Investissement : la rechute ?

Résumé :

-  Depuis plusieurs années, le taux d’investissement faiblit en France, alors que les dépenses d’investissement étaient un des moteurs de la croissance avant crise.

-  Certains déséquilibres causés par l’entrée de l’économie française dans la zone euro et le déclenchement de la crise sont à l’origine de ce ralentissement.

-  Les politiques économiques menées en France (CICE, baisse des charges patronales) et en Europe (assouplissement quantitatif de la BCE, plan Juncker) devraient favoriser le redémarrage de l’investissement en France en 2015.

-  Certains freins devraient toutefois limiter l’ampleur de ce rebond : faiblesse de la demande et des taux d’utilisation des capacités de production, situation financière des Etats et des entreprises. 

La croissance de l’activité patine depuis plusieurs années en France. Les pressions de la Commission européenne pour l’assainissement des comptes publics, et la hausse de l’épargne des ménages français ont provoqué le ralentissement de la consommation. Par ailleurs, le dynamisme perdu des échanges intra zone euro pèse sur la demande extérieure. Enfin, l’investissement rechute depuis plusieurs trimestres après son rebond en 2010-2011. Nous nous attarderons sur ce dernier point, afin de comprendre pourquoi la formation brute de capital fixe connaît de telles difficultés aujourd’hui, après avoir été pendant de nombreuses années un des piliers de la croissance en France.

1.    L’investissement, pilier de la croissance économique française

Tirée notamment par la vigueur de sa demande intérieure, la France a connu une croissance relativement dynamique lors des années qui ont suivi son entrée dans la zone euro (autour de 2,2% en moyenne sur la période 2000-2007) avant de ralentir nettement depuis le déclenchement de la crise (0,2% en moyenne sur la période 2008-2014). Au cours de ces  quinze dernières années, la progression du produit intérieur brut français s’est largement appuyée sur la demande de biens d’investissements. Le taux d’investissement de l’économie française, qui mesure le poids de l’investissement dans le PIB, est d’ailleurs l’un des plus élevé d’Europe, à 22% en 2014 (contre 19% aux Etats-Unis, 18% en Allemagne, en Espagne et aux Pays-Bas, 17% en Italie, et 15% au Royaume-Uni), selon les estimations du FMI.

Au cours de la première partie des années 2000, la formation brute de capital fixe des entreprises a connu une progression plus forte que la consommation en France,  atteignant un pic en 2007. Le volume d’investissement a lourdement chuté durant la récession de 2008-2009, avant de rebondir en 2010-2011, certes insuffisamment pour retrouver son niveau d’avant crise. Depuis ce rebond, l’investissement a connu un nouveau mouvement de reflux, entamé en 2012, participant au ralentissement de l’économie française, tirée avec faiblesse par la consommation publique ces dernières années.

La morosité de la conjoncture et le manque de vigueur de la demande, ne sont pas les seulesraisons de cette rechute de l’investissement en France, qui s’explique également par les difficultés financières que connaissent les entreprises françaises. En effet, si l’on observe l’évolution du produit intérieur brut français par les revenus, on remarque depuis plusieurs années une rupture par rapport aux tendances de long terme du partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les excédents bruts d’exploitation (les profits), au détriment des entreprises. Ce phénomène s’est matérialisé par un affaiblissement des taux de marge (ratio entre les excédents bruts d’exploitation des entreprises et la valeur ajoutée crée par ces dernières) des sociétés non financières.

2.    Un choc en deux temps sur l’investissement des entreprises

Malgré la bonne tenue du volume d’investissement en France depuis son entrée dans la zone euro, la rechute de l’investissement en France en 2014 traduit une faiblesse de certains secteurs qui ne date pas du déclenchement de la crise.

Depuis son entrée dans la zone euro, la France a vu baisser ses parts de marchés à l’export au niveau mondial et européen pour plusieurs raisons. Sa compétitivité coût a connu une dégradation importante au début des années 2000, qui s’est traduite par une hausse de son taux de change effectif réel. Ce manque de compétitivité s’est transformé par le jeu de la concurrence internationale sur les prix et par une réduction de la profitabilité des entreprises françaises dans les secteurs exposés.  En baissant leurs prix, elles ont subi une dégradation de leurs marges et de leur capacité d’autofinancement. Fragilisées financièrement, les entreprises exportatrices françaises ont réduit leurs volumes de dépenses en R&D, capables de favoriser une montée en gamme et de générer des gains de compétitivité hors coût, et subit une accélération de la baisse de la part de l’activité industrielle dans la valeur ajoutée. Parallèlement, la politique de déflation salariale menée en l’Allemagne, qui est son premier partenaire commercial, a amplifié les difficultés françaises en comprimant sa demande domestique et donc ses importations. Dans ces conditions, la formation brute de capital fixe s’est réduite dans la plupart des secteurs exposés en France, notamment manufacturiers.

Conjuguée à ces problèmes de compétitivité déjà existants en France, la crise a constitué un nouveau choc de rentabilité qui a  provoqué une hausse importante de la sinistralité des entreprises dans les secteurs exposés, déjà en difficulté financièrement. Le nouvel affaiblissement critique du taux de marge des entreprises dans un environnement économique dégradé trouve aujourd’hui en partie ses origines dans la résistance de la progression de la masse salariale malgré le ralentissement de l’activité.

Dans les secteurs des services, l’investissement a relativement bien résisté depuis 2007, après avoir rapidement progressé dans les années précédentes, se situant en 2014 à plus de 30% au-dessus de son niveau de 2000. Ce n’est pas le cas dans l’industrie. Dans le secteur de la construction, l’investissement a fortement reculé depuis 2007, après avoir connu une forte croissance au début des années 2000. Dans les secteurs manufacturiers, la progression du volume d’investissement a été plus faible que dans les autres secteurs durant les années précédant la crise, et son repli depuis 2007 l’a ramené à son niveau de 2000. 

