs bénéfices, et sur le revenu des personnes y travaillant (même si ces secteurs possèdent une forte intensité capitalistique et sont donc peu susceptibles de faire gonfler le revenu national moyen).

Le graphique 2 montre également qu’une grande partie des gains en termes de revenus fiscaux provient de l’amélioration significative de l’imposition sur le revenu, les bénéfices et les plus-values. La progression de l’imposition indirecte sur les biens et services semble également avoir contribué à accroître le niveau de ressources domestiques au sein des pays d’ASS, dont la totalité possède aujourd’hui une taxe sur la valeur ajoutée (bien que la complexité des régimes varie grandement d’un pays à l’autre).

Graphique 2 : Afrique subsaharienne : variation recettes fiscales

Moyenne pour 2000-04 et 2011-14

Ces améliorations sont le fruit d’un effort fiscal plus important des états Africains depuis près d’une dizaine d’années. La notion d’effort fiscal traduit la volonté des autorités en charge de la collecte d’impôts ou de ressources non-fiscales, à collecter ce que leur économie génère en termes de revenus. Autrement dit, un effort fiscal optimal implique que ces autorités réussissent à collecter toutes les taxes disponibles au sein du pays compte tenu des performances économiques et du cadre institutionnel courant. En d’autres termes l’Etat parvient à atteindre sa frontière fiscale.

La frontière fiscale se définit comme une fonction des déterminants de la mobilisation des ressources domestiques (exposés dans un article précédent) et peut donc être économétriquement estimée. Une fois cette frontière fiscale obtenue (soit les recettes potentielles compte tenu du niveau des facteurs structurels qui composent l’assiette fiscale), la comparaison avec le niveau de recettes observé permet de définir la distance qui sépare le gouvernement de sa frontière fiscale. Une étude de Brun et al. (2015) s’est prêtée à l’exercice en estimant la frontière fiscale moyenne de la région sur plusieurs sous-périodes de trois ans et en la comparant à chaque fois au ratio fiscal observé (dans les données). Il en ressort que l’accroissement des recettes publiques observé ci-dessus proviendrait effectivement d’une hausse constante de l’effort fiscal depuis le début des années 2000, l’écart entre recettes fiscales potentielles et observées se réduisant au cours de cette période. D’après les auteurs, ces développements seraient imputables aux bonnes performances enregistrées au sein des pays de l’UEMOA[1] et de la zone COMESA[2] où les ressources minières restent relativement limitées. D’après le FMI, ces efforts supplémentaires probablement induits par une prise de conscience des Etats d’ASS sur les besoins de développer leurs propres sources de financement plutôt que de recourir systématiquement à l’emprunt international, auraient largement bénéficié des investissements publics visant à accroître les capacités de collecte et de suivi des autorités fiscales (Cf. Graphique 3 ci-dessous).

Graphique 3 : Investissement des Administrations Publiques (2000-04 et 2011-14)

Parallèlement, dans son dernier Regional Economic Outlook, le FMI estime le potentiel fiscal individuel des pays d’ASS, mais cette fois-ci uniquement sur l’année 2014, fournissant ainsi une représentation très récente des performances de la région (Cf. Graphique 4). Les résultats montrent que le potentiel fiscal des pays d’ASS est en moyenne positif, impliquant qu’une marge de manœuvre existe encore. Néanmoins les disparités entre ces pays restent importantes. Les pays producteurs de matières premières non-renouvelables (pétrole, diamants) sont ceux qui, en moyenne, exposent le potentiel fiscal le plus important, démontrant ainsi qu’une réglementation fiscale spécifique à ces activités est nécessaire pour que ces richesses puissent être justement taxées et profiter pleinement à l’ensemble de la nation.

