La sterilisation des interventions des banques centrales : concept, modalites et interrogations dans le cadre de l’OMT de la BCE

Lors de l’annonce de l’OMT (Outright Monetary Transactions)[1] faite par Mario Draghi le 6 septembre dernier, ce dernier a assuré vouloir stériliser les achats éventuels d’obligations effectués dans le cadre du programme. La volonté de cet article est de clarifier ce concept ainsi que ses modalités d’applications dans un cadre général d’abord, avant de discuter ensuite de cette opération et de ses éventuelles limites dans le cas présent pour la BCE (le lecteur avisé pourra passer directement à cette dernière partie).
 
Stériliser une intervention permet d’éviter les pressions inflationnistes associées

Stériliser une intervention signifie retirer la liquidité injectée dans le système dans le cadre de cette intervention. En général ce concept est utilisé dans le cadre des interventions de change : la banque centrale achète des devises dans le but d’empêcher l’appréciation de sa monnaie (pour faire simple, c’est le jeu de l’offre et de la demande), et comme elle ne veut pas ajouter de la liquidité dans le marché elle retire cette dernière. Ces derniers temps le concept est de plus en plus utilisé dans le cadre des politiques monétaires non conventionnelles, dans la mesure où les grandes banques centrales ont acheté des actifs qui ont un rôle stratégique (directement ou indirectement) dans la transmission de leur politique monétaire. La stérilisation de ces interventions permet d’éviter un surplus de liquidités qui aurait des conséquences indésirables. Ce surplus de liquidité pourrait par exemple provoquer une baisse du taux d’intérêt interbancaire, où ce dernier s’éloignerait sensiblement du taux d’intérêt ciblé par la banque centrale[2] . Ou encore, plus simplement, le danger est que ces liquidités "circulent" dans l’économie en alimentant l’inflation.
 
Diverses modalités d’actions en théorie
 
Plusieurs outils, souvent peu décrits dans la littérature, sont à disposition des banques centrales :
 
- vendre d’autres actifs en parallèle: cette technique est souvent utilisée dans le cadre des interventions de change. En vendant des actifs (souvent les actifs choisis sont des actifs très  liquides comme des bons du trésor), la banque centrale retire de la liquidité du marché. L’inconvénient de cette méthode est que les taux d’intérêt sur les obligations d’Etat (si ce sont les actifs choisis, ce qui est généralement le cas) risquent d’augmenter et donc par conséquent d’attirer dans une certaine mesure de nouveaux capitaux voulant profiter de ces mouvements de taux non liés aux fondamentaux économiques. Ce dernier cas de figure, d’après Jang-Yung Lee (économiste au FMI), tend à rendre des interventions de ce type inefficaces dans les pays émergents (où la dette de l’Etat n’est pas très importante en volume).
Dans le cas de l’OMT de la BCE ce type de stérilisation n’est pas envisageable dans la mesure où la BCE n’est pas autorisée stricto sensu à détenir à son bilan de titres d’Etat[3]
 
- augmenter le ratio de réserves obligatoires[4] , aujourd’hui à 1% en zone euro. Cette méthode de stérilisation a beaucoup été employée en Chine suite à l’accumulation importante de réserves de changes (il avoisine aujourd’hui les 20%). L’avantage de cette solution est son efficacité, l’inconvénient est qu’elle affecte beaucoup plus directement l’offre de crédit des banques par rapport à d’autres méthodes.
 
- émettre des bons de stérilisation : la banque centrale émet directement de la dette dans ce cas. Cette dette a normalement un coût très proche de celui de la dette gouvernementale (sa moindre liquidité lui vaut en théorie quelques points de spread par rapport à celle-ci). La banque centrale de Chine a également beaucoup utilisé cette technique avec ses banques commerciales, de manière plus ou moins coercitive… Cette solution, auxquels les marchés ne sont pas habitués, aurait peut-être un coût en termes d’image et de crédibilité si la BCE l’appliquait.
 
- en effectuant des opérations de « reverse repo » : dans le cadre des relations entre banques commerciales et banque centrale, cette opération correspond à la même chose que le « repo »[5] mais vu de l’autre sens. La différence avec la vente de titres est que cela n’a en théorie pas d’effets baissiers sur les marchés.
 
