Les défis et les enjeux du financement de l’innovation

Résumé :

- La structure de financement de l’innovation révèle une défaillance de marché en privant les acteurs économiques de moyens nécessaires pour développer et financer l’innovation à chaque stade de son cycle de vie.

- Les efforts des pouvoirs publics, afin de garantir le financement de l’innovation, peuvent causer des déséquilibres en orientant le financement sur les segments les moins rentables et les plus risqués de l’innovation.

- La baisse des capacités d’autofinancement des entreprises et les contraintes budgétaires qui pèsent sur les Etats sont une menace pour la viabilité du modèle de financement de l’innovation dans les économies avancées, et en France.

L’innovation est souvent présentée comme un enjeu majeur de croissance soutenable dans les économies avancées. A l’heure de la mondialisation, la notion de compétitivité des entreprises est au cœur des problématiques de l’ensemble des acteurs économiques et, en tant que principal levier de la compétitivité hors coût, l’innovation s’avère incontournable dans le paysage économique international.

La mutation des économies développées, vers l’économie de la connaissance,  a placé au cœur des enjeux de croissance mondiale la notion d’innovation et les prémices aux réflexions sur cette notion ont mis en exergue la difficile définition de l’innovation. C’est dans ce contexte que le manuel d’Oslo[1] a défini quatre types d’innovations : les innovations de produits, de procédés, de commercialisations et d’organisations. Bien que ces dernières soient très différentes, chacun des processus qui conduisent à l’innovation s’avère long, imprévisible et peu contrôlable. Néanmoins, en cas de succès, elles conduisent à des avancées technologiques, économiques et/ou sociales majeures et deviennent de formidables accélérateurs de croissance. Ces spécificités entrainent de fait des questionnements sur son financement.

Une structure de financement spécifique

Selon une enquête de l’INSEE[2] , l’autofinancement apparait comme la principale source de financement de l’innovation technologique. Ce mode de financement, compte tenu du coût associé qui se limite à un coût d’opportunité, est privilégié car moins coûteux que le financement bancaire, dont les primes de risque exigées peuvent atteindre des niveaux élevés.

Structure du financement de l’innovation technologique en France

Sources : Enquête FIT - Sessi, BSI Economics

Cependant, l’autofinancement n’est possible que pour les entreprises suffisamment capitalisées et présentant des capacités d’autofinancement suffisantes pour en consacrer une part significative au financement de l’innovation. Etant données les tendances baissières de la capacité d’autofinancement des entreprises depuis la crise, ce type de financement peut s’avérer plus difficile à mobiliser. Le taux d’autofinancement[3] des entreprises françaises atteignait 64,3% en Septembre 2013[4] alors qu’il atteint près de 100% dans la Zone Euro. Ce taux faible est dû notamment à la faiblesse des marges dégagées par les sociétés non financière basées dans l’hexagone.

L’endettement auprès du groupe qui représente plus de 7% du financement de l’innovation technologique ne concerne que les entreprises appartenant à un groupe. Or une majorité d’entreprises innovantes aujourd’hui sont indépendantes[5] . Ce type de financement s’avère parfaitement substituable à l’autofinancement, cependant l’affaiblissement des taux d’autofinancement concerne toutes les entreprises, même les plus grandes. Bien que l’autofinancement soit structurellement plus faible lorsque les entreprises sont petites, le taux d’autofinancement à la fin 2012 était homogène pour toutes les tailles d’entreprises.

Taux d’autofinancement moyen par taille d’entreprise

Sources : Webstat, Banque de France, BSI Economic

L’accès restreint des entreprises à l’autofinancement bride la recherche et le développement des innovations les plus radicales

L’utilisation de ressources internes est donc possible pour les entreprises qui ont atteint une taille critique, durablement installées sur leur marché, ou multi sectorielles, dont l’activité est généralement tournée à l’internationale. Cependant ces dernières sont soumises à ce que Clayton M. Christensen[6] a déterminé comme étant « le dilemme de l’innovateur ». Dans son ouvrage, l’auteur défend la thèse selon laquelle les innovations, qu’il définit comme disruptives -c’est-à-dire les innovations qui sont destinées à élargir le marché à de nouveaux clients non encore servis par les technologies existantes-, ne peuvent émaner de l’initiative des plus grandes entreprises car son mode de développement est trop coûteux.

