L’incertitude des politiques économiques : un indice pour la mesurer

Résumé :

·  L’indice EPU (Economic Policy Uncertainty Index) est une mesure du niveau d’incertitude lié à la conduite de la politique économique au travers de la presse, des dispositions fiscales et des écarts de prévisions des économistes.

· L’EPU permet une première approche originale pour estimer des niveaux d’incertitude et une comparaison entre pays et événements économiques et géopolitiques majeurs.

·  La construction de l’indice présente des limites.

·  La sélection des médias utilisée tendrait à biaiser la mesure de l’incertitude...

· ... mais elle pourrait être améliorée, notamment en élargissant et en modifiant la sélection des journaux.

Pour JM Keynes, la notion d’incertitude est au cœur de l’analyse économique. Dans son œuvre majeure, « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », celle-ci pousse les agents économiques à faire preuve de prudence, à investir et à embaucher moins qu’ils ne le devraient. Cette « incertitude » peut se définir, en économie, comme un phénomène de défiance et de non visibilité de l’activité, sur le court et / ou moyen et long terme.

L'objet de cet article est de présenter l’indicateur Economic Policy Uncertainty (EPU) qui est un prolongement de premiers travaux pour quantifier l’incertitude engendrée par la conduite des politiques économiques. Nous présenterons tout d’abord la méthodologie de construction et l’intérêt qu’il présente dans l’analyse macroéconomique. Puis nous  montrerons ses limites avant de conclure sur de potentielles pistes d’améliorations de l’indicateur EPU.

1.   Définition et méthodologie

L’indicateur EPU, “Economic Policy Uncertainty”, développé en 2012 par N. Bloom, Scott R. Baker et Steven J. Davis, est un outil original, novateur et pourrait être amené à faire office de référence dans la mesure de l’incertitude liée à la conduite de la politique économique. L’EPU couvre 13 des principales économies, auquel s’ajoute un 14ème pour l’Europe.

Tous les indicateurs ne sont pas construits de la même manière. De par la nationalité de ses créateurs, la méthodologie a logiquement été établie pour les Etats Unis et l’EPU US est donc le seul à utiliser les trois éléments suivants :

Le 1er élément : Le News Index

Il utilise une sélection fixe de journaux[1] pour quantifier l’incertitude de politique économique. Il correspond au compte du nombre d’articles publiés par mois dans un même journal, dans lesquels apparaissent une combinaison des mots clés, « incertain », « incertitude » avec « économie », « économique » ainsi qu’un ou plusieurs termes politiques relatifs à l’incertitude politique. On normalise chaque série mensuelle provenant de journaux, de sorte à ce qu’elles aient un écart-type égal à 1 avant 2011, et on effectue une moyenne des différents journaux pour chaque mois, de sorte à obtenir des indicateurs EPU à l’échelle européenne et à l’échelle nationale. Enfin, on normalise ces indicateurs EPU avant 2011 de sorte à ce que leur moyenne soit égale à 100. A noter que, l’EPU Europe va utiliser les journaux[2] de l’Allemagne, de la France, de l’Italie, de l’Espagne et du Royaume Uni.

Le 2ème élément : Les dispositions fiscales

Cette composante, uniquement valable pour les Etats-Unis, utilise les rapports du « Congressional Budget Office » ; et établit une liste des dispositions temporaires du code fiscal fédéral américain; dispositions vouées à disparaître dans les dix ans à venir. On obtient cet élément de l’EPU en calculant le montant en dollar des dispositions amenées à expirer et ce pour chaque année[1] . Cette composante permet de quantifier  le degré d’incertitude par rapport aux changements de  dispositions fiscales. Les indicateurs Européens n’utilisent pas cette composante.

Le 3ème élément : Les écarts de prévisions avec le consensus.

Pour le calculer, il faut observer le  « Federal Reserve Bank of Philadelphia's Survey of Professional Forecasters » ; l’écart-type entre les prévisions des répondants[4] sur les variables d’IPC (prévision d’inflation), les dépenses fédérales, les dépenses des états et des collectivités locales, permettant ainsi de mesurer l’incertitude dans les prévisions des économistes par rapport aux variables macroéconomiques et à la dépense publique.

