Reformes, dette publique et croissance economique : quelle dynamique ?

La détermination d’un niveau optimal de dette publique est un sujet complexe,  autant lié aux exigences temporelles (soutenabilité de l’endettement) qu’à la démographie (le critère de « neutralité temporelle »[1] ). Au débat académique qui anime la recherche économique s’ajoute une nouvelle problématique, celle de la capacité maximale d’un pays à rembourser ses dettes. L’une des grandes questions est de savoir quel est le niveau de dépenses maximal acceptable pour un pays et le niveau de recettes minimal exigible.


La dynamique de la dette publique

 
Les conjonctures économiques actuelles rendent compte de ces enjeux : faut-il stimuler la production pour rassurer les investisseurs et ainsi faire baisser le coût de financement sur les marchés financiers ? Ou, au contraire, devons-nous attendre une baisse du coût de refinancement pour amorcer une reprise de l’activité économique ? Dans un premier temps, la réponse est claire : le taux d’intérêt payé sur la dette et le taux de croissance sont des déterminants de la part de la dette publique dans le PIB, il faut donc comprendre leur dynamique.
Un pays aura un ratio dette publique/PIB égale à la somme de deux composantes[2] . La première est le ratio stock de dettes accumulées/PIB sur l’année précédente qui est actualisé par le taux d’intérêt réel (la différence entre le taux d’intérêt nominal et l’inflation). Ce taux d’intérêt réel est par ailleurs corrigé du taux de croissance de la production. La seconde composante est le ratio déficit budgétaire/PIB de l’année concernée. Ainsi, plus le PIB augmente sur une année, plus la croissance du stock de dettes accumulées est ralentie. A l’inverse, plus le taux d’intérêt réel est important, plus le ratio stock de dettes accumulées/PIB s’accélère. Il faut donc obtenir une croissance du PIB supérieure au taux d’intérêt réel pour un ratio  stock de dette/PIB donné. Si cet écart critique n’est pas respecté,  un ratio excédent budgétaire/PIB  (la seconde composante) peut compenser la croissance du ratio stock de dettes accumulées/PIB pour stabiliser la part de la dette publique dans le PIB.
 
La question est donc de savoir si il faut stimuler la croissance économique pour réduire l’endettement ou réduire l’endettement pour stimuler la croissance économique. Un sujet complexe compte-tenu du fait que:
- le déficit budgétaire dépend des dépenses publiques (consommation et investissement) qui sont sources de croissance dans une certaine mesure[3] , et dépend des recettes publiques qui augmentent avec la croissance du PIB pour une assiette fiscale donnée.
- le taux d’intérêt réel dépend du niveau d’inflation, lui-même tributaire des conditions économiques (chômage, taux d’utilisation des capacités productives, gains de productivité), et du taux d’intérêt nominal qui résulte notamment d’une prime de risque sur les marchés obligataires.
- la structure des échéances obligataires évolue : la part annuelle du stock de dette à rembourser varie considérablement d’une année sur l’autre, selon les maturités associées aux emprunts contractés par chaque pays. Cette structure peut accélérer « l’effet boule de neige »: une hausse du taux d’intérêt augmente le coût d’emprunt et donc la dette publique ; si cette augmentation est plus forte que la croissance économique alors les besoins deviennent supérieurs aux ressources ce qui rend insoutenable le financement de la dette publique.
 
Agir sur les deux déterminants du ratio dette publique/PIB, le stock de dette et le déficit primaire, nécessite soit d’entreprendre une politique budgétaire restrictive en augmentant les recettes ou en diminuant les dépenses, soit d’entreprendre une politique de croissance capable d’alimenter le budget public en enrichissant les agents assujettis à la politique fiscale.
 
Le dilemme du décideur public : réduire le budget au risque d’affecter l’activité économique
 
La mise en place de politiques économiques impose au décideur public d’agir par ses leviers d’action disponibles. Des mesures de politique budgétaire pour réduire le déficit public permettraient de limiter l’effet d’une augmentation du stock de dette ou de compenser le différentiel entre le taux d’intérêt payé sur la dette et le taux de croissance de l’activité économique. Seulement, pour réduire ce déficit deux moyens sont disponibles : augmenter les recettes publiques par une hausse de la fiscalité directe et indirecte, ce qui risque de pénaliser la consommation privée et l’investissement privé, ou diminuer les dépenses publiques, seconde option susceptible de pénaliser l’investissement public qui est aussi source de croissance de l’activité.
 
Une première solution d’arbitrage est de pénaliser le facteur ayant la contribution au PIB la plus faible, la consommation et l’investissement public, mais cela dépend de la part budgétaire que représente ce poste dans les dépenses publiques. En France entre janvier et août 2012, l’investissement public représente seulement 7,8 milliards d’euros soit 3,94% des dépenses publiques et contribue pour 0,05% du PIB contre 0,3% pour la consommation publique. Ainsi, cette possibilité est efficace sous condition que la réduction des dépenses publiques permet une réduction du déficit au moins aussi importante que ne le permettrait une hausse des recettes fiscales.
 
