Le retour au Glass Steagall Act, une fausse bonne idée

La crise financière de 2007-2009 a mis en évidence les faiblesses du système bancaire mondial. De la titrisation des crédits subprimes à la défaillance d’une réglementation émolliente, en passant par les risques excessifs pris par les opérateurs financiers ou encore par le caractère systémique de certains établissements bancaires, diverses explications ont été fournies pour expliquer la crise et surtout pour comprendre quelles mesures devaient être mises en place à l’avenir, à la fois pour prévenir et endiguer de tels dysfonctionnements.

 
Parmi ces mesures, l’instauration d’un  nouveau Glass Steagall Act semble particulièrement séduire, tant le monde politique que certains économistes. Pour autant, on peut se permettre de douter de son efficacité réelle, tant son apport est aussi incertain que mitigé.
 
Le Glass Steagall Act ou Banking Act a été établi en 1933 aux Etats-Unis sous l’administration Roosevelt dans le cadre du New Deal. Il intervenait après la crise de 1929 et avait, entre autres, pour objectif de séparer les banques de dépôt des banques d’investissement. Cette loi fut abrogée en 1999 par le Financial Services Modernization Act. 
 
Il est indéniable que le fait que certaines  banques aient considérablement augmenté leur « taille », depuis ces vingt dernières années, a amplement fragilisé et menacé la stabilité du système financier et par effet de déversement, l’économie réelle. Dès lors, instaurer un nouveau Glass Steagall Act contribuerait à minimiser la taille des établissements bancaires et à éviter que les activités d’investissement d’une banque puissent se répercuter sur les dépôts de leurs clients, ce qui est louable.
 
 
Une efficacité douteuse pour un résultat mitigé
 
Toutefois séparer les activités d’investissement, de celles de dépôt, n’aurait pas forcément les résultats attendus. Parmi les banques qui ont fait faillite lors de la crise, toutes n’étaient pas des banques  à caractère universelle : le meilleur exemple est celui de la Northern Rock, en Grande Bretagne, une importante banque exclusivement de dépôt qui a fait faillite avant d’être nationalisée en février 2008.
 
De plus, au-delà des plans d’aides et des bailout apportés aux banques, certaines banques se sont montrées plus résilientes que d’autres grâce à leur structure diversifiée. Cette diversification  leur a  permis de compenser les pertes subies par un secteur d’activité et par les performances d’autres sous divisions. Il est actuellement très difficile de mesurer avec exactitude les effets de contagion au sein d’institutions financières si importantes. Il est alors difficile de  tirer des conclusions sur les avantages de la séparation des activités des banques. Il semblerait même que cela puisse contribuer à l’affaiblissement de certains établissements bancaires.
 
Aussi, à aucun moment les débats sur un nouveau Glass Steagall Act   ne se préoccupent de la délicate question de la gestion des liens entre banques et hedge funds, pourtant source évidente de risque systémique et d’instabilité chronique future ; les bailouts des banques ne sont pas non plus considérés, bien qu’ils aient coûté près de 14 000 milliards de dollars principalement aux Etats-Unis, en Europe et en Grande Bretagne (soit un quart du PIB mondial)
 
A la recherche de compromis plus efficaces
 
Le retour à un Glass Steagall Act ne semble donc pas vraiment adapté pour résoudre efficacement les problèmes  intrinsèques que représentent la taille des banques et la protection des dépôts. Il est trop radical, sans efficacité avérée et sans doute trop contraignant, ce qui risquerait d’affecter le système bancaire et l’économie réelle.
 
Plusieurs compromis ont été proposés ces dernières années, essentiellement par la littérature économique mais pas uniquement. Leurs objectifs se résument par leur volonté commune d’éviter de reproduire les mêmes erreurs que par le passé, tout en essayant d’améliorer la solidité du système financier, ou du moins bancaire, en incitant les banques à tendre vers plus de discipline de marché. Il n’est pas question ici de dresser une liste exhaustive de ces propositions mais de présenter celles qui constituent les approches les plus efficaces et les plus séduisantes.
 
Parmi celles-ci, on peut citer la Volcker Rule (règle Volcker), issue du Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act aux Etats-Unis en 2010. Cette  règle prend peu à peu le pas  sur le Glass Steagall Act dans les pays anglo-saxons et séduit de plus en plus au sein de la Zone Euro.
 