Pour obtenir l’indice global pondéré, il faut normaliser chaque l’élément par son propre écart type d’avant janvier 2012. On calcul ensuite la valeur moyenne de chaque élément en utilisant 1/2 pour le News Index et 1/6 pour les trois autres mesures (l’indicateur des dispositions fiscales, et les écarts de prévisions sur l’IPC et de déficit budgétaire). 

Depuis 2014, les indices Européens n’intègrent plus ce 3ème élément, qui utilisait les écarts de prévisions par rapport au Consensus Economics[5] . Désormais, les indices EPU européens ne sont donc que des indicateurs car ils utilisent uniquement le premier élément, par conséquent EPU Europe, France, Allemagne, Italie et Espagne = News_Index. Cette différence s’explique aussi par l’absence d’équivalent européen d’une  « liste des dispositions fiscales temporaires ». Cet élément ne peut donc pas être pris en compte pour les indicateurs Europe.

2.   L’intérêt d’un tel indice

L’EPU est intéressant car il permet une première mesure de l’incertitude, qui peut être comparée entre pays (ou zone) ainsi qu’entre les différents événements économiques et géopolitiques majeurs.

Le News Index montre une mesure originale au travers de la presse, montrant ainsi l’attention et la couverture médiatique d’un événement ou d’une annonce politique. Le 2ème élément aide à mieux visualiser le rythme et l’ampleur des mesures fiscales d’un pays. Les entreprises et investisseurs ont besoin de visibilité fiscale pour planifier leurs investissements. C’est donc une composante importante dans l’indice EPU. Quant aux écarts de prévisions, ils permettent d’observer la capacité des marchés financiers à lire et prévoir la conjoncture. Des écarts importants traduiraient leur difficulté à anticiper les variations de l’économie, qui pourraient être due à un contexte d’incertitude.

L’EPU aiderait à mieux visualiser les niveaux et les chocs d’incertitude liés à la conduite de la politique économique et ainsi aider à la lecture de la conjoncture économique.

3.    Un indicateur qui présente des limites

Nous pouvons identifier trois limites majeures. La première est que le volume d’articles publiés par les médias n’est pas la retranscription exacte des inquiétudes des acteurs socio-économiques et / ou politiques. Le nombre d’articles va davantage indiquer si l’actualité économique suscite beaucoup de réactions des investisseurs, des entreprises, des médias et va donc mesurer l’importance médiatique liée à une nouvelle ou une annonce de politique économique. Nous pouvons également regretter que l’échantillon compte seulement 2 journaux par pays pour les indicateurs européens.

La deuxième concerne la fiscalité. En effet, les EPU européens ne la prennent pas en compte dans le calcul de l’indice or la fiscalité est au cœur de la politique économique, seul l’UPUUSA mesure de manière concrète les dispositions fiscales à venir. Leur rythme et leur ampleur sont donc connues et donnant ainsi une meilleure visibilité aux acteurs économiques, qui peuvent davantage planifier leur activité.

La troisième porte sur les caractéristiques propres à chaque pays, qui tendent à influencer de manière spécifique leur indicateur national. Ces paramètres sont difficilement quantifiables, nous pouvons citer la culture du pays, l’organisation de la vie politique ainsi que la manière qu’a la presse de traiter les sujets économiques et politiques. Un biais identifiable est celui de « l’encartage politique » d’un journal, encarté à droite un journal aura tendance à être plus virulent avec un gouvernement de gauche par exemple.

4.   Pistes d’améliorations

Le News Index propose une approche nouvelle en se basant sur l’occurrence d’articles traitant d’incertitude économique dans la presse. Si celui-ci présente quelques limites, plusieurs pistes d’amélioration existent pour mesurer l’incertitude économique.

Une première piste serait de modifier l’échantillon de journaux pour mieux refléter l’incertitude globale d’un pays. La sélection de journaux peut se faire par rapport au nombre de tirages, ceux qui sont les plus lus. Ou elle peut s’effectuer par une sélection de journaux « neutres », c'est-à-dire non encarté politiquement, ce qui refléterait davantage l’opinion générale. Soit une sélection plus large de journaux, qui comprendrait des journaux de chaque bord politique et pourrait atténuer  le biais. Une autre possibilité serait de combiner le news index avec d’autres variables, comme les variations de taux d’emprunt, des cours de bourses, des taux de change ou avec les rapports des agences de notation, très suivis par les acteurs économiques.

