Vieillissement et croissance : le grand défi ?

Résumé :

- L'immense majorité des pays développés, ainsi que certains pays en développement, font actuellement face à un vieillissement de leur population.

- Cela se traduit essentiellement par une augmentation de la proportion de personnes âgées dans la population totale.

- Dans cet article, nous montrerons en quoi cette dynamique tend à affecter négativement le produit intérieur brut (PIB) par habitant et donc sa croissance.

- Enfin, nous mettons en avant les forces pouvant aller contre l'effet négatif de cette évolution démographique.

Le vieillissement de la population est un phénomène qui touche à peu près toutes les économies développées. Dans le débat actuel, il est, par exemple, souvent questions de réformes visant à allonger la durée de la vie active. Dans cet article, nous montrons que la justification de ce type de réformes est essentiellement due au fait que le vieillissement a mécaniquement un effet négatif sur le PIB par habitant et sur sa croissance. Afin d'illustrer ce propos nous présentons le PIB sous forme d'équations simples où apparaît la composante démographique du vieillissement.

Le vieillissement : un aperçu au niveau international

Le graphique suivant montre l'évolution du ratio des personnes de plus de 65 ans sur la population de 15 à 64 ans pour différents pays : Chine, France, Allemagne, Italie, Japon et États-Unis. Les données après 2010 sont des projections de l'évolution de ce ratio (que nous appellerons ratio de dépendance).

Dans tous ces pays, on observe une augmentation prévue du ratio de dépendance dans les années à venir. Les pays où ce ratio devrait être le plus fort sont clairement le Japon, l'Italie et l'Allemagne. De manière générale, dans tous les pays présentés sauf la France ce ratio de dépendance devrait quasi doubler, voire plus d'ici à 2050. Deux évolutions parallèles sont à l'œuvre dans les pays développés: baby-boom et allongement de l'espérance de vie notamment grâce à la hausse des dépenses de santé. Pour la Chine, une partie de l'évolution est due à la politique de l'enfant unique.

Sources : UN, BSI Economics

(Les données après 2010 sont des projections)

Le PIB en équations

Pour comprendre en quoi le vieillissement affecte le PIB par habitant, il est fondamental de faire appel à quelques équations simples. Dans cette partie, nous allons donc décortiquer pas à pas le PIB par habitant afin que le lecteur puisse comprendre en quoi celui-ci peut être influencé par le vieillissement. Tout d'abord, nous pouvons définir le PIB de la manière suivante :

PIB = Productivité horaire moyenne par travailleur * Nombre moyen d'heures travaillées par travailleur * Nombre de travailleurs

Cette équation signifie que ce que produit un pays dans une année est égal à ce que produit en moyenne un travailleur en une heure, fois le nombre d'heures travaillées en moyenne par chaque travailleur, fois le nombre total de travailleurs dans l'économie.

Le PIB est certes une mesure importante mais bien souvent les économistes sont plus intéressés parle PIB par habitant (ou par tête ou per capita), celui-ci s'écrit :

PIB per capita = PIB / Population totale

Le PIB per capita mesure donc la production par habitant d'une économie. Un PIB per capita identique entre deux pays indique en général des niveaux de développement similaires[1] . On peut réécrire notre mesure du PIB par tête (donc de la richesse des individus d'un pays) en utilisant notre première équation :

PIB per capita = Productivité horaire moyenne par travailleur * Nombre moyen d'heures travaillées par travailleur

* (Nombre de travailleurs / Population totale)

Le vieillissement affecte le PIB par tête via le terme entre parenthèses, que nous pouvons réécrire :

Nombre de travailleurs / Population totale = Population en âge de travailler * Taux d'emploi / Population totale

Le taux d'emploi désigne la part des personnes en âge de travailler qui occupe un emploi. Ceci nous permet en fin de compte de réécrire le PIB par tête de la manière suivante :

PIB per capita = Productivité horaire moyenne par travailleur * Nombre moyen d'heures travaillées par travailleur

* Taux d'emploi * (Population en âge de travailler / Population totale)

Cette dernière équation est fondamentale pour comprendre les conséquences du vieillissement sur le PIB par tête. En effet, le vieillissement réduit la part de la population en âge de travailler dans la population totale (le dernier terme entre parenthèses). Il a donc pour effet, toutes choses égales par ailleurs, de réduire le niveau de PIB par tête.

Imaginons un monde où seraient constants : la productivité horaire moyenne par travailleur, le nombre moyen d'heures travaillées par travailleur, le taux d'emploi. Dans ce monde, le vieillissement progressif que nous observons actuellement entraînerait mécaniquement une croissance négative du PIB par tête si l'âge moyen de départ à la retraite restait constant.