Le recul des dépenses d’investissement privé en France a été partiellement compensé par une hausse de l’investissement public en 2008-2009. Mais l’investissement s’est essoufflé dès 2010 devant la reprise des investissements privés et la stratégie de réduction des déficits publics menée en zone euro. La rechute de l’investissement privé, entamée en 2012, s’est accompagnée dans un premier temps par une nouvelle hausse de l’investissement public. Depuis début 2014, les volumes d’investissement public et privé reculent ensemble pour la première fois depuis 2008, donnant lieu à cette rechute inquiétante du niveau de la formation brute de capital fixe en France.

3.    Mutations de la demande d’investissement

La part des salaires a ainsi progressé dans le produit intérieur brut, au détriment des excédents bruts d’exploitation des entreprises. Ce phénomène a permis à l’économie française d’être particulièrement résistante aux épisodes de récession qui ont touché l’économie de la zone euro, grâce à la vigueur de la consommation qui a soutenu la demande domestique. A l’heure de la (timide) reprise qui se profile, cette ponction opérée au niveau macroéconomique sur les entreprises limite fortement leur capacité d’investir. En conséquence, les secteurs producteurs de biens d’investissements, qui dépendent directement de la vigueur de la demande de formation de capital fixe, ont connu un rebond limité depuis 2009.

L’origine de la demande d’investissement a changé et conduit à une modification de la structure des investissements réalisés en France. Alors que les investissements immobiliers avaient connu une croissance dynamique durant le début des années 2000, ils connaissent aujourd’hui un ajustement à la baisse en raison notamment du manque de moyens des collectivités. Sur les postes d’investissement tels que les machines, équipements, infrastructures de transports, on observe une baisse chronique de leur part dans la formation brute de capital fixe depuis une quinzaine d’années. A l’inverse, le poids  des actifs incorporels (qui n’ont pas de matière physique, tels que la formation, la publicité, l’achat de logiciels, etc.) a progressé grâce à la tertiarisation de l’économie. La demande d’investissements issue des activités de services n’ayant pas la même structure que celle des activités industrielles ou agricoles.

Le manque d’attractivité de l’économie française généré par la dégradation de sa compétitivité coût et hors coût s’est traduit dans certains secteurs par une réduction des investissements directs (article sur ce sujet sur le site de BSI Economics) des entreprises étrangères en France ces dernières années. Les sociétés françaises elles-mêmes choisissent de plus en plus de localiser leurs sites de production à l’étranger, comme le révèle la position extérieure de l’investissement de l’économie française. Ce déploiement à l’étranger des entreprises françaises permet de compenser en partie le déficit extérieur généré par la dégradation de sa balance commerciale, grâce à des flux de revenus d’actifs très positifs.

4.    Vers un rebond progressif de l’investissement à partir de 2015 ?

L’investissement pourrait entamer un rebond en 2015 grâce à la conjonction de plusieurs facteurs. Plombé depuis plusieurs années par le recul du secteur de la construction qui pourrait prendre fin au cours des prochains trimestres, l’investissement pourrait être soulagé de cette contribution négative (selon les perspectives de la note de conjoncture de l’INSEE de décembre 2014). Le niveau de l’investissement pourrait également profiter de l’amélioration de la situation financière des entreprises qui devrait s’améliorer pour deux raisons principalement. Tout d’abord, la baisse des cours pétroliers, qui diminuera les coûts de production. Ensuite, les baisses d’impôts et les allègements de charges grâce au déploiement du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) ainsi que du pacte de responsabilité et de solidarité, qui devraient quant à eux baisser le coût du travail et stimuler les marges des entreprises. Enfin, les conditions de financement des entreprises continuent de s’améliorer. Sur les marchés, les financements obligataires publics et privés bénéficient des mesures d’assouplissement de la Banque centrale européenne. Concernant le financement bancaire, les enquêtes de la banque de France sur les taux des crédits aux entreprises font état de niveaux historiquement faibles. 

Si les raisons d’espérer existent, plusieurs freins à l’investissement devraient toutefois limiter l’ampleur du possible rebond de l’investissement en France en 2015. Les entreprises peuvent investir soit pour remplacer leur capital usager, soit pour augmenter leurs capacités de production. Ce désir de hausse des capacités de production sera freiné par la faiblesse des indicateurs de taux d’utilisation. Par ailleurs, les entreprises pourraient utiliser le redressement de leurs marges dans un premier temps pour se désendetter, augmenter les salaires, voire distribuer des dividendes. Enfin, le manque de dynamisme persistant de la demande domestique et européenne, et donc de débouchés constitue toujours un obstacle à la reprise de l’investissement.

Conclusion : patience…

En 2015, en plus de la baisse des cours du pétrole, la montée en charge du CICE et la baisse des cotisations patronales libèreront progressivement la capacité d’investir des entreprises en France. Au niveau européen, l’investissement bénéficiera de la mise en œuvre du plan Juncker, qui prévoit le déploiement de fonds publics pour garantir des investissements privés. Malgré ces facteurs favorables, le redémarrage de l’investissement devrait être progressif, en raison de la situation financière des entreprises et des administrations, ainsi que de la faiblesse de la demande et des indicateurs d’utilisation des capacités de production déjà existantes.

Clément Bouillet est diplomé de l'Université Paris Dauphine et Paris Val de Marne. Après une expérience comme économiste à EDF, Clément Bouillet évolue actuellement dans un service d'étude économique d'une compagnie d'assurance.

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