Une autre solution serait d’utiliser les réseaux sociaux. Si l’on considère que l’incertitude et la confiance peuvent très vite changer et que la presse écrite aurait de moins en moins d’influence, l’utilisation des réseaux sociaux peut se justifier. Le caractère instantané des réactions et de la circulation de l’information devrait avoir un impact beaucoup plus important sur l’incertitude que la presse écrite. De plus, un nombre important de révélations mais aussi de rumeurs potentiellement néfastes sortent d’abord sur les réseaux sociaux. Un tweet est susceptible de circuler beaucoup plus rapidement et d’être lu par un plus grand nombre de personnes qu’un article de presse sur la situation économique.

La troisième voix d’amélioration est de recréer un document sur les dispositions fiscales en Europe (2ème élément). On peut imaginer un « congressionnal budget office » européen, établissant une liste et les montants des dispositions fiscales pour la zone euro et pour chaque pays. Cela serait bénéfique pour centraliser et quantifier les mesures d’économies et l’orientation de la fiscalité.

Une autre option serait de réintégrer l’incertitude calculée à partir des écarts de prévisions en utilisant le « survey of professional forecasters SPF» de la BCE.  L’ajout de nouvelles variables en plus de l’IPC et du déficit budgétaire, tel que la production manufacturière, pourrait renforcer la mesure de l’indicateur.

Conclusion 

L’indicateur EPU propose une approche novatrice en se basant sur l’occurrence d’articles traitant d’incertitude économique dans la presse, les dispositions fiscales et les écarts de prévisions des marchés financiers. Il présente des limites, notamment de par sa construction mais aussi par l’échantillon de journaux retenus. L’augmentation du nombre de journaux ou l’utilisation des réseaux sociaux ou de médias en ligne sont des pistes potentielles d’amélioration. Néanmoins, la question de considérer l’incertitude comme une cause ou une conséquence de la baisse de l’activité économique reste en suspend. Dans un prochain article, nous verrons le cas spécifique de l’indicateur de la France et que d’autres agrégats pourraient permettre de visualiser l’incertitude économique d’un pays.

Références:

Scott R. Baker, N. Bloom et Steven J. Davis (2015): « Measuring Economic Policy Uncertainty » NBER Working papers series

Bloom Nicholas (2009): « The impact of uncertainty shocks » in Econometrica, vol 77, N°3, pp 623-685, The Econometric Society

Notes:

[1] L’indice américain utilise the Miami Herald, the Chicago Tribune, the Washington Post, the Los Angeles Times, the Boston Globe, the San Francisco Chronicle, the Dallas Morning News, the Houston Chronicle, and the Wall Street Journal.

[2] Celui-ci utilise les journaux Le Monde et Le Figaro pour la France, Handelsblatt et le Frankfurter Allgemeine Zeitung pour l’Allemagne, Corriere Della Sera et La Repubblica pour l’Italie, El Mundo et El Pais pour l’Espagne et The Times of London et le Financial Times pour le Royaume-Uni

[3] Une simple pondération est appliquée sur chaque donné de janvier, en multipliant le montant par 0.5^((T+1)/12) ou T est le nombre de mois avant expiration de la disposition fiscale

[4] La liste se compose d’économistes sélectionnées par la Fed de Philadelphie Liste exhaustive disponible sur https://www.philadelphiafed.org/research-and-data/economists

[5] Consensus Economics est une entreprise internationale, qui réalise chaque mois des sondages  sur de nombreuses indicateurs et agrégats économiques et financiers.

Diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Reims (Neoma Business School) après un échange universitaire à la NHH Norwegian School of Economics. Quentin Blanc est actuellement chargé d'études économiques à l'Institut d'Emission des Départements d'Outre Mer (IEDOM), en Guyane. Il a travaillé à la Banque de France et dans la recherche macroéconomique chez Exane Ltd. Ses domaines d’intérêts portent principalement sur les interactions macroéconomiques, l’économie bancaire et le lien entre les indices de confiance et la dynamique économique.

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