En effet, une technologie disruptive est une technologie nouvelle, dont la portée est très incertaine, coûteuse à chaque stade de son développement (recherche, lancement, industrialisation et commercialisation) qui à terme, en cas de succès, nuit aux technologies existantes qui sont celles dont les entreprises tirent des profits et, dans la majorité des cas, détiennent des rentes de situation.

De plus, les ressources humaines internes à ces grandes entreprises sont formées pour développer leur marché, ancrer leur positionnement et surveiller la concurrence en s’assurant de préserver ou améliorer la situation de leur entreprise dans un environnement concurrentiel. Le management en place s’avère dès lors généralement inefficace à innover et ne parviendra pas à se doter et développer des équipes capables de développer de manière efficace de grands projets innovants, de surcroit lorsqu’il s’agit de les amorcer.

Ces arguments soutiennent l’idée qu’il existe une défaillance de l’autofinancement dans le financement des technologies les plus audacieuses.

Le financement bancaire traditionnel est inadapté au financement de l’innovation

Le poids du financement bancaire dans les sources externes de financement de l’innovation technologique apparait très faible. En effet, on remarque qu’il représente un tiers du financement de l’innovation alors qu’il représente plus de 80% dans le financement externe des entreprises[7] . L’absence de l’intermédiation bancaire dans le financement de l’innovation trouve sa justification dans le cycle de vie de l’innovation ainsi que dans les spécificités du système bancaire français.

L’innovation est un processus long. La mise en œuvre des moyens indispensables à la création et l’incertitude sur les débouchés des innovations privent de fait les structures les plus fragiles du financement bancaire dans les stades les plus en amont du développement de nouvelles technologies. L’octroi de crédit, basé sur les capacités de remboursement futur des emprunteurs, est impossible pour des entreprises jeunes, ayant pour projet de développer des produits ou services nouveaux pour lesquels aucune étude de marché ne peut en prévoir l’issue de manière crédible.

L’innovation est un processus peu contrôlable. Et le système bancaire français n’est pas doté d’outils lui permettant d’exercer un monitoring technologique des entreprises qu’il finance. Pourtant, ce dernier s’avère essentiel pour inciter les entrepreneurs à mettre en œuvre les actions optimales dans le développement de l’innovation[8] . Contrairement au système de Hausbank[9] allemand, qui confère aux banques allemandes un rôle important dans le financement des entreprises en assurant, en plus de l’octroi de crédit, un panel de service qui leur assure un suivi précis des entreprises, ainsi qu’une connaissance accrue de leur environnement et de leur situation financière, le système bancaire français se caractérise par une plus grande exigence de garanties associées aux prêts qu’elles octroient. Cette faiblesse de la relation entre prêteurs et emprunteurs fait peser une plus grande incertitude sur les projets à financer, donc un plus grand risque de défaillance, toute chose égale par ailleurs, qui se répercute sur le coût de l’endettement bancaire.

Le(s) rôle(s) des pouvoirs publics dans la gestion de cette défaillance de marché

L’innovation est un enjeu de croissance et de concurrence internationale. Les Etats ont donc intérêt à mettre en œuvre des actions qui favorisent la production nationale d’innovations.

L’enseignement supérieur et la recherche interviennent dans les fonctions de recherches fondamentales et la qualification d’une main d’œuvre apte à l’innovation. Par ce biais, l’Etat prend part aux stades les plus fondamentaux de la création de nouvelles technologies. Cependant, les effets sur l’innovation ne peuvent se ressentir que s’il existe des transferts de la recherche publique vers le monde de l’entreprise. Ce transfert peut prendre deux formes distinctes, la première consistant à organiser des partenariats de recherches entre les laboratoires de recherches publiques et les entreprises privées. La deuxième, moins développée en France, est le transfert de connaissances par la création d’entreprises. En effet, favoriser et faciliter la création d’entreprises par des chercheurs permet de fait un transfert de technologies dans des start-up qui, si elles parviennent à développer de l’innovation, connaitront une croissance organique suffisante pour que l’innovation prospère dans le monde de l’entreprise. Cependant, en France, cette pratique reste marginale car attachée à un trop grand risque en cas d’échec.

