Qu’attend-on de la réunion de la BCE du 3 décembre ?

Actualité : Lors de la prochaine réunion de politique monétaire de la Banque Centrale Européenne, le 3 décembre prochain, Mario Draghi annoncera les prochaines mesures afin de soutenir l’inflation et relancer l’économie dans la zone euro. Deux principales mesures sont attendues et anticipées par les marchés : l’extension du programme de rachats d’actifs lancé depuis mars dernier (Quantitative Easing, QE) et la baisse du taux de facilité de dépôt. En quoi consistent ces mesures et pourraient-elles être efficaces ?


Les assouplissements quantitatifs se traduisent par une augmentation de la taille du bilan de la banque centrale. Celui dont nous parlons, lancé par la BCE le 9 mars 2015, est un plan de 1 080 milliards d’euros, soit 60 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre 2016, afin de lutter contre le risque déflationniste et de peser sur les taux d’intérêt à moyen et long terme ainsi que sur la valeur externe de l’euro. Par son intermédiaire, la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro sont capables de créer de la monnaie et de faire baisser les taux longs en rachetant des titres publics sur le marché secondaire. Ce programme de rachats d’actifs a fait suite à d’autres politiques non-conventionnelles dans la zone euro, comme l’extension de la maturité des opérations de financement (LTRO, Long-term refinancing operations), des programmes d’achats d’obligations sécurisées ou le premier programme d’achat de titres souverains en mai 2010 (SHMPP, Securities held for monetary policy purposes). L’ensemble des montants consentis dans le cadre de ces politiques non-conventionnelles  esy représenté dans le graphique ci-dessous :

Graphe 1 – Taille du bilan de la BCE et montants de ses mesures non-conventionnelles

Sources : Banque centrale européenne, BSI Economics

Ce nouveau programme d’assouplissement quantitatif peut être ajusté en termes de taille, de composition ou de durée afin de parvenir à une politique monétaire plus expansionniste. Une extension et un renforcement sont attendus lors de cette réunion du 3 décembre 2015.

Cette extension du QE devrait être couplée à une baisse des taux de facilité de dépôt, afin de faciliter la transmission dans l’économie du QE en faisant plus rapidement circuler les réserves des banques. Alors que ce taux est déjà négatif en zone euro (-0,20 %), une baisse supplémentaire pourrait avoir des effets positifs sur le crédit. Cette baisse a déjà été anticipée sur le marché et pourrait, donc, doper les effets attendus du QE.

Ces mesures sont-elles vraiment efficaces ? Dans un récent document de travail[1] avec Jérôme Creel et Paul Hubert (OFCE), nous regardons l’efficacité des politiques conventionnelles et non-conventionnelles pendant la crise financière. Nous estimons les effets du taux directeur et des achats de titres dans le cadre des politiques non-conventionnelles de la BCE (SHMPP) sur les taux d’intérêt et volumes de nouveaux crédits sur différents marchés : prêts aux entreprises non-financières, prêts aux ménages, marché souverain, marché monétaire et marché des dépôts. Nous montrons que les politiques non conventionnelles ont permis de réduire les taux d’intérêt sur le marché monétaire, celui des titres souverains et des prêts aux entreprises non-financières. Il semble donc que les politiques non-conventionnelles ont eu des effets directs mais également des effets indirects, en restaurant l’efficacité du taux directeur[2] , inefficace avant la mise en place de telles politiques.

Ces politiques n’ont cependant, selon nous, pas eu d’effet sur les volumes de prêts accordés. Cela peut s’expliquer par la nécessité pour les banques commerciales de se désendetter et de réduire la taille de leurs bilans en ajustant leur portefeuille d’actifs pondérés des risques. Ces comportements nuisent à la transmission de la politique monétaire : les taux baissent mais le crédit ne repart pas.

Selon nos résultats, pour qu’une politique non-conventionnelle soit efficace, il est important qu’elle ne repose pas exclusivement sur le secteur bancaire. En étendant le QE jusqu’en 2017 et en baissant le taux de facilité de dépôt, la BCE se concentre directement sur l’acquisition de titres afin de contourner le secteur bancaire. Grâce à ce contournement, on pourrait donc assister à une amplification de la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle, ce qui serait de bon augure pour échapper au risque déflationniste dans la zone euro.



[1] “The effect of ECB monetary policies on interest rates and volumes”, OFCE Working Paper No 2015-26, https://ideas.repec.org/p/spo/wpmain/infohdl2441-7erap6chdi854b9ao9a3v1e9b9.html

[2] Nous montrons que le taux directeur, dont l’inefficacité a été l’une des justifications à la mise en place des mesures non-conventionnelles, a eu l’effet attendu sur quasiment tous les marchés étudiés, et d’autant plus dans les pays du Sud de le zone euro que dans ceux du Nord sur le marché des titres souverains à 6 mois et des prêts immobiliers aux ménages.

Diplômée de l'École Normale Supérieure de Cachan et de l'École d'Économie de Paris, Mathilde Viennot est docteure en économie après une thèse sur les crises financières et le défaut souverain. Chercheure associée au département d'économie de l'Ecole Normale Supérieure, elle a été conseillère au cabinet de Bernard Spitz à la Fédération Française de l'Assurance et est désormais cheffe de projet au département Société et Politiques Sociales de France Stratégie (Services du Premier Ministre). Elle s'y concentre sur les sujets d'inégalités et de protection sociale. 

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