On peut brièvement la résumer via ses deux volants principaux : le premier interdit à toute entité bancaire d’investir dans des hedge funds ; le second précise d’une part que les banques ne pourront pas investir leurs fonds pour compte propre ou contre l’intérêt des clients. D’autre part les banques de dépôt, assurées du risque de défaut, se verront interdire d’acquérir ou de fusionner avec une autre banque. Le Dodd-Frank Act semble plus pertinent et efficace que le Steagall Act et répond donc bien au double objectif évoqué plus haut.
Même si la séparation des activités d’investissement et de dépôt des banques n’est pas la meilleure solution à adopter, elle peut se révéler être une excellente « menace », dans le sens où les banques devront internaliser leurs externalités, si elles ne veulent pas se voir démantelées. C’est ce qui est proposé par Richard J. Herring, professeur de finance à la Warton School of Pennsylvania, avec son idée de Wind-Down Plans.
 
L’articulation du plan consisterait à ce que les banques établissent dans un premier temps une cartographie de leurs différentes activités et filiales, de leurs interconnexions et de leurs expositions. Ensuite il préciserait comment, en cas de risque de contagion interne élevé, les banques pourraient séparer ces activités, sans pour autant mettre en péril leur gestion et leur structure globale ni les marchés. Après avoir établi ce plan, ce dernier devra être évalué et validé par un superviseur (une banque centrale ?), sous peine de lourdes sanctions ou d’interdiction d’exercice. Les banques pourront dès lors mieux s’autogérer et tendre vers plus de discipline de marché, étant donné l’épée de Damoclès qu’elles auront au dessus de leur tête. On peut même imaginer que de tels plans permettront d’avoir un meilleur suivi des banques et de pouvoir, ex ante, prendre des dispositions afin de minimiser la probabilité d’avoir recours à un bailout ultérieurement.
 
La question d’un nouveau design des assurances dépôts
 
S’il  ne semble, à priori, pas nécessaire de séparer les activités de dépôt et d’investissements des banques actuellement, une nouvelle architecture plus approfondie des fonds de garantie de dépôts (FGD) s’avère plus que nécessaire. En effet le problème de l’assurance des dépôts est assez complexe et les préconisations du Glass Steagall Act ne les résolvent en rien mais au contraire les délaissent.
 
Les FGD constituent une composante essentielle du filet de sécurité financière, assurant la solvabilité des banques et la protection des dépôts, même les moins sophistiqués. Il n’existe pas un modèle parfait de FGD et les possibilités sont multiples : modèle de coassurance, partenariat public/privé, garantie des dépôts ou non en monnaies étrangères, contrats implicites etc... L’idéal serait d’augmenter la couverture d’assurance des dépôts, mais il a été amplement démontré que ces phénomènes de overinsurance fragilisent les banques en favorisant l’aléa moral, les déposants se sachant fortement couverts ex ante, auront tendance à prendre le maximum de risque ex post.
 
Au sein de l’Union Européenne, la directive des FGD impose une assurance pour chaque compte d’au moins 20 000€ par déposant ; quant aux Etats-Unis, les limites de couverture de dépôts ont atteint 200 000 $. Une synthèse de la littérature économique sur le sujet fait ressortir un certain nombre de points incontournables pour élaborer une bonne architecture : un système de limite de couverture cohérent avec les caractéristiques économiques du pays, l’adhésion obligatoire des institutions concernées par le système de garantie, un partenariat hybride privé/public, une forte autonomie et réactivité des FDG pour éviter les bank run  (et l’intervention de fonds publics qui pèse sur le déficit qui en découlerait) et pour terminer un renforcement de la supervision bancaire sur les prix et services rendus par les FDG.
 
Références
Asli Demirgüç-Kunt, Edward J. Kane & Luc Laeven (2006), “Deposit Insurance Design and Implementation: policy lessons from research and Practice”.
Asli Demirgüç-Kunt, Edward J. Kane (2002), “Deposit Insurance Around The Globe: Where Does It Work?”.
Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (2010).
Morris Goldstein & Nicolas Véron (2011), “Too Big To Fail: The Transatlantic Debate”, Bruegel workink paper.
Robin Greenwood, Augustin Landier and David Thesmar (2011), “Vulnerable Banks”
Richard J. Herring (2010), « Wind-down Plans as an alternative to Bailouts, The Cross Border Challenges ».
Richard J. Herring and Jacopo Carmassi (2010); “The Corporate Structure of International Financial Conglomerates: Complexity and its Implications for Safety and Soundness”; In The Oxford Handbook of Banking.
Johnson, Simon, and James Kwak (2010), 13 Bankers: The Wall Street Takeover and the Next Financial Meltdown. New York.
 

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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