Pour la France, un simple calcul[2] suggère que, toutes choses égales par ailleurs, le vieillissement entraînerait une croissance annuelle moyenne du PIB par tête de -0,31% entre 2005 et 2050. Au final, cela entraînerait une réduction du PIB par tête de -13,14% entre 2005 et 2050. Les chiffres pour les autres pays sont présentés dans le tableau ci-dessous :

Effets du vieillissement sur la croissance

Sources UN, BSI Economics. Calculs de l'auteur.

Contre le vieillissement quelles solutions ?

Dans la section précédente nous avons montré l'influence négative du vieillissement sur la croissance. Il est intéressant de comparer les chiffres précédents à ceux de la croissance annuelle de la productivité horaire du travail[3] . Sur la période 2007-2012, la croissance de celle-ci est d'environ 0,3% en zone euro alors qu'elle était de 1,18% sur la période 1995-2007.

Une croissance de la productivité horaire du travail de 0,3% ne peut au mieux compenser une baisse du ratio travailleur sur population totale du même ordre de grandeur. Cela serait insuffisant pour un pays tel que l'Allemagne et entraînerait donc une croissance négative sans autre ajustement. On peut bien évidemment espérer une évolution plus favorable quant à la croissance de la productivité horaire du travail. Cependant, la tendance sur le long-terme de celle-ci est plutôt négative avec un niveau en général de plus en plus faible.

Reprenons notre dernière équation pour mieux comprendre quels types de politiques peuvent nous permettre de compenser l'effet négatif du vieillissement sur le PIB par tête.

PIB per capita = Productivité horaire moyenne par travailleur * Nombre moyen d'heures travaillées par travailleur

* Taux d'emploi * (Population en âge de travailler / Population totale)

Le premier type de politique qui peut être mis en place est celui qui vise à augmenter la productivité horaire par travailleurs. Cela peut être effectué de différentes manières. On pense en particulier à l'amélioration du système éducatif, l'amélioration de la formation professionnelle durant la vie active et ou la réduction de certains freins à l'innovation. Au final, cette dernière risque d'être clé et on peut penser nécessaire de favoriser l'investissement en recherche et développement pour au moins maintenir le niveau du PIB par tête. Ces politiques sont souvent de long-terme et peuvent avoir des résultats variables et incertains. Elles restent cependant celles qui sont le plus liées à la notion de progrès.

Une deuxième possibilité est d'augmenter le nombre moyen d'heures travaillées par travailleur. En France, le nombre d'heures travaillées moyen est d'environ 28,5 heures par semaine. Ce chiffre peut être augmenté via plusieurs leviers : réduction du temps partiel, augmentation de la durée légale du travail, incitations aux heures supplémentaires... Même si le débat politique en France notamment repose la question de la durée légale du travail, il n'en reste pas moins que celle-ci est sujette à controverse notamment parce que la réduction du temps de travail fut une des évolutions positives du progrès économique[4] .

Une politique moins sujette à controverse est celle visant à une augmentation du taux d'emploi. Une première manière d'augmenter le taux d'emploi serait de réduire le taux de chômage qui est, par exemple, aujourd'hui élevé en France (10,4% de la population active) et qui tend à réduire le PIB par habitant. Bien évidemment dans les faits, cela est complexe. Pour augmenter le taux d'emploi peuvent être également mises en place des politiques visant par exemple à augmenter le taux de participation des femmes au marché du travail.

Finalement, on peut décider d'augmenter la part de la population en âge de travailler sur la population totale. Il existe essentiellement (pour ce qui est du moyen terme) deux solutions. La première est l'allongement de la durée de vie au travail qui est une tendance générale dans la plupart des pays développés. La seconde est une politique d'immigration visant à faire venir des travailleurs d'autres pays[5] .

La question du PIB par tête est étroitement liée à celle de la soutenabilité des systèmes de retraite. En effet, dans un système par répartition, afin de maintenir un système de retraite "généreux", il est nécessaire de maintenir le PIB par habitant à un niveau élevé. En ce qui concerne la France, celle-ci a effectué plusieurs efforts : report de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans et augmentation de la durée de cotisation à 43 ans pour obtenir une retraite à taux plein. Cependant, on voit actuellement que les régimes complémentaires sont exsangues[6] . De même, si le Conseil d'Orientation des Retraites (COR) s'est voulu récemment plutôt optimiste en ce qui concerne le régime général[7] , il n'en reste pas moins que la plupart des prévisions sont basées sur des hypothèses optimistes. Par exemple, dans le cas d'un taux de chômage de 7% et d'une croissance de la productivité du travail de 1,3% par an, le régime serait constamment en déficit sur les quarante prochaines années. Etant donné que le chômage est aujourd'hui en France de plus de 10%, que la croissance de la productivité du travail[8] n'a été que de 0,27 % par an sur la période 2007-2012 et que cette croissance de la productivité a constamment eu tendance à diminuer lors des cinquante dernières années, il est possible de faire preuve d'un certain scepticisme quant à la soutenabilité de notre système de retraite en l'état.