L’Etat peut également créer des écosystèmes favorables au développement de l’innovation, en créant des espaces économique dans lesquels créateurs, professionnels et financeurs peuvent se rencontrer. En France, ce sont les pôles de compétitivité qui ont pour objectif de remplir ce rôle. C’est ainsi qu’en 2012, la France comptait plus de 7000 entreprises membres des 71 pôles de compétitivité[10] . Au sein de ces pôles sont organisés des partenariats de recherches entre acteurs publics et privés. Ils permettent le regroupement de petites entités avec les grandes entreprises qui accèdent ainsi aux technologies les plus novatrices.

La création d’un écosystème favorable au développement de l’innovation ainsi que les transferts de connaissances sont au cœur de la mission publique. Mais l’Etat peut également intervenir directement dans le financement des entreprises. Ces financements, qui représentent près de 60% du financement externe de l’innovation peuvent prendre la forme de prêts directs aux entreprises innovantes ou de subventions, versées sous la forme de crédit d’impôt ou d’avances remboursables uniquement en cas de succès du projet financé. En France, le premier dispositif de financement public des dépenses de recherches et développement est le crédit impôt recherche qui libère les capacités d’autofinancement des entreprises via une diminution de leur imposition sous réserve de conditions d’utilisation des marges dégagées à des projets d’innovations.

En 2011, ce sont ainsi 14 882 entreprises, dont 88% de moins de 250 salariés, qui ont pu bénéficier de 5.166 Milliards d’euros au titre du CIR en 2011[11] . Depuis 2008, ce dispositif est devenu le principal dispositif de financement public des dépenses de recherches et développement des entreprises.

Enfin, l’Etat peut également intervenir dans les subventions aux financeurs des entreprises innovantes, en adoptant une politique fiscale avantageuse et ainsi favoriser le développement d’outils de financements alternatifs plus efficaces aux financements de projets innovants.

Les financements alternatifs pour financer l’innovation

Les intermédiaires financiers classiques sont inadaptés au financement de l’innovation. Le manque de monitoring technologiqueet les intérêts parfois divergents qu’ils entretiennent avec les entreprises les plus sujettes à la défaillance ne conviennent pas à financer efficacement l’innovation et garantir la prise de risque indispensable à la génération d’innovation. La prise de participation au capital des entreprises innovantes permet d’aligner les intérêts du financeur et de l’entrepreneur en maximisant la valeur de celle-ci en mettant en œuvre les actions efficaces pour y parvenir. Mais bien que le contrôle d’une part significative du capital d’une entreprise permette l’alignement des intérêts, elle ne peut être dissociée d’une compétence technologique de la part des financeurs afin de mener les projets d’innovation à terme.

Le capital risque spécialisé et le corporate venture[12]peuvent s’avérer dès lors efficaces dans le sens où l’expérience des équipes rend possible le monitoring technologique et permet de minimiser le coût des incitations nécessaires pour l’entrepreneur à fournir l’effort optimal. De plus, ce type d’intermédiation garantit la viabilité du financement tout au long du projet, de l’amorçage à la commercialisation, car la rentabilité du projet fructueux est croissante tout au long du cycle de vie.

Mais ces types de financements sont soumis aux capacités financières des fonds de capital-risque et de corporate venture, le premier étant porté par les business angels[13]et les fonds de capital investissement, le second par les capacités de financement des grandes groupes et leurs stratégies.

La France se démarque de ses homologues européens dans le comportement des business angels. Avec plus de 4000 investisseurs, la France apparait comme le pays d’Europe, avec le Royaume-Uni, ayant le plus grand nombre d’investisseurs. Cependant, une des caractéristiques de ces investisseurs particuliers est qu’ils investissent un montant moyen faible, estimé à 0,4 million d’Euro par la commission européenne[14], alors qu’il est supérieur à 1 million dans la majorité des pays européens, de 2 millions au Royaume-Uni et de 7,1 millions en Finlande.

