Croissance et integration solidaire : quelle strategie pour l’Europe ?

En introduction de la 3ième séance des Entretiens du Trésor, Christine Lagarde (directrice du Fonds Monétaire International) a mentionné les 3 piliers qui constituent les principaux centres d’intérêt du FMI à l’égard de la Zone Euro : l’intégration budgétaire, l’union bancaire et la restauration de la compétitivité. Mario Draghi (gouverneur de la Banque Centrale Européenne) a par ailleurs rappelé que la BCE, tant via le lancement de l’OMT qu’avec son futur rôle de superviseur bancaire unique, participe et contribue à la réalisation des objectifs fixés autour de ces trois axes. Les déséquilibres macroéconomiques en Europe se résorberont à partir du moment où des solutions autour de ces 3 piliers seront trouvées et assureront une intégration globale de la Zone Euro.

 
L’intégration budgétaire a pour but de prévenir les risques budgétaires via la mutualisation des dettes, l’emprunt commun et la mise en place de filet de sécurité pour garantir la pérennité du système en cas de difficultés d’un des membres. L’union bancaire devrait contribuer à limiter la fragmentation des pays tout en fournissant un cadre plus adapté au risque systémique, grâce à des outils de supervision plus performants, notamment pour protéger les dépôts. L’intégration budgétaire et l’union bancaire sont actuellement liés l’un à l’autre et l’Europe se doit de trouver les solutions les plus efficaces, sans pour autant augmenter la complexité de son organisation, qui est bien trop souvent perçue comme incompréhensible par les pays du reste du monde, surtout par les investisseurs extérieurs. La compétitivité représente pour Mme Lagarde et Mr. Draghi, un enjeu majeur pour la Zone Euro et la récente réduction des déficits des balances commerciales, essentiellement due à la baisse des importations, ne permet d’assurer une compétitivité durable. Les réformes pour lutter contre la dualité et les rigidités du marché du travail, pour  limiter la progression des coûts salariaux unitaires (voir les baisser) et pour ajuster la hausse des salaires à la hausse de la productivité doivent se poursuivre dans tous les pays de la Zone si on espère corriger les déséquilibres macroéconomiques qui représentent un véritable frein à l’intégration et à la solidarité européenne.
 
A l’occasion de tables rondes, plusieurs personnalités sont intervenues sur chacun des sujets. Au niveau de l’intégration budgétaire, les participants partageaient une vision assez commune : de nombreux efforts ont été fournis par les pays, ils doivent être poursuivis, tout en évitant une asphyxie dangereuse de l’économie réelle. P-O. Gourinchas (professeur d’économie à Berkeley), modérateur de cette première table ronde, a insisté sur cinq problématiques : l’efficacité des mécanismes de discipline budgétaire (en choisissant entre les deux approches suivantes: soit l’adoption de règles budgétaires strictes par chaque État ou un transfert de souveraineté avec un système de surveillance croisé entre les pays), la nécessité d’un fédéralisme budgétaire, les euro-obligations, l’organisation institutionnelle et la représentativité démocratique. V. Grilli, le ministre des finances italien, a insisté sur la nécessité d’adopter un budget européen commun, qui constitue selon lui une étape déterminante de l’intégration européenne. De manière générale, l’Union budgétaire est souhaitable et devrait se réaliser étapes après étapes. Les intervenants ont brièvement évoqué l’idée des « eurobonds » (« étape naturelle pour plus de solidarité et d’intégration budgétaire »), salué l’action des mécanismes de stabilité financière européens et se sont interrogés sur la difficulté d’établir un fédéralisme budgétaire dans une zone aussi hétérogène que la zone Euro. La députée européenne Sylvie Goulard a en revanche dévié du débat, appelant à plus de démocratie pour établir les règles budgétaires.
 
Concernant l’union bancaire, il a été question à la fois de ne pas ralentir la mise en place du calendrier sur la règlementation bancaire (application de Bâle III, négociations pour la création du Mécanisme de Supervision Unique) et de ne pas assouplir les réformes annoncées au lendemain de la crise financière. J. Pisani-Ferry, directeur du think tank Bruegel et professeur d’économie à l’Université Dauphine, a entre autre soutenu, que lors de la création de l’euro, la finance avait malheureusement été oubliée, alors qu’on constate aujourd’hui que le risque souverain et les difficultés du système bancaire sont étroitement liés. Il a également relevé six enjeux, qu’il juge nécessaire à ses yeux pour assurer l’efficacité de l’union bancaire : une harmonisation de la base juridique sur les questions bancaires et financières dans le cadre de la supervision commune, une supervision généralisée à toutes les banques avec une attention plus spécifique aux établissements systémiques de grande taille, l’intégration progressive au projet de pays européens hors zone euro, la prise en compte des problèmes posés par les conflits d’intérêt, les modalités de gouvernance ainsi que de la gestion commune des résolutions bancaires par une autorité administrative indépendante. Certains éléments de réponses ont été apportés à cette seconde table ronde et sont résumés dans les points suivants :
  • - L’harmonisation des règles prudentiellespour toutes les banques ne peut avoir qu’un impact très favorable pour les pays de la Zone Euro ainsi que pour les autres Etats européens (J.Rostowski, ministre polonais des finances);
  • - Le superviseur bancaire doit certes contrôler les institutions financières mais aussi prendre des dispositions pour une éventuelle résolution des crises en cas de choc futur ;
  • - A l’avenir, éviter que le contribuable et les finances publiques soient mis à contribution pour payer les coûts de la crise, la nécessité de trouver des alternatives, ex ante, s’impose (via un bailin des banques ? Solution évoquée par K. Knot, gouverneur de la Banque des Pays-Bas).
Selon B. Weder di Mauro, professeur d’économie à l’université de Mayence, dans l’urgence il ne faut pas hésiter à cherche des solutions court termistes afin de mutualiser les risques, pour ensuite construire à long terme à partir des résultats obtenus. Tout le monde attend impatiemment l’aboutissement des négociations et le lancement du superviseur unique (prévu pour janvier 2013) pour rentrer dans une nouvelle ère de la règlementation bancaire.
 