Graphique 4 : Afrique subsaharienne, ratio d’imposition effectif et potentiel, 2014

Objectifs et Dernières Initiatives

Les analyses les plus récentes tendent donc à montrer que les pays d’Afrique subsaharienne rattrapent progressivement le niveau de recettes fiscales des pays émergents et ce au prix d’importants efforts fiscaux. Néanmoins, des possibilités d’amélioration existent encore et seront nécessaires aux vues des besoins grandissants de ces pays en termes d’infrastructures (aussi bien économiques que sociales) et également aux regards des ambitieux objectifs de développement durable définis lors du sommet des Nations Unis en septembre dernier. Où se situent ces possibilités d’amélioration ? Nous présentons ici quelques propositions du FMI ainsi qu’un échantillon des initiatives adoptées lors de la troisième conférence sur le développement organisée en juillet dernier à Addis-Abeba.

Tout d’abord et comme souligné par le FMI, les Etats d’ASS ne pourront atteindre leur frontière fiscale qu’en présence d’autorités fiscales compétentes et efficaces. Il est donc essentiel de renforcer la capacité des Etats dans leur entreprise de collecte des impôts via l’accroissement de capital humain et physique (en qualité et quantité) au sein des agences fiscales. Une administration efficace implique également d’avoir un certain degré de transparence et de responsabilité. Toutes initiatives visant donc à réduire la corruption au sein des services publics contribuera à se rapprocher de la frontière fiscale.

Lors des dernières conférences sur le financement du développement un point d’honneur a aussi été mis sur la lutte contre l’évasion fiscale au sein des PED et surtout ceux d’Afrique subsaharienne. Dans cet objectif de lutte contre la fuite des capitaux, l’OCDE et l’UNDP ont jointement lancé l’initiative « Tax Inspector Without Boarders (TIWB) » visant à renforcer les capacités en termes de capital humain des pays les plus démunis face à ce phénomène. Cette initiative vise à accentuer la coopération internationale Nord-Sud mais également Sud-Sud ainsi qu’à apporter au pays en difficulté une expertise et formation spécifique sur les montages financiers permettant ces fuites de capitaux.

Dans le même esprit, « The Addis Tax Initiative », signée par plus de 30 pays, contraint les pays signataires à doubler leur assistance technique dans le domaine de la fiscalité et de la mobilisation des autres ressources domestiques (notamment celles issues de l’exploitation des ressources naturelles). Cette chartre s’engage également à lutter contre l’évasion fiscale. De plus une attention particulière est portée à l’éradication de la corruption au sein des services publics dans le but de collecter aussi justement que possible les revenus disponibles mais aussid’en assurer une utilisation juste et efficace. Ces initiatives de moyen terme (5 à 15 ans) permettront (si elles sont correctement appliquées) d’améliorer le fonctionnement des gouvernements et renforceront leur légitimité à prélever des taxes sur les contribuables qui aujourd’hui éprouvent encore d’importantes réticences à payer leurs impôts compte tenu des faibles retombées économiques et sociales qu’ils perçoivent.

Dans un deuxième temps, le FMI tout comme les pays signataires de l’Addis Tax Initiative reconnaissent le besoin d’élargissement de l’assiette fiscale dans les pays en développement. Cet élargissement est d’autant plus souhaitable en ASS où l’intégration commerciale régionale s’intensifie et tend à réduire significativement les recettes douanières. Cela passera par la capacité du gouvernement à taxer les activités informelles sans pour autant que cela freine le micro-entreprenariat. Le FMI préconise également l’abandon progressif des exonérations fiscales non-justifiées économiquement ou socialement qui sont accordées dans de nombreux pays de la région à d’importantes entreprises et qui entretiennent la corruption et l’opacité au sein des services publics.