L’Etat a ainsi mis en place des dispositifs de mutualisation des moyens financiers des particuliers, en incitant fiscalement les particuliers à investir dans des fonds communs de placement dédiés au financement de l’innovation. Ces véhicules d’investissements favorisent l’émergence de business angels « subventionnés », tout en permettant des interventions moyennes plus élevées.

Les récentes dispositions en faveur du corporate venture ou du crowdfunding montrent l’importance de l’interventionnisme d’Etat dans le développement et la viabilité des financements alternatifs.

Conclusion

L’accès au financement des projets innovants en France a été garanti notamment grâce à l’interventionnisme étatique. Cependant, la France se démarque par la forte propension à intervenir en faveur de la recherche fondamentale et appliquée, et peu, comparativement aux autres pays de l’OCDE[15], dans le développement expérimental. Ceci implique une préférence aux financements des phases les moins rentables de l’innovation.

Selon le tableau de bord de l’innovation publié par l’OCDE, la France apparait bien positionné sur les indicateurs de moyens, mais médiocre sur les résultats en termes d’investissements des entreprises et de l’exportation de services à forte intensité de connaissance. Ainsi, les coûts associés au financement indirect de l’Etat aux moyens d’incitations fiscales en recherche et au financement direct de Dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (DIRDE) s’élevaient à 0.23% du PIB en 2007[16]. Afin de contenir les dépenses de l’Etat dans le financement de l’innovation, celui-ci devra dès lors se positionner sur les phases plus rentables des projets innovants. Ceci pourrait garantir la viabilité du modèle français et augmenter à terme ses performances.

Notes:

[1] La première publication du manuel d’Oslo en 1992 par l’OCDE avait pour objectif de poser les principes directeurs en matière de collecte et d’utilisation des données relatives à l’innovation.

[2] Le financement de l’innovation technologique dans l’industrie, Novembre 2001

[3] Ratio rapportant l’épargne brute à la formation brute de capital fixe

[4] Comptes nationaux (Banque de France, INSEE), BCE

[5] En 2009, l’INSEE estime à 75% la part d’entreprises indépendantes dans le paysage économique français, soit 2,26 millions.

[6] Christensen Clayton M, « The innovator’s dilemma: When new technologies cause great firms to fail », Harvard Business Review Press, Mai 1997.

[7] Rapport Paris EUROPLACE, « Financement des entreprises et de l’économie française : pour un retour vers une croissance durable », 2013

[8] Cf. Augustin Landier, « Banks versus Venture Capital », 2001

[9] Banque de référence.

[10] Source : DGCIS – Enquête annuelle auprès des pôles, base de données de l’INSEE

[11] Source : MESR-DGRI-SETTAR-C1 (Gecir, Mai 2013)

[12]Prise de participation directe de grandes entreprises au capital de PME innovantes ou technologiques

[13]Particuliers ou indépendants investissant directement dans de jeunes entreprises, généralement à fort potentiel technologique.

[14]Indicateurs d’accès au financement – Business angels, Commission européenne

[15]Cf. BEYLAT Jean-Luc, TAMBOURIN Pierre, PRUNIER Guillaume, SACHWALD Frédérique, « L’innovation, un enjeu majeur pour la France », Ministère du redressement productif, Juillet 2013

[16]OCDE, Base de données des principaux indicateurs de la science et de la technologie 2010

Références

- « Rapport sur l’innovation : Un enjeu majeur pour la France », Ministère du redressement productif, Juillet 2013

- « Le rôle du financement bancaire dans le processus d’innovation : Le cas de quatre pays européens », Hikmi A., Parnaudeau M, Vie & sciences de l’entreprise, 2008

- « The innovator’s dilemma : When new technologies cause great firms to fail », Harvard Business Review Press, Mai 1997

- « Rapport sur l’évolution des PME », Observatoire des pme, BPIFrance, 2013

- « Tableau de bord de l’Union de l’innovation 2014 », OCDE

- « Banks versus Venture capital », Augustin Landier, 2001

Diplômé de l’Université Paris Dauphine en Economie Monétaire et Financière, Pierre-Michel Becquet est analyste à la Société Générale après avoir évolué au sein de l'AFIC comme chargé d'études économiques et financières. Ces centres d’intérêts portent sur le financement des entreprises, l’intermédiation financière et la politique monétaire.

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