La question de la compétitivité a été source de d’avantage de débats que les autres tables rondes.
  • - P. Aghion (professeur d’économie au MIT) considère que la croissance et la compétitivité en Europe seront stimulées : à court terme par des dévaluations réelles (permises par une modération salariale) et fiscales (hausse de la TVA pour financer des réductions de charges), à long terme par des réformes structurelles (libéralisation du marché du travail et des biens, utilisation des fonds structurels). Actuellement la Zone Euro a atteint sa limite au niveau de sa frontière technologique et devrait suivre l’exemple allemand, où compétitivités coût et hors coût sont combinées. L’idéal étant, selon lui, une nouvelle politique d’investissement en Europe, ciblant les secteurs les plus concurrentiels et à haute technologie.
 
  • - Pour L. Gallois et la ministre du commerce extérieur N. Bricq, cette différentiation coût et hors coût n’a aucune signification et la recherche de secteurs porteurs (typiquement dans les hautes technologies et dans le domaine de l’énergie), à forte valeur ajoutée, doit constituer l’essentiel du retour à la compétitivité. Le but étant de reconstituer les marges des entreprises, qui pourront leur permettre d’accentuer leurs dépenses en R&D et ainsi gagner des parts de marché sur une gamme de produits de qualité supérieure.
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  • - Des efforts doivent aussi être fournis afin d’établir des liens entre le monde de l’entreprise et l’éducation ainsi qu’entre les entreprises et les PME. Pour N. Bricq, la RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) doit devenir une source majeure de compétitivité en France.
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  • - Pour JF. Trogrlic, directeur du BIT France, la compétitivité ne doit pour autant pas remettre en cause les normes du modèle européen du travail, véritable référence mondiale (même si quelque peu bousculé par les pays émergents). Selon lui, une compétitivité via du« dumping social » comme on l’observe par en Espagne, ne garantit rien de durable.
La fin du débat de la table ronde a été animée par L. Gallois, où ce dernier a rappelé que les grands modèles de référence européenne en termes de compétitivité, que sont l’Allemagne ou la Suède, se sont construits sur des périodes de croissance, et qu’actuellement des conditions équivalentes ne sont pas réunies. Dans un contexte de baisse des dépenses budgétaires il devient alors difficile d’établir une stratégie d’investissement favorable à la croissance, c’est pourquoi L. Gallois plaide pour un ralentissement du rythme de la contraction des déficits et pour unebaisse de la valeur de l’Euro vis-à-vis du dollar, un euro fort contribuant à accentuer les divergences et les déséquilibres entre les pays d’Europe du Nord et ceux du Sud. Nous avons beau tous partager la même monnaie, il ne faut pas oublier que tous les pays ne sont pas semblables et disposent d’avantages comparatifs et de spécialisations différents ; dès lors le taux de change réel effectif d’un pays à l’autre diffère. P. Aghion a conclu le débat en insistant sur la nécessité de recourir dans le futur à l’établissement d’un plan macroéconomique européen, pour favoriser l’investissement dans des secteurs productifs afin de contrebalancer les effets des restrictions budgétaires imposées par le PSC.
 

A l’occasion du discours de clôture de cette conférence, le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici a précisé, malgré les revendications de Mr. Gallois et Aghion, que la France continuera sur la voix sur laquelle elle est engagée et compte bien démontrer son exemplarité budgétaire. Ce processus de désendettement est selon lui une étape déterminante pour l’ensemble de la Zone Euro et devrait contribuer à ramener les pays vers plus de stabilité. Les différents ministres des finances de la Zone, ainsi que le Parlement Européen, continuent activement de discuter, chercher et trouver des solutions à l’ensemble des problèmes évoqués au cours de ce forum des Entretiens du Trésor. L’Europe se doit d’être politique, économique, démocratique et cette volonté de solidarité et d’intégration devrait mener l’ensemble des pays vers la voie de la stabilité, financière économique et sociale.

 

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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