Les systèmes d’imposition directe devront également s’harmoniser, aussi bien nationalement que régionalement, dans le but d’éviter les comportements dits « d’évitement de la taxe ». Quant aux régimes indirects, ils devront se montrer suffisamment progressifs pour que les micro et petites entreprises ne se retrouvent pas dans un goulot d’étranglement fiscal. Dans un papier de 2005, Chambas rappelle que la plupart des pays d’ASS appliquent des régimes de TVA à taux unique avec un seuil d’assujettissement assez élevé dans le but de ne pas pénaliser les contribuables les plus pauvres. Mais selon lui, ces régimes ne sont pas suffisants pour faire face à la perte de revenus engendrée par l’intégration commerciale régionale. Cette crainte se renforce d’autant plus aujourd’hui du fait de l’importance des fonds nécessaires au financement d’un développement durable. Une des solutions apportée par Chambas en plus de la fiscalisation des activités encore non-enregistrées, est l’abandon des exonérations de TVA sur les produits de base. En effet, dans les pays pauvres où la population est en majorité rurale, les ménages subsistent grâce à leur production de base et à la vente de celle-ci. Cependant, dès lors que les producteurs paient la TVA sur leurs consommations intermédiaires, une exonération de TVA sur la consommation finale (et donc sur la vente finale) tend à réduire leur marge unitaire et donc à réduire leurs revenus. Ainsi un abandon de ces exonérations permettrait non seulement d’élargir l’assiette fiscale, mais allègerait également les coûts subis par les producteurs ruraux. Néanmoins, cette suppression aurait de fortes chances d’entrainer une hausse des prix à la consommation des produits de base affectant négativement les consommateurs les plus pauvres. Des mécanismes de compensation seraient alors à envisager et pourraient être financés par les impôts additionnels issus de l’assujettissement à la TVA.

Dans un troisième temps, Le FMI ainsi que les pays signataires de l’Addis Tax Initiative proposent la définition d’une taxation spécifique au secteur des ressources naturelles et notamment aux énergies fossiles compte tenu de leur caractère tarissable. Ces propositions s’inscrivent pleinement dans l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et permettraient ainsi d’augmenter significativement le montant d’impôts collectés pour les pays possédant d’importantes réserves d’énergies fossiles.

Enfin, et non des moindres, il est essentiel que l’utilisation des ressources domestiques permettent d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres de façon durable sans quoi il sera difficile, pour ne pas dire impossible, d’entretenir un civisme fiscal, qui représente (en partie) la clé d’une fiscalité efficace et pérenne.

Conclusion

Si l’Afrique subsaharienne semble donc suivre la bonne voie en termes de pression fiscale, elle représente encore une région où l’imposition est relativement faible et les systèmes fiscaux sont peu efficaces. Cependant, les efforts entrepris sur les dernières années et les initiatives récemment définies lors des sommets internationaux devraient, à termes, conduire ces pays à rattraper leur retard vis-à-vis du reste du monde. De plus ces améliorations apparaissent nécessaires compte tenu des importants besoins financiers sollicités par les objectifs de développement durable que les pays pauvres et à revenu intermédiaire se sont engagés à respecter d’ici 2030. Mais si la route est encore longue, le cap est fixé et la marche semble s’accélérer.

Bibliographie

Jean-François Brun, Gérard Chambas et Mario Mansour. « Effort fiscal des pays en développement, une mesure alternative » dans Financer le développement durable, Economica (2015)

Gérard Chambas, « TVA et transition fiscale en Afrique : les nouveaux enjeux », Afriquecontemporaine 2005/3 (n° 215), p. 181-194.

Regional Economic Outlook : Sub-Saharan Africa. IMF, April 2015.


[1] L’UEMOA réunit les pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.

[2] Common Market for Eastern and SouthernAfrica (Marché de l’Afrique orientale et australe).

Diplômé de l'Ecole d'Economie de Paris en Politiques Publiques et de Développement ainsi que de l'Université Paris-Dauphine en Diagnostic Economique, Marin Ferry évolue actuellement au sein d'un service d'analyses macroéconomiques. Ses principaux centres d'intérêt portent sur les problématiques relatives au développement et plus particulièrement sur celles concernant son financement (endettement, aide au développement, transferts).

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