- en offrant aux intermédiaires financiers des comptes rémunérés sur lesquels placer leurs liquidités (dépôts à terme fixes qui ne peuvent donc pas être retirés dans une période donnée). C’est la méthode qui avait été choisie par la BCE dans le cadre du SMP (qui continue aujourd’hui d’être appliquée) et qui risque fortement d’être choisie là encore. Dans le cas de la BCE, il est important de noter que ces dépôts fixes sont éligibles en collatéral, et que l’alimentation de ces dépôts se fait par enchères à taux de soumission variable avec à l’heure actuelle un taux maximal à 0,75%.
 
D’un point de vue théorique, d’autres méthodes plus indirectes (dans la mesure où elles ne sont pas forcément mises en œuvre à cet effet) pourraient être citées, comme le plafonnement du crédit par exemple (en usage en Chine).
 
 
Le cas de la stérilisation de l’OMT de la BCE
 
La plupart des analystes laissent entendre que la BCE continuerait d’utiliser la méthode consistant à inciter les banques à déposer leurs liquidités sur un dépôt à terme (hebdomadaire jusqu’à maintenant dans le cadre du SMP). Si c’est la méthode retenue, cela devrait donner lieu à quelques interrogations nécessaires pour comprendre la crédibilité de l'engagement.
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La BCE a en effet, par le passé, échoué dans certaines de ses opérations de stérilisation, ne réussissant pas à inciter les banques à déposer suffisamment de leur argent pour une durée hebdomadaire. Ce fut le cas en mai 2010, où la BCE était sensée stériliser 203,5 milliards mais n’a réussi à n’attirer que 194,2 milliards d’euros. Si certains en ont vu un signe d’une possible limite dans les montants stérilisés via cette technique, d’autres ont jugé cet échec non pertinent dans la mesure où il découlait d’un manque de liquidité passager des banques. Depuis ce problème ne s’est pas posé et quand on regarde le bulletin statistique de la BCE de septembre 2012[6] , on se rend compte que les opérations de reprise de liquidités en blanc ont depuis mai un ratio de couverture moyen d’environ 2, avec un plus bas à 1,37 fin juin 2012 et un plus haut à 2,3 début septembre.
 
On ne sait en fait pas trop jusqu’où la BCE pourrait aller en terme de stérilisation, cela dépend à la foi de la méthode qu’elle utilise et à la fois du contexte financier. Si pour la BCE le fait de distribuer des liquidités d’un côté (via l’OMT) et en reprendre de l’autre (via sa stérilisation) peut apparaître comme ayant un impact neutre, cela n’est pas du tout le cas pour les banques pour qui vendre des titres peut être bénéfique alors que placer les liquidités ainsi obtenues à un taux proche du taux refi pour une durée hebdomadaire peut ne pas être optimal dans le cadre de leur stratégie globale. Certes les banques disposent actuellement de liquidités importantes dont elles peuvent se passer pour partie (le montant total des réserves excédentaires et des liquidités placées à la facilité de dépôt avoisinait les 800 milliards d’euros début septembre), mais la situation pourrait être différente d’ici quelques mois, notamment en cas de remboursement pré-maturé des LTRO et en cas de retour des tensions financières. C’est ce qui explique que la stérilisation complète pourrait s’avérer difficile.
 
La question de la faisabilité et des modalités de la stérilisation associée à l’OMT devrait donc être davantage posée dans le cadre du déclenchement de l’OMT. Suivant les modalités choisies, on pourrait en effet éventuellement imaginer que la stérilisation des OMTs, si la BCE en fait une question de principe, pourrait remettre en cause le caractère « illimité » du programme (ou bien devra s'accompagner d'autres mesures) et donc nuire à sa crédibilité. Peut-être une des raisons pour laquelle Mario Draghi n’a pas apporté plus de précisions sur ce sujet ?
 
 
Références
ECB’s failure to sterilize bond purchase is a red herring, JP Morgan Economics Research Note December 2, 2011
Sterilizing Capital Inflows, Jang-Yung Lee, IMF Economic Issues 7, February 1997
Article de Gang Fan sur la stérilisation monétaire en Chine: http://lecercle.lesechos.fr/leseconomistes/autres-auteurs/221132127/lasterilisation-monetaire-de-la-chine
 

Julien Pinter est chercheur en Economie monétaire à l'Université de Minho. Il était auparavant chercheur invité à l’Université de Harvard et à la Charles University de Pragues. Il est docteur diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur des questions liées aux politiques monétaires, aux régimes de change et à la communication des banques centrales. Il a des expériences de travail à la Banque Centrale Européenne et à la Banque de France en particulier. Il a été visiting researcher à l'Université d'Amsterdam, a travaillé à l'Université de Bruxelles Saint-Louis et étudié à l'Université de Stockholm.

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