Crise en Grèce: risques pour la BCE

Beaucoup de chiffres circulent sur les conséquences d’un défaut grec pour le bilan de la BCE. Qu’en est-il vraiment ?

L’Eurosystème, c'est-à-dire l’ensemble des banques centrales de la zone euro (BCE et Banques centrales nationales –BCN-), est directement [1] exposé dans son ensemble à la Grèce à travers :

- l’ELA (Emergency Liquidity Assistance), qui sont des prêts accordés par la Banque centrale de Grèce aux banques grecques en échange de collatéral de faible qualité. Actuellement 89 milliards environ (source : BCE)

- le SMP (Security Market Program), programme d’achat d’actifs mené par la BCE, démarré en mai 2010 et stoppé quelques mois après. Environ 18 milliards d’euros (Reuters, cf infra).

- les ANFA (Agreement on Net Financial Assets), qui sont des actifs détenus par les banques centrales nationales (surtout la Banque de Grèce) pour des raisons d’investissement. Actuellement environ 7 milliards d’euros (source : euronews, cf infra)

- les obligations apportées en collatéral dans le cadre des TLTRO menés avant février 2015 (montants inconnus, mais potentiellement négligeables)

- les créances TARGET 2, qui sont des créances reflétant les flux de paiement de la Grèce vers les autres pays de la zone euro. (dernière donnée mai 2015 : 100 milliards d’euros [2] , montant supérieur depuis). De par la nature particulière de ces créances (qui ne sont pas une « dette » avec échéance), des pertes pourront se matérialiser uniquement dans le cas d’une sortie de la zone euro (précision souvent négligée).

La BCE, dans tout cela, est exposée directement dans le cadre du SMP seulement. L’ELA est en effet mené dans les faits par la Banque Centrale de Grèce qui « assume les coûts et les risques liés à la fourniture des liquidités d’urgence » (cf infra). Les ANFA sont détenus par les banques centrales nationales dans le cadre d’activités d’investissement (cf lettre de Mario Draghi), les risques sont donc logiquement portés par les banques centrales respectives. A noter que la Banque de Grèce en détient la majeure partie, un tiers d’après ce rapport de l’IIF cité récemment par Bruegel. Les créances TARGET 2 sont détenues par la BCE mais la BCE joue un rôle d’intermédiaire ici : lorsqu’elle enregistre une créance TARGET2 sur la Grèce elle enregistre une dette correspondante sur une autre banque centrale de l’Eurosystème. Ainsi, en cas de sortie de la Grèce de la zone euro et d’effacement partiel des dettes TARGET2, il y a fort à parier que les dettes correspondantes de la BCE s’effaceront également, de sorte à ce que cela soient les banques centrales nationales et non la BCE qui supportent la perte.

Au final, l’exposition totale de la BCE suivant notre raisonnement est de 18 milliards d’euros, portant sur le SMP seulement [3] . L’exposition de l’Eurosystème dans son ensemble si sortie de la zone euro (hors Banque de Grèce donc), supposant que le solde Target 2 suive la même évolution que dans le mois précédent, porte sur 125 milliards d’euros (18 milliards SMP, environ 5 milliards ANFA, 102 milliards TARGET 2).

Avec un niveau de capital effectif (incluant les réserves de révaluation) de prêt de 500 milliards d’euros pour l’Eurosystème, l’exposition reste négligeable d’un point de vue économique, mais politiquement significative. Toute perte à ce niveau représente en effet une perte pour les contribuables européens : dans la mesure où les profits des banques centrales sont reversés à leurs Trésors respectifs, les pertes se traduiront par une absence de rentrées fiscales pour les Etats de la zone euro. Pour la France par exemple, supposant une répartition des pertes proportionnelle au capital détenu, l’exposition des contribuables français à travers l’Eurosystème en cas de sortie de la Grèce de la zone euro dépasse les 17 milliards d’euros [4] .

Julien Pinter

  @JulienP_BSI

Notes:

[1] Il existe d’autres expositions indirectes (eg via Covered Bonds achetées aux banques grecques), nous les négligeons ici par soucis de simplicité.

[2] Nous nous intéressons uniquement aux créances TARGET 2 relatives aux flux de paiements, et non aux créances TARGET 2 dues aux règles d’allocation des billets au sein de l’Eurosystème. Ces derniers ne représentent en effet pas une « perte » pour les autres banques centrales comme le seraient les soldes dues aux flux de paiements. En incluant ces montants, les créances TARGET 2 s’élevaient à 117 milliards fin mai 2015.

[3]  Notons que la BCE possède des réserves de change de la Banque centrale de Grèce pour un montant de 1 milliard d’euros, négligeables mais qui pourraient entrer dans la balance en cas de sortie de la zone euro.

[4] 14.2% * 120 (supposant pas de détention de titres ANFA par la BdF). Si la Grèce reste dans la zone euro, l'exposition ici porte seulement sur le SMP et les potentiels titres ANFA si la Banque de France en détient (nr)

Sources:

- Reuters, « How much Greece owes to international creditors » June 2015

- Euronews

- BCE “Procédures relatives à la fourniture de liquidités d’urgence »

- ECB capital-key

Pour aller plus loin:

Ricardo Reis (2015) Maintaining Central-Bank Solvency under New-Style Central Banking

Julien Pinter est chercheur en Economie monétaire à l'Université de Minho. Il était auparavant chercheur invité à l’Université de Harvard et à la Charles University de Pragues. Il est docteur diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur des questions liées aux politiques monétaires, aux régimes de change et à la communication des banques centrales. Il a des expériences de travail à la Banque Centrale Européenne et à la Banque de France en particulier. Il a été visiting researcher à l'Université d'Amsterdam, a travaillé à l'Université de Bruxelles Saint-Louis et étudié à l'Université de Stockholm.

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