Il ne s'agit pas d'être alarmiste. Cependant, il est vrai que le prolongement d'un environnement de faible croissance de la productivité avec un taux de chômage même modéré (pour la France) de 7% reposerait automatiquement les questions portant sur l'allongement de départ à la retraite, de l'augmentation des cotisations ou de la baisse des prestations. En effet, si, par exemple, la croissance de la productivité s'avère trop faible l'effet négatif de la démographie sur le PIB par habitant risque d'entraîner de douloureux arbitrages entre générations (actifs vs inactifs).

Conclusion

En conclusion, nous avons vu que le vieillissement de la population aura mécaniquement un effet négatif sur la croissance de la plupart des économies développés et de certaines économies en développement (Chine par exemple). Il existe quatre leviers pour contrer cette évolution :

-  augmenter la productivité horaire moyenne par travailleur,

-  augmenter le nombre d'heures travaillées par travailleur,

- augmenter le taux d'emploi,

- augmenter le nombre d'individus en âge de travailler via une augmentation de la durée de vie au travail ou une politique d'immigration.

Notes

[1]  Bien évidemment d'autres indicateurs de développement existent tel que l'IDH (Indicateur de Développement Humain). Cependant, ici nous nous limiterons par simplicité au PIB comme mesure du bien-être. La prise en compte d'autres indicateurs ne devrait cependant pas modifier les conclusions principales de cet article.

[2] Calculs de l'auteur. Ces chiffres se veulent avant tout illustratifs et nous mettons en garde le lecteur à ne pas les sur-interpréter. Toute chose égale par ailleurs nous avons: 

(PIB per capita en t - PIB per capita en t-1) / PIB per capita en t-1 =((Population en âge de travailler en t / Population totale en t) - (Population en âge de travailler en t-1 / Population totale en t-1)) / (Population en âge de travailler en t-1 / Population totale en t-1).

En faisant l'hypothèse que: Population en âge de travailler en t / Population totale en t =1/(1+ ratio de dépendance en  t), (c'est-à-dire qu'on ne prend pas en compte l'évolution de la population de moins de 18 ans), la formule précédente donne:

croissance du PIB par habitant en t et t-1 = (1+ratio de dépendance en t-1)/(1+ratio de dépendance en t) - 1.

Donc plus le ratio de dépendance en t sera élevé par rapport à celui en t-1, plus la croissance sera faible.

[3 ]http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/jpf-27-septembre-2013.pdf

[4]  En effet, on a généralement observé en parallèle du progrès économique un diminution du nombre hebdomadaire d'heures travaillées. Cette évolution s'explique par l'augmentation de la productivité du travail qui a permis aux individus de produire plus en moins de temps et donc de s'allouer plus de temps libre. 

[5]  Sur le sujet voir l'article récent de BSI : http://www.bsi-economics.org/index.php/macroeconomie/item/445-defi-demographique-allemagne.

[6]  http://www.lesechos.fr/journal20141219/lec1_france/0204026929816-retraites-complementaires-lappel-au-courage-de-la-cour-des-comptes-1076662.php

[7]  http://www.lesechos.fr/economie-france/social/0204018512872-retraite-les-previsions-un-peu-moins-alarmistes-du-cor-1075263.php

[8]  Voir http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/jpf-27-septembre-2013.pdf

Références:

Un débat entre économistes s'est ouvert récemment aux Etats-Unis pour savoir si la croissance de la productivité pourra compenser en autre l'effet négatif de la démographie. Ce débat a notamment été lancé par l'économiste Robert Gordon. Voir notamment l'article:

http://economics.weinberg.northwestern.edu/robert-gordon/NBER%20P383F%20Sequel_140126.pdf

et les autres articles sur son site:

http://economics.weinberg.northwestern.edu/robert-gordon/researchhome.html

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Bertrand Achou est docteur de l'Ecole d'Economie de Paris, de l'Université Paris 1 et de l'université Ca' Foscari. Sa thèse et ses domaines de recherche portent sur l’évaluation des actifs immobiliers et sur le financement de la fin de vie.

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