☆ Un Etat comme la France peut-il « faire faillite » (2/2), et quand ?

Dans notre précédent éclairage nous avons pu expliquer que le concept de "faillite" n'est pas, à proprement parler, approprié pour un Etat. Il faut mieux parler dans ce cadre de "défaut de paiement" ou de "cessations de paiements". Un Etat comme la France peut-il alors se déclarer en « cessation de paiements » ? La réponse est évidemment oui. S’il est clair qu’un Etat a de nombreuses solutions avant de se déclarer en défaut de paiement, cela n’empêche pas un tel événement de survenir, comme cela a été le cas en Argentine en 2001 ou en Grèce plus récemment en 2012 où le défaut a touché une partie de la dette. Quand cet évènement se produit-il alors ?

Un Etat a en théorie de nombreux moyens, avant un défaut, pour réduire sa dette (voir notre éclairage à ce sujet ici) : hausse des impôts, baisse des dépenses publiques, inflation (via politique monétaire), relance de la croissance économique, répression financière... Dans la pratique ces outils sont mécaniquement utilisés au début des difficultés budgétaires (assurément pour les deux premiers). Il semblerait alors logique d'un point de vue économique d'affirmer que le défaut d'un Etat ne survient qu'une fois que toutes les mesures possibles aient été appliquées de manière optimale: une fois que les dépenses publiques aient été baissées au maximum, les impôts prélevés au maximum...sans que l'Etat n'ait réussi à restaurer pour autant sa solvabilité. 

Ce raisonnement est très simplificateur en particulier car il oublie les réalités politiques entourant le défaut d'un Etat. Il faut donc en réalité raisonner de manière différente. S'il est clair qu'un Etat a de nombreux moyens pour améliorer sa situation budgétaire (listés ci dessus), il se peut que, passé un certain seuil, les coûts économiques et surtout politiques associés à l’emploi de ces solutions [1] soient trop importants comparés aux coût économiques et politiques du défaut [2] . Passé ce seuil (subjectif par nature) un Etat choisira de faire défaut sur tout ou une partie de sa dette ou de la restructurer (voir notre éclairage ici à ce sujet). C’est l’histoire récente de la Grèce : alors que pour certains observateurs il était possible pour la Grèce d’ajuster son budget de sorte à ne pas faire défaut (ou en tout cas faire défaut dans une moindre ampleur), les révoltes de rue, la radicalisation de certains mouvements citoyens et l’instabilité politique grandissante, ceci couplé au fait que la Grèce avait plus ou moins l’assurance d’un soutien de ses voisins européens en cas de défaut, ont fait que les coûts des ajustements pour la Grèce devenaient trop importants devant les coûts d’un défaut, poussant cette dernière à "choisir" le défaut. On pourrait donc résumer les choses ainsi : un Etat fera défaut lorsqu’il jugera que les coûts du défaut (coûts politiques, sociétales et économiques) seront inférieurs aux coûts des solutions économiques pour l’éviter.

Un défaut est donc théoriquement totalement possible pour un Etat comme la France. Si la France n’a pas "choisi" cette solution à l’heure actuelle, c’est avant tout parce que le coût (économique, sociétal, politique) des ajustements budgétaires encore possibles n’est pas jugé supérieur aux coûts potentiellement faramineux qu’un défaut aurait pour la France (et pour l’Europe dans son ensemble en outre). Les hommes et femmes politiques en charge de ces décisions budgétaires ont certainement en tête qu'un défaut entraînerait un réel affaiblissement du pays (aussi bien politique qu’économique) à long terme supérieur à celui entraîné par les mesures prises actuellement.

Julien P

Notes

[1] On pourrait citer par exemple côté coûts économiques (qui ont des répercutions politiques): forte/hyper inflation, taxes étouffant l’économie, dépenses publiques trop basses ne garantissant plus la fonctionnalité du service public

[2] On pourrait citer ici : plus aucun prêteur après le défaut pendant une certaine période, ajustement budgétaire brutal forcé de facto (le déficit devant être ramené à 0), possible pic d’inflation (anticipations côté demande de monnaie/financement monétaire côté offre de monnaie), possible exclusion –du moins partielle- du commerce international (voir l'article du FMI ci dessous), difficultés bancaires se répercutant sur l’économie…

Pour aller plus loin:

The costs of Sovereign Default, IMF Working Paper 2008

Dessine moi l'éco "Comment un Etat peut-il faire faillite ?" (notons l'emploi symbolique du terme faillite une nouvelle fois...)

Nota Bene: on a l'habitude d'entendre qu'un Etat fera défaut tout simplement car il est insolvable. Cette explication reste théorique et limitée pour décrire comment les choses se passent en réalité. La "solvabilité" d'un Etat est difficile à évaluer et est un concept qui repose sur des hypothèses subjectives par nature. C'est pourquoi il est courant de décrire le défaut comme un processus choisi suite aux comparaisons avantages/inconvénients comme nous l'avons fait ici. Il n'en demeure pas moins qu'un Etat choisissant le défaut le fera car il sera en général très proche de l'insolvabilité.

BSI Economics est un think tank de réflexion sur l'économie et la finance, créé en 2012, qui contribue à ouvrir et améliorer les débats en mettant au service des décideurs et des citoyens des réflexions indépendantes sur les nouvelles tendances économiques et financières.

BSI Economics met ses contributions multithématiques au service du débat public en sollicitant un réseau diversifié de collaborateurs composé de banquiers centraux, de régulateurs, de conjoncturistes, de chercheurs, de spécialistes sectoriels et de stratégistes en économie.

Dans la même catégorie :

Standard Post with Image

Copie de BSI Talks : Jérôme Powell à la tête de la FED VIDEO

Standard Post with Image

Le capital des banques centrales : comment est-il déterminé ? (Note)

Standard Post with Image

BSI Talks : Jérôme Powell à la tête de la FED VIDEO

Standard Post with Image

BSI Talks : Richard Thaler VIDEO