On peut par ailleurs s’interroger sur l’impact des dépenses publiques sur le solde budgétaire dans le cas français. Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la corrélation moyenne sur les cinq dernières années entre les dépenses publiques et le déficit public. Les dépenses publiques peuvent ainsi réduire le solde public en période de forte croissance de l’activité. Cependant, nous observons depuis 2008 que ce coefficient redevient positif mais sans croissance du PIB. La contribution des dépenses publiques au PIB devient ainsi plus importante depuis le début de la crise. Il faudrait donc réduire d’autres postes de dépenses budgétaires d’après cette analyse.
 
 
Une seconde solution serait de réduire la charge de la dette en faisant diminuer le taux d’intérêt. En France, la charge de la dette pèse pour 29 milliards d’euros sur les 8 premiers mois de l’année soit 15% du total des dépenses budgétaires. La contribution du service de la dette au solde budgétaire est historiquement importante ce qui signifie que si le solde primaire (avant paiement des services de la dette par l’Etat) est positif (+1 point de PIB) mais que la contribution du service de la dette est de -5 points de PIB alors il y aura un déficit budgétaire de 4 points de PIB. Le service de la dette a considérablement participé à alourdir le déficit en France, ou à titre de comparaison en Espagne et en Grèce (graphique ci-dessous).
 
Un troisième poste est celui des charges de fonctionnement de l’administration publique. Ces dernières représentent 56% du budget français en 2011 (113 milliards d’euros). Les plans d’aide sensibilisent sur l’importance de réduire ces charges par exemple en réduisant la masse salariale dans la fonction publique. C’est ce qui a été entrepris en Espagne et en Grèce.  Cependant, certains pays garantissent la soutenabilité de leur dette publique et leur solvabilité par l’efficacité de l’administration fiscale, capable de lever rapidement l’impôt si nécessaire, ce qui est le cas de la France. En outre, une réduction des dépenses publiques, susceptible d’affecter négativement l’organisation administrative, peut avoir un impact sur la perception du risque des investisseurs et donc peut augmenter la probabilité d’une hausse du taux d’intérêt. Ainsi, une diminution du taux d’intérêt serait certes justifiée, mais l’effet sur le budget public resterait moins important qu’une augmentation de la base fiscale imposable ou qu’une augmentation des recettes fiscales par une hausse des impôts. Cela souligne l’importance de tenir compte des spécificités de chaque pays avant d’entreprendre des politiques budgétaires restrictives.
 
Ainsi, en agissant sur les dépenses publiques, deux leviers sont possibles :
- un taux d’intérêt en baisse qui diminue la charge d’intérêt. Une baisse serait susceptible de déformer le solde primaire et donc l’échéancier de dette à long terme. Un faible taux d’intérêt est nécessaire dans des pays faisant face à d’importantes échéances obligataires susceptibles d’asphyxier une relance de l’activité en mobilisant toujours plus de budget national.
- Une baisse des dépenses de fonctionnement et des dépenses de personnels : la Grèce et l’Espagne ont entamé ces réformes.
 
Au-delà des facteurs augmentant la dette publique, certaines études ont montré que la part de l’endettement public dans le PIB devrait sensibiliser les décideurs publics à partir d’un niveau de ratio, un seuil qui imposerait la mise en place de réformes structurelles.
 
Une nécessaire solution au dilemme face au seuil des 90%
 
Reinhart et Rogoff (2010) ont analysé l’évolution du lien entre la croissance réelle du PIB et le ratio dette/PIB compte-tenu d’un ratio dette/PIB donné :
- en-dessous d’un ratio de 90%, la relation est faible entre les deux variables tandis qu’elle devient forte au-delà : il y a non-linéarité. A partir de 90% la croissance réelle médiane du PIB chute d’au moins 1%.
- Au-dessus d’un ratio de 90%, une forte vulnérabilité des économies est observée.
 
Cet effet de seuil permet donc d’estimer l’urgence des réformes structurelles qui s’imposent, le cas échéant, aux décideurs publics. Pour autant, l’ensemble des travaux ne suffit pas à contester la double causalité entre la dette publique et la croissance du PIB. Une contraction de l’activité réduit les recettes fiscales. Aussi, une hausse de l’endettement public peut créer un effet d’éviction sur la progression du stock de capital en utilisant plus de ressources de l’économie (Kumar et Woo, 2010). Il y a donc une double causalité et différentes mesures qui doivent être entreprises si le ratio dette/PIB approche les 90%. Une condition qui prend son sens si la dette publique est financée significativement par l’extérieur. Par exemple, le Japon a un ratio dette/PIB de 225% qui est soutenable en raison d’un financement interne où les agents acceptent d’être rémunérés à un faible taux.  Ainsi, au-delà de l’effet seuil, il faut bien distinguer d’autres variables explicatives, comme par exemple la provenance des créanciers détenant de la dette publique, pour mieux considérer le risque d’insoutenabilité des finances publiques d’un pays.
 
Trois grandes initiatives en Europe
 
Face à ces problématiques, les réformes ne sont pas seulement économiques mais aussi juridiques et politiques. L’exemple européen montre la nécessité de mener des réformes structurelles et de mener des initiatives sur différents horizons temporels, actions qui sont entreprises depuis plusieurs mois et que l’on peut regrouper sous trois types d’engagements.
 
Une première initiative de court terme consiste à rassurer les investisseurs en assurant une stabilité financière et bancaire. Le programme de rachat d’obligations sur dettes souveraines annoncé par la BCE en septembre 2012 (programme OMT) devrait affecter les primes de risque tandis que l’Union bancaire limitera le risque de contagion financière. Ces politiques favoriseraient l’environnement financier à court terme et permettraient aux pays attachés à des politiques de rigueur de stabiliser leur endettement pour amorcer une relance de leurs activités.
 
Une seconde initiative est d’améliorer la transparence fiscale et budgétaire, une condition pour mieux superviser l’évolution des finances publiques entre les pays, en zone euro. Cela peut notamment impliquer une refonte organisationnelle de l’administration publique capable de concourir à une plus grande crédibilité des politiques économiques entreprises à l’échelle nationale.
 
Enfin, une troisième initiative pour lutter contre l’endettement en zone euro est de pallier les déséquilibres macroéconomiques actuels en Europe. Le Sud ne doit plus être emprunteur du Nord. Le Sud doit proposer un cadre politique et un potentiel économique et financier capables d’attirer les investisseurs de l’Europe du Nord. La consommation privée est affectée par la rigueur tandis que l’investissement dans l’immobilier souffre de la dépréciation de ses actifs. L’investissement privé productif doit ainsi prendre le relais pour stimuler l’activité et développer de nouveaux avantages comparatifs qui permettront aux pays en difficulté de développer une véritable stratégie de croissance.
Conclusion
 
Notre analyse nous amène à distinguer deux étapes. La première est de rassurer l’investissement pour stabiliser l’endettement : la contrainte de soutenabilité deviendra moins forte. La seconde est de modifier structurellement la compétitivité des économies et l’environnement économique pour préparer les investissements de demain, ceux qui contribueront à une reprise de l’activité.
 
La stabilisation du ratio dette/PIB est une variable cible, et non un objectif, et doit à ce titre agir comme stimulateur de l’investissement, ce qui nécessite une refonte structurelle des stratégies de croissance des économies, laquelle se traduira par une hausse de l’activité économique suffisamment forte pour faire diminuer le poids de l’endettement public dans le produit intérieur brut.
 
 
 
Notes

[1] On parle de concept de « neutralité temporelle » lorsque l’effet de la dette publique sur le bien être social est identique pour chaque génération

[2] Dette publique 2012 / PIB = (Stock de dette / PIB) (1 + taux intérêt nominal - inflation – croissance PIB) + (déficit budgétaire 2012/PIB) = (Stock de dette/PIB) ( 1 + taux intérêt réel – croissance PIB) + (déficit budgétaire 2012/PIB)

[3] « La Revue générale des politiques publiques (RGPP) : quel bilan, quels enseignements pour réformer l’Etat ? » (BS Initiative, 16 octobre 2012)

 

Références
C.Reinhart, K.Rogoff, « This time is different: eight centuries of financial folly », Princeton
University Press, 2011.
M. Kumar et J.Woo, “Public Debt and Growth”, IMF Working Paper 10/174, 2010.
http://www.performancepublique.budget.gouv.fr/le-budget-et-lescomptes-de-letat/le-budget-deletat/approfondir/le-tableau-de-bord-desfinances-publiques/focus-budget-de-letat.html
 

Diplômé de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, de l'Ecole d'Economie de Toulouse et formé au Centre d'études des politiques économiques (ENSAE), Arthur Jurus est directeur des investissements chez ODDO BHF Suisse après avoir été chef économiste de Landolt & Cie, économiste au Crédit Agricole, à la Société Générale, à la Caisse des Dépôts, chez Mirabaud Asset Management et au sein du groupe Edmond de Rothschild. Il a également enseigné à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Intervenant dans différents médias francophones et anglosaxons, Arthur Jurus est vice-président de l'association des stratégistes de Genève (ISAG) et Président de